Revue Musicale de Lyon 1904-03-23/Chronique Lyonnaise

La bibliothèque libre.
P. F., J. C.
Revue Musicale de Lyon (p. 7-9).

Chronique Lyonnaise

Quatuor Tchèque

(4e Concert de la Société lyonnaise de Musique Classique)

On dit : menteur comme un programme et l’on a joliment raison. Vendredi 18 mars, les quatre membres du quatuor Tchèque font leur entrée sur l’estrade. Ils saluent, on applaudit, ils s’installent devant leurs pupitres, ils ajustent leurs instruments ; ils lèvent leurs archets, prêts à l’attaque. Un silence attentif s’établit soudain parmi les auditeurs qui garnissent plus nombreux que de coutume la Salle Philharmonique. Toutes les oreilles sont tendues, on ne veut pas perdre une note. Les Tchèques débutent. Au lieu de la joyeuse marche militaire qui ouvre le quatuor en sol no 77, de Haydn c’est la souriante phrase du quatuor en si bémol, no 73, qu’ils attaquent.

Pourquoi cette substitution décidée évidemment au dernier moment ? sans doute parce que le quatuor Hugo Herrmann avait précédemment joué ce même quatuor en sol. Somme toute on a bien fait de nous octroyer une œuvre pas encore entendue, du moins depuis longtemps. Nous n’avons pas perdu au change, attendu que le quatuor no 73 qui a été exécuté, n’est sous le rapport de l’importance et de la beauté nullement inférieur au quatuor no 77 inscrit au programme.

Ce quatuor, baptisé l’Aurore, les Tchèques l’ont joué incomparablement avec une admirable compréhension du mouvement, du caractère, du sentiment de chaque partie. Un de mes voisins, en applaudissant à tout rompre, s’est exclamé : « Je parie que Haydn n’a jamais eu la joie d’entendre une exécution aussi parfaite. » C’est fort possible, mais comment élucider cette question ? Il est certain qu’il se rencontrait du temps d’Haydn bon nombre d’excellents instrumentistes et de très habiles violonistes parfaitement capables d’exécuter les parties de premier violon considérées encore comme très difficiles par les artistes de nos jours. Les quartettistes contemporains de Haydn ont-ils jamais joué l’Aurore aussi bien que les Tchèques ? Nous n’en saurons jamais rien. Nous pouvons affirmer à coup sûr qu’ils ne l’ont pas jouée mieux.

Haydn a composé ses dix premiers quatuors dans la maison de campagne de son ami Frünberg, écuyer tranchant de la Cour. À peine recopiés ces quatuors étaient joués par le curé de l’endroit (premier violon) le maître du logis (second violon) Haydn (alto) et Albuchsberger (violoncelle). On est en droit, sans en médire, de supposer que ces exécutions hâtives de quatuors à peine éclos, ne valaient pas celles que les Tchèques auraient pu en donner.

Les Tchèques ont eu bien raison de nous faire entendre un quatuor de leur compatriote Dvorak. Des quartettistes français qui visiteraient Prague sans jouer une œuvre de Vincent d’Indy ou de Saint-Saëns seraient grandement coupables. Le quatuor en la bémol (op. 105) de Dvorak n’était connu que d’un nombre restreint de professionnels et d’amateurs. Il a plu par la clarté limpide des mélodies et la belle simplicité des harmonies. Dvorak actuellement directeur du Conservatoire de Prague est le fils d’un aubergiste d’un petit village de Bohême. Il a été boucher. Il a conquis de haute lutte sa notoriété et sa situation actuelle, grâce à un travail acharné qui a fait richement fructifier ses merveilleux dons naturels. Dvorak a fait pour la Bohême ce que Grieg a fait pour la Scandinavie. Il a avec beaucoup d’art, encastré dans ses œuvres un grand nombre d’airs populaires et de danses de la Bohême. Si le plus souvent il a très bien réussi à mettre en relief toute la saveur et le charme poétique des chants de son pays, il n’a pas toujours sur éliminer certains rythmes d’une triviale banalité. Deux ou trois de ces rythmes se retrouvent dans la finale et dans l’allegro vivace du quatuor no 105. Néanmoins, ce quatuor de quatrième des cinq composés par Dvorak, mérite de figurer au répertoire de toutes les réunions de musique de chambre. Tout le premier morceau est très beau, le lento molto cantabile d’un grand style. Il va sans dire qu’il n’est pas possible de concevoir une meilleure exécution de ce quatuor que celle que les Tchèques nous ont donnée.

Le dixième quatuor en mi bémol (op. 74), de Beethoven est un des plus magnifiques spécimens de sa seconde manière. On le désigne quelquefois sous le nom de Quatuor des harpes, en raison des pizzicati que les quatre instruments se renvoient mutuellement. Tout le premier morceau est traversé par un souffle héroïque. L’adagio est une inspiration sans égale, aussi sobre que bien conçue. La première partie du scherzo en ut mineur est tourmentée et dramatique. Le trio en ut majeur est d’un effet puissant. Le final avec variations est de tout point admirable. Le thème d’une tendresse infinie est un hymne d’amour incomparable. Les variations que Beethoven a écrites avec ce thème sont incontestablement les plus belles qui existent.

Tous les sentiments que Beethoven a mis dans son œuvre, les Tchèques ont su magnifiquement les communiquer à l’auditoire. Ils ont été parfaits. La salle entière remuée et vibrante leur a fait une chaleureuse ovation.

Le quatuor tchèque a parcouru depuis douze ans tous les centres artistiques du monde. Il a été fondé et instruit par M. Wihan, le violoncelliste actuel. M. Wihan, alors professeur au Conservatoire de Prague, avait fait choix des quatre meilleurs élèves de cet établissement. Pendant quatre ans il leur fit travailler plusieurs heures par jour les quatuors des grands Maîtres. Ce n’est que lorsqu’il fut pleinement satisfait, qu’il permit à ses élèves de prendre leur vol. Leur première tournée fut un véritable triomphe. Malheureusement au bout de quelques mois le jeune violoncelliste fut emporté par une maladie. M. Wihan prit alors l’emploi de violoncelliste dans le quatuor qu’il avait formé. Ces quatre artistes de premier ordre s’entretiennent chaque jour par un travail personnel régulier et des répétitions d’ensemble. L’étude sans relâche, tel est le secret de la perfection que cette phalange d’élite a pu atteindre et dans laquelle elle sait se maintenir.

Nous souhaitons de tout cœur que le Quatuor tchèque qui était déjà venu deux fois à Lyon, n’oublie pas le chemin de notre ville. Nous lui disons merci et au revoir.

P. F.

Audition d’Œuvres nouvelles

Mardi dernier, Salle Philharmonique, était donnée une audition d’œuvres nouvelles éditées par la maison Bellon et Ponscarme, de Paris.

Il faudrait plusieurs auditions attentives pour porter un jugement définitif sur le mélancolique et enveloppant quatuor du regretté Chausson, sur la pittoresque et quelque peu scandinave Sonate de Szulc qui rappelle tour à tour Grieg, Chopin et Rubinstein ; enfin sur la Sérénade de J. Guy-Ropartz, exquise et délicatement instrumentée. Nous dirons seulement que le quatuor avec piano d’Ernest Chausson nous a paru fort beau, surtout en son premier mouvement, d’une ligne élégante et sûre, malgré les raffinements des harmonies et la délicatesse subtile des modulations, et en son magnifique andante d’une architecture précise et d’une noble élévation. Le finale nous a moins plu par la présentation et le développement des idées qui, à première audition, étonnent quelquefois.

La pièce de Paul de Wailly (Marche) inscrite au programme, nous a par contre paru fort longue et peu distinguée malgré ses prétentions au pittoresque champêtre et un incontestable facilité d’écriture. Il n’y a rien à dire d’une Berceuse pour instruments à cordes, œuvre d’un très jeune homme plein de bonnes intentions et qui dénote peu d’originalité et une étude bien superficielle de la composition.

L’interprétation de ces différentes œuvres fut généralement correcte mais nous aurions préféré qu’elle eût été donnée par de véritables quartettiste et non par des musiciens, habiles il est vrai (trois professionnels et un amateur), mais réunis fortuitement et pour une seule audition.

J. C.

Les représentations de La Passion organisées dans la paroisse de Notre-Dame des Anges et dont nous avons rendu compte, ont obtenu un très grand succès. Il en sera donné une supplémentaire dimanche prochain, 27, à 2 h. 1/2 du soir.