Revue Musicale de Lyon 1904-03-23/Hors Lyon

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HORS LYON

Le « Requiem » de Brahms

à genève
Victoria Hall, le 12 mars

Cruellement endolori par la mort de sa mère qu’il adorait (1868), Brahms dédia à sa mémoire ce souvenir grandiose et attendri : fidèlement respectueux des principes rigides de la zélée luthérienne qu’il pleurait, il ne voulut que des paroles bibliques pour son Requiem, sauvegardant pourtant les douces pensées consolantes du Requiem catholique, la résignation, la consolation et l’espérance, victorieuse du néant. Dans les sept parties de son Requiem, le maître de Hambourg a laissé la prédominance au chœur avec de brefs soli de baryton et de soprano, le tout accompagné par l’orchestre complet et le grand orgue. Brahms dans son œuvre s’est toujours montré rebelle à la théorie du leit motiv ; ici cependant l’introduction instrumentale de 14 mesures reparaîtra à la fin de la septième partie dans une suite d’harmonies très curieuses, transformant ainsi l’idée première de tristesse angoissante en sérénité bienfaisante, rappelant sans doute au fils désolé la paix si douce, si réconfortante du foyer maternel éteint ! Seuls, les altos, les violoncelles, les basses jouent cette brève introduction, profondément triste, tandis que le chœur lentement dit les premières paroles du Sermon sur la montagne. Une funèbre marche d’une inexorable fatalité précède le choral à l’unisson. « Toute chair est comme l’herbe » atténué dans sa rigueur de presque malédiction par un doux motif en si bémol majeur auréolant les paroles d’Isaïe : « Les rachetés de l’Éternel iront vers Sion ».

Le lamento s’accentue, la voix du baryton s’exalte dans l’inquiétude ; le découragement, le désespoir vont apparaître. « Oui, l’homme se promène comme une ombre. » Le chœur alors dans une merveilleuse fugue répond : « Bien douces sont tes demeures, ô Dieu d’Israël » ; la consolation s’affirme, proclamée par les richesses harmoniques les plus variées, le contrepoint le plus admirable. Seule, la voix de soprano chante : « Vous qu’afflige la douleur, je reviendrai vers vous » le motif musical délicieux attire la réponse du chœur : « Comme un homme que sa mère console, ainsi je vous consolerai » la phrase mélodique est alors d’une exquise bonté, d’une tonalité vraiment bienfaisante. Mais avec le soliste lançant son beau défi à la mort : « Sépulcre où est ta victoire ? » le chœur proclame la victoire éternelle dans une nouvelle fugue d’une écriture merveilleuse, d’une inspiration polyphonique resplendissante. Avec les paroles dernières nous revenons à la sérénité première, c’est la paix triomphante, glorifiée, aimée par Brahms, disciple ému, fidèle du vieux Kantor de Leipzig, Lumen in cœlo ! Nos âmes latines, d’abord un peu effrayées par l’austérité voulue, continue, tendue de cette cantate grandiose, furent vite dominées, captivées par cette sincérité absolue, cette technique magistrale, ces splendeurs harmonieuses si hautes, si pures, si vraies, que nous les fils un peu impulsifs des mères du Midi nous sentions nos cœurs proches de la douleur plus contenue, de l’amour très tendre aussi des rudes enfants du Nord, de Brahms le grand Hambourgeois qui dans son Lied du Destin est allé si loin dans le sombre Inconnu !

Nos applaudissements enthousiastes aux chanteurs genevois du Chant Sacré, tous amateurs, tous réunis dans une fidélité admirable aux répétitions fréquentes et très longues, dans une touchante fraternité artistique, ne repoussant personne par snobisme, pose ridicule ou prétention, acceptant tous les efforts, le bon vouloir, sans nulle et sotte préoccupation de rang, de fortune, d’élé- gance et de situation. Applaudissements et remerciements à Otto Barbla l’excellent Kapellmeister, qui n’a pas hésité en face des terribles difficultés du Requiem qu’il a préparé, dirigé avec autant d’énergie que de souplesse. La voix de soprano de Mme Troyan-Blœsi est aussi claire qu’étendue, le grand orgue a été admirablement tenu par M. Montillet.

Genève est bien voisine de Lyon, pourtant quelle différence !

Jott.

Concert Orcel

(Saint-Étienne)

Dans une audition musicale qu’il donnait à Saint-Étienne, M. Léon Orcel s’affirma digne de son illustre maître, Raoul Pugno, par l’impeccable élégance d’un jeu toujours fin et précis, sans nulle sécheresse, mis au service du goût musical le plus sûr et d’une technique remarquable. La Suite Gothique de Boëllmann renferme des pages de noble envergure, tels le Choral du début ou le Menuet aux moyennageuses évocations, M. Orcel en sut rendre puissamment les rythmes majestueux et les lointaines sonorités, comme il sut traduire avec une rare suavité l’expressive Prière à Notre-Dame et les étincelantes séductions de la Toccata. Mais c’est particulièrement dans sa façon d’interpréter Schumann que M. Orcel nous a semblé un artiste vibrant et sincère.

M. Orcel était fort bien secondé, au second piano, par une charmante Lyonnaise de ses élèves, Mlle S…, qui fit applaudir un original tempérament de musicienne sensitive, au savant doigté, à la fine et expressive compréhension. J’adresserai à Mme F…, l’excellente cantatrice-amateur de notre ville, qui prêtait son concours à l’audition de M. Orcel, un seul reproche, celui de n’avoir point voulu céder au désir très légitime d’un public, charmé par son exquise diction, en interprétant le cycle complet du merveilleux Amour de Poète dont Mme F…, ne chanta malheureusement que des extraits dans l’excellente traduction de Victor Debay. Mme F… manie avec un art consommé une voix ravissante, homogène et d’une délicieuse pureté.

Dans la Sonate en fa majeur, de Hændel, M. Ricou a fait apprécier un jeu ferme et sûr, une sonorité puissante, sans recherche. Il a donné, avec M. Orcel, une remarquable exécution de la Sonate en sol mineur, de Grieg.

Le public stéphanois s’est montré souple et enthousiaste, interrompant et rappelant les artistes par de chaleureuses ovations, inconnues des mélomanes lyonnais ? Il est de si bon ton de paraître s’ennuyer et souvent de le faire !

H. F.