MES PRISONS, Mémoires de Silvio Pellico, trad. par M. Clausade, 2 vol. in-12, 1833. — Les mêmes, trad. par M. A. Delatour, in-8, 1833. (Il y a encore six autres traductions françaises de cet ouvrage remarquable). — Silvio Pellico reçut dès son enfance une excellente éducation, se livra ensuite à la poésie, et se fit connaître par quelques compositions littéraires, notamment par une tragédie (Francesca da Rimini), qui eut beaucoup de succès à Milan et dans toute l’Italie. À la chute du royaume d’Italie, son père transporta son domicile à Turin, et Pellico resta à Milan, où il faisait l’éducation des enfants du comte Porro Lambertini, lorsque, le 13 octobre 1820, il fut arrêté à Milan et enfermé à Sainte-Marguerite. Accusé d’avoir pris part, comme complice et comme confident, à quelque complot libéral, il eut à subir de longs interrogatoires. Sachant ce qu’on peut attendre d’un pouvoir soupçonneux, il aima mieux s’exposer à tout que de compromettre ses amis par quelque parole mal interprétée. On lui fit un crime de son silence ! Quatre mois après, le 19 février 1821, il fut transporté de Sainte-Marguerite aux plombs de Venise, et passa une année entière dans cet affreux séjour, où il eut à souffrir tout ce que la captivité a de plus cruel. Pendant ce temps on instruisait son procès. Le 22 février 1822, Pellico et son ami Maroncelli, furent amenés avec le plus grand appareil sur la place Saint-Marc, et là, en présence du peuple assemblé, ils entendirent leur arrêt : ils étaient condamnés à mort. Leur peine était commuée, pour Pellico en quinze ans, pour Maroncelli en vingt ans de réclusion au fort du Spielberg, où ils furent plongés séparément dans des cachots souterrains et obscurs. C’est là que ces deux malheureux jeunes gens virent se consumer les plus belles années de leur vie, morts à la société, à leurs amis, à leurs parents, en proie à toutes les souffrances physiques et morales, sans nouvelles de leur famille, sans moyen de correspondance, sans livres, sans papier, privés de tout ce qui peut faire supporter l’esclavage. Plusieurs fois on leur fit espérer la grâce de l’empereur, et cet espoir, si souvent trompé, ne servait qu’à leur faire plus cruellement sentir le poids de leurs fers. Enfin, le 26 juillet 1830, on envoya de Vienne l’acte de leur mise en liberté, et le 1er août ils furent rendus à la lumière du jour, pâles, maigres et flétris, semblables à deux spectres qui sortaient de leurs tombeaux.
Quels durent être, après tant de tourments inouïs, les sentiments des deux victimes à l’égard de leurs persécuteurs ? Si jamais il est permis à l’homme de nourrir dans son cœur haine et vengeance contre ses semblables, qui plus qu’eux en avait le droit ? qui, plus que Pellico, aurait pu justement répandre dans ses écrits le fiel et l’amertume ? Ordinairement ceux qui écrivent leurs mémoires, ayant en vue, soit de se justifier de quelque imputation, soit de jeter de l’intérêt sur les circonstances où ils se sont trouvés, s’étudient à présenter, aux dépens d’autrui, les événements sous un jour qui leur soit favorable. Ici, au contraire, point de récrimination, point d’attaques, point de but personnel. « Ce n’est point pour parler de moi, dit l’auteur dans sa préface, que j’ai publié ces Mémoires, mais c’est dans l’intention de donner courage aux malheureux, en exposant les maux que j’ai soufferts et les con solations qu’on peut trouver au sein même des plus affreux malheurs. » Ce livre n’est donc ni un plaidoyer, ni une diatribe, ni un recueil d’anecdotes ; vous n’y trouverez pas un mot de politique, rien des motifs de cette longue et terrible persécution. Ce sont les études morales et profondes d’un prisonnier sur lui-même. Il nous peint avec naïveté ses impressions, ses angoisses, ses luttes intérieures, ses efforts, ses faiblesses, ses chutes, ses victoires. Dans le silence de son cachot, il contemple son âme avec réflexion, et l’examen qu’il fait de lui-même lui prête de nouvelles forces. À l’appui de la vertu, la religion lui apparaît comme une inspiration soudaine, et il la saisit, il l’embrasse avec étreinte. Les hommes le font bien souffrir ! et cependant il ne ressent pas de rancune ; il n’éprouve aucun sentiment d’aigreur contre l’humanité ; il l’excuse, il la plaint, mais il ne la hait pas ; il découvre jusque sous l’écorce rude et grossière de ses geôliers des qualités faites pour honorer l’homme ; son âme poétique sait embellir les objets qui l’environnent jusque sous les plombs de Venise, jusqu’au fond des cachots du Spielberg. — Ce livre est parsemé de récits on ne peut plus simples, mais remplis d’émotions naturelles. Il y règne partout une pureté d’âme en quelque sorte virginale, une délicatesse exquise d’expressions. C’est une lecture qui repose de ces œuvres galvaniques dont nous sommes inondés depuis plusieurs années, œuvres à secousses violentes, qui oppressent et suffoquent au lieu d’émouvoir et d’attendrir, qui s’adressent aux nerfs sans parler au cœur. On ne peut lire les Mémoires de Pellico sans s’intéresser vivement, sans s’affectionner à leur auteur. C’est un martyre de dix années supporté avec un courage sublime et raconté avec une simplicité vraiment évangélique ; c’est le triomphe de l’homme aux prises avec l’adversité, exposé avec une humilité toute chrétienne. Honneur à celui qui, dans cette terrible épreuve, a su se montrer si noble et si grand ! Honte à ceux qui ont pu torturer si longtemps une âme si belle et si pure.