Rob Roy/29

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 9p. 350-360).


CHAPITRE XXIX.

L’ARRESTATION.


C’est la cornemuse et non la lyre qui résonne sur les montagnes des hautes terres. C’est le son du cor de Mac-Lean ou celui de Mac-Gregor.
Réponse de John Cooper à Allan Ramsay.


Je m’arrêtai à l’entrée de l’écurie, si l’on peut donner ce nom à un endroit où les chevaux étaient pêle-mêle avec les chèvres, les vaches, les cochons et la volaille, à l’abri du même toit que le reste de la maison, quoique, par un degré de luxe inconnu au reste du hameau, et que j’entendis ensuite attribuer à un excès d’orgueil de notre hôtesse Jeanie Mac-Alpine, cette dépendance de la hutte fut pourvue d’une entrée différente de celle qui servait à ses pratiques bipèdes. À la lueur de ma torche, je déchiffrai le billet suivant, écrit sur un morceau de papier sale, chiffoné et humide, et qui avait pour adresse : « Pour être remis aux mains de l’honoré F. 0., jeune gentilhomme anglais. » Il contenait ce qui suit :

« Monsieur,

« Beaucoup d’oiseaux de proie nocturnes sont dehors aujourd’hui, ce qui m’empêche d’aller vous trouver au clachan d’Aberfoïl, ainsi que mon respectable parent B. N. J., comme j’en avais l’intention. Je vous engage à éviter toute communication qui ne serait pas indispensable avec ceux que vous y rencontrerez ; il pourrait en résulter des conséquences fâcheuses. La personne qui vous remettra ce billet est fidèle, et vous conduira dans un endroit où, avec l’aide de Dieu, j’espère que je pourrai vous voir sans danger. J’espère aussi que mon parent et vous, vous viendrez visiter ma pauvre maison : en dépit de mes ennemis, je puis encore vous y promettre aussi bonne chère qu’il est possible à un montagnard de la faire faire à ses amis, et nous porterons solennellement la santé d’une certaine D. V. ; nous nous occuperons aussi de certaines affaires dans lesquelles je me flatte de pouvoir vous être utile. En attendant, je suis, comme il est d’usage entre gentilshommes, votre serviteur prêt à vous obéir. R. M. G. »

Je fus très-contrarié du contenu de cette lettre qui semblait remettre à un lieu et à une époque plus éloignés le service que j’avais attendu de ce Campbell. Cependant c’était une consolation d’apprendre qu’il continuait de s’intéresser à mes affaires, puisque sans lui je n’avais pas l’espoir de recouvrer les papiers de mon père. Je résolus donc de me conformer à ses instructions, de me conduire avec la plus grande prudence devant les étrangers, et de saisir la première occasion qui se présenterait de questionner l’hôtesse sur le moyen de rejoindre ce personnage mystérieux.

J’appelai alors André à haute voix, et à plusieurs reprises, sans recevoir de réponse. J’examinai tous les coins de l’écurie, la torche à la main, non sans risque d’y mettre le feu si la quantité de fumier mouillé et de boue n’avait été un heureux préservatif pour trois ou quatre bottes de paille et de foin qui s’y trouvaient. Enfin, après des cris répétés d’André Fairservice… André, animal, où êtes-vous ? j’entendis une espèce de gémissement qu’on aurait pu attribuer à l’esprit lui-même, et une voix dolente répondre : « Par ici. » Guidé par le son, je m’avançai vers le coin du hangar d’où il semblait partir, et je trouvai le vaillant André blotti contre la muraille derrière un tonneau rempli des plumes de toutes les volailles immolées à la cause publique depuis plus d’un mois ; il me fallut unir la force aux exhortations pour l’arracher de cette retraite et le conduire en plein air. Les premiers mots qu’il me dit furent : « Monsieur, je suis un honnête garçon.

— Qui diable met votre honnêteté en doute, et qu’est-ce que cela nous fait maintenant ? Nous allons souper, et j’ai besoin de vous pour nous servir.

— Oui, » répéta-t-il sans paraître faire attention à ce que je venais de lui dire ; « je suis un honnête garçon, quoi qu’en puisse dire le bailli. J’avoue que le monde et les biens du monde me tiennent assez au cœur, et j’ai cela de commun avec bien d’autres ; mais je suis un honnête garçon, et si j’ai parlé de vous quitter sur la route, Dieu sait que rien n’était plus loin de ma pensée, et que je ne disais cela que comme tant d’autres choses qu’on dit quand on contracte un marché, et qu’on tâche de le faire le meilleur possible. J’ai véritablement de l’attachement pour Votre Honneur, quoique vous soyez bien jeune, et je ne vous quitterais pas sans en avoir de sérieuses raisons.

— Où diable en voulez-vous venir ? Tout n’a-t-il pas été arrangé à votre satisfaction ? Faut-il donc que je vous entende parler de me quitter à tous moments, sans rime ni raison ?

— Oh ! mais jusqu’à présent je ne faisais que semblant ; mais l’envie m’en est venue maintenant tout de bon… Perte ou gain, je n’ose aller plus loin avec Votre Honneur, et si vous voulez suivre les conseils d’un pauvre homme, vous préférerez manquer à votre rendez-vous plutôt que de vous exposer davantage. J’ai pour vous une amitié sincère, et je suis sûr que vous ferez un jour honneur à votre famille, une fois que le premier feu de la jeunesse sera passé ; mais je ne puis vous suivre plus loin, quand même vous devriez périr en chemin faute de guide et de bons avis… Ce serait tenter la Providence que d’aller dans le pays de Rob-Roy.

— Rob-Roy ! « m’écriai-je avec surprise ; « je ne connais personne de ce nom. Quel est ce nouveau conte, André ?

— Il est dur, bien dur qu’un homme ne puisse venir à bout de se faire croire quand il a dit la pure et sainte vérité, uniquement parce qu’il lui est arrivé de temps en temps de se laisser aller à quelques petits mensonges quand la circonstance l’exigeait. Qu’avez-vous besoin de me demander qui est ce Rob-Roy, le bandit qu’il est ! quand vous avez une lettre de lui dans votre poche ? J’ai entendu un des gens de sa bande dire à cette vieille haridelle d’hôtesse de vous la remettre. Ils croyaient que je ne comprenais pas leur jargon ; mais quoique je ne parle guère, je sais entendre bien des choses. Je n’avais pas l’intention de vous en parler ; mais la peur fait souvent jaser plus qu’il ne faudrait peut-être. Oh ! monsieur Frank, toutes les manies de votre oncle, toutes les folies de vos cousins ne sont rien en comparaison de votre imprudence. Buvez à tomber sous la table, comme sir Hildebrand ; commencez la bienheureuse journée par vous remplir d’eau-de-vie, comme M. Percy ; faites le fanfaron, comme M. Thorncliff ; courez les filles, comme M. John ; soyez joueur, comme M. Richard ; gagnez des âmes au pape et au diable, comme M. Rashleigh ; jurez, blasphémez, n’observez pas le sabbat, et obéissez au pape, comme ils le font tous ; mais, au nom de la miséricorde divine, ayez pitié de votre jeune sang, et n’allez pas trouver ce Rob-Roy ! »

André exprimait ses alarmes d’une manière trop naturelle pour que je pusse les considérer comme une feinte. Je me contentai pourtant de lui dire que mon intention était de passer la nuit dans cette maison, et je lui recommandai d’avoir soin de nos chevaux. Quant au reste, je lui enjoignis un profond silence sur le sujet de ses craintes, en l’assurant qu’il pouvait compter que je ne m’exposerais à aucun danger sérieux sans prendre toutes les précautions convenables. Il me suivit dans la maison d’un air consterné, et en murmurant entre ses dents : « Les hommes devraient passer avant les animaux. De toute cette bienheureuse journée, je n’ai mis dans mon estomac que les deux cuisses coriaces d’un vieux coq de bruyère. »

En rentrant, je crus m’apercevoir que quelque chose avait troublé le bon accord de la compagnie pendant mon absence, car je trouvai M. Galbraith et mon ami le bailli se disputant vivement.

« Je ne souffrirai pas, disait M. Jarvie, que l’on parle ainsi ni du duc d’Argyle ni du nom de Campbell. Le duc est un digne seigneur, plein de patriotisme, l’ami et le bienfaiteur du commerce de Glasgow.

— Je ne dirai rien de Mac-Callum More ni du Slioch-nan-Diarmid, dit en riant le moins grand des deux montagnards, je ne suis pas situé du bon côté de Glencoe pour chercher dispute à Inverrara.

— Notre lac n’a jamais vu la galère[1] des Campbell, dit le plus grand ; je dirai ce que je pense, sans avoir égard aux personnes. Je ne fais pas plus de cas d’un Campbell que d’un Cowan, et vous pouvez dire à Mal-Callum More que c’est Allan Iverach qui l’a dit : il y a loin d’ici à Lochow[2]. »

M. Galbraith, sur qui les différentes santés qu’il avait bues n’avaient pas été sans influence, frappa du poing sur la table avec violence, et s’écria : « Il y a une dette de sang contractée par cette famille, et il faudra qu’elle la paie un jour. Les os d’un brave et loyal Grahame se soulèvent depuis long-temps dans leur tombeau pour demander vengeance de ces ducs perfides. Il n’y a jamais eu de trahison en Écosse que quelque Campbell ne s’y soit trouvé mêlé. Et maintenant que les méchants ont le dessus, qui est-ce qui les soutient, si ce ne sont les Campbell ? Mais cela ne durera pas long-temps ; le moment approche d’aiguiser la pucelle[3] pour leur tondre la barbe de près. Croyez-moi, la rouille qui la couvre ne l’empêchera pas de faire une moisson sanglante.

— Fi donc ! Garschattachin, s’écria le bailli ; n’avez-vous pas de honte, monsieur, de parler ainsi devant un magistrat ? et ne craignez-vous pas ce qui peut en arriver ? Comment pouvez-vous soutenir votre famille et satisfaire vos créanciers, tant moi que les autres, si vous agissez de manière à vous exposer à la poursuite des lois, au préjudice de tous ceux qui ont des liaisons avec vous ?

— Que mes créanciers aillent au diable, et vous avec eux si vous êtes du nombre ! Je vous dis qu’il y aura bientôt du changement. Les Campbell cesseront de porter la tête si haute ; ils ne lâcheront plus leurs chiens là où ils n’osent aller eux-mêmes ; ils ne protégeront plus les voleurs, les assassins, les oppresseurs ; ils ne les exciteront plus à attaquer, à piller des gens qui valent mieux qu’eux, des clans plus respectables que le leur. »

Le bailli aurait volontiers continué la discussion ; mais le fumet agréable de la venaison que notre hôtesse plaça devant nous opéra une diversion si puissante, qu’il s’occupa avec beaucoup d’ardeur de remplir nos assiettes, et laissa le champ libre aux étrangers.

« Et cela est vrai, » dit le plus grand des deux montagnards qui, comme je l’appris ensuite, s’appelait Stuart ; « nous ne serions pas obligés d’abandonner nos maisons et de nous réunir en corps pour nous emparer de Rob, si les Campbell ne lui donnaient pas un asile. Un jour, avec trente hommes de mon nom, les uns venant de Glenfinlas, les autres d’Appine, nous chassâmes les Mac-Gregor, comme nous aurions chassé le daim, jusqu’à ce que nous atteignîmes le pays des Glenfalloch. Là les Campbell nous arrêtèrent, et ne voulurent pas nous laisser aller plus loin, de sorte que nous perdîmes nos peines. Mais je donnerais bien quelque chose pour être aussi près de Rob que je l’étais ce jour-là. »

Le malheur voulait que, dans tous les sujets de conversation que choisissaient ces braves gentilshommes, mon ami le bailli trouvât quelque motif d’offense. « Vous me pardonnerez de dire ce que je pense, monsieur ; mais je crois que vous auriez volontiers donné la plus belle plume de votre bonnet pour être aussi loin de Rob-Roy que vous l’êtes en ce moment. Ma foi, mon soc de charrue, tout rouge qu’il était, n’est encore rien en comparaison de son sabre.

— Vous ferez bien de ne plus parler de votre soc de charrue[4] ou je vous ferai rentrer vos paroles dans le ventre avec deux pouces d’acier dans la gorge pour vous les faire digérer, » dit le plus grand des deux montagnards en portant la main sur son poignard avec un regard farouche et menaçant.

« Nous ne voulons pas de querelle, Allan, dit le plus petit. Si le gentilhomme de Glasgow prend quelque intérêt à Rob-Roy, il est possible qu’il ait le plaisir de le voir ce soir les fers aux pieds, et demain matin flottant au bout d’une corde. Il y a trop long-temps qu’il est le fléau du pays, et sa carrière est finie… Mais il est temps d’aller rejoindre nos gens.

— Un moment, Inverashalloch, dit Galbraith ; rappelez-vous le vieux dicton : il fait un beau clair de lune, dit Bennygasck ; une autre pinte, dit Lesley : nous ne partirons pas sans une autre chopine[5].

— J’ai assez de chopines comme cela, dit Inverashalloch. Je bois volontiers mes deux pintes d’usquebaugh ou d’eau-de-vie avec un ami ; mais du diable si j’en avale une goutte de plus quand j’ai de la besogne à faire le lendemain matin ! Et à mon avis, Garschattachin, vous feriez mieux de songer à faire entrer avant le jour vos cavaliers dans le clachan, afin que nous pussions partir tous ensemble.

— Pourquoi diable être si pressé ? boire et manger n’ont jamais nui à la besogne. Si l’on m’avait consulté, du diable si je vous aurais dérangé pour venir à notre aide. La garnison et nos cavaliers auraient suffi pour s’emparer de Rob ; et voilà le bras qui le couchera par terre, » ajouta-t-il en montrant le sien, sans avoir besoin pour cela du secours d’aucun montagnard.

— Vous auriez mieux fait alors de nous laisser où nous étions. Je ne suis pas venu de soixante milles sans en avoir reçu l’ordre. Mais, si vous voulez connaître mon opinion, il faudrait moins jaser si vous voulez réussir. Des gens qui sont sur leurs gardes vivent long-temps, et il en peut être ainsi de celui que vous savez bien. Le moyen d’attraper un oiseau n’est pas de lui jeter votre bonnet. Ces messieurs aussi ont entendu des choses qui n’auraient pas dû aller à leurs oreilles si l’eau-de-vie n’avait été un peu trop forte pour votre tête, major Galbraith. Vous n’avez pas besoin d’enfoncer votre chapeau et de faire le tapageur avec moi, voyez-vous ; car je ne le souffrirai pas.

— J’ai dit que je ne me querellerais plus d’aujourd’hui avec les hautes ou les basses terres, « dit Galbraith avec cet air de gravité que prend quelquefois un ivrogne. « Quand je ne serai pas de service, je me battrai avec vous ou avec tout autre habitant du pays plat ou des montagnes ; mais, étant de service, non. Je voudrais avoir des nouvelles de ces habits rouges. S’il était question de quelque chose contre les partisans du roi Jacques, ils seraient ici depuis long-temps ; mais quand il ne s’agit que de la tranquillité du pays, ils ne se remuent pas si aisément. »

Il parlait encore que le pas régulier d’une troupe d’infanterie se fit entendre, et un officier, suivi de deux ou trois soldats, entra dans l’appartement. Son accent anglais sonna très agréablement à mon oreille, fatiguée du mélange des jargons des hautes et des basses terres d’Écosse.

« Je présume, dit-il, que je parle au major Galbraith, commandant la milice du comté de Lennox, et que voici les deux gentilshommes des hautes terres que je dois rencontrer ici. »

Ils répondirent affirmativement, et l’invitèrent à se rafraîchir, ce qu’il refusa.

« Je suis en retard, messieurs, et je désire regagner le temps perdu. J’ai ordre de chercher et d’arrêter deux individus coupables de trahison.

— C’est de quoi je me lave les mains, dit Inverashalloch. Je suis verni ici avec mes hommes pour combattre Mac-Gregor le Rouge, qui a tué Duncan Mac-Laren d’Invernentey, mon cousin au septième degré ; mais je ne veux pas me mêler de ce que vous pouvez avoir à faire contre d’honnêtes gentilshommes qui voyagent dans le pays pour leurs affaires.

— Ni moi non plus, » dit Iverach.

Le major Galbraith prit la chose plus au sérieux, et, après avoir poussé un hoquet, en forme d’exorde, il prononça le discours suivant :

« Je ne dirai rien contre le roi George, capitaine, parce que, de fait, je tiens de lui ma commission. Mais, si ma commission est bonne, il ne s’ensuit pas que les autres soient mauvaises ; et il y a beaucoup de gens qui pensent que le nom de Jacques est aussi bon que celui de George : c’est du roi régnant et de celui qui devrait régner de droit que je parle ; et je dis, capitaine, qu’on peut être honnête homme, et fidèle à tous deux. Mais, pour le moment, je suis de l’opinion du lord gouverneur, comme il convient à un officier de la milice et à un lieutenant député ; et, quant à la trahison et tout ce qui s’ensuit, c’est du temps perdu d’en parler : moins on en dit à ce sujet mieux cela vaut.

— Je suis fâché de voir de quelle manière vous avez employé votre temps, monsieur, reprit l’officier anglais (en effet, le raisonnement du digne gentilhomme se ressentait terriblement de la liqueur qu’il avait bue) ; et j’aurais désiré qu’il en eût été autrement dans une occasion aussi importante. Je vous engage à essayer de dormir pendant une heure. Ces messieurs appartiennent-ils à votre société ? » ajouta-t-il en regardant le bailli et moi, qui, occupés à souper, avions fait peu d’attention à l’entrée de cet officier.

« Ce sont des voyageurs, monsieur, dit Galbraith : le rituel nous dit de prier pour les voyageurs par terre et par mer.

— Je suis chargé, dit le capitaine en prenant une lumière pour nous mieux examiner, d’arrêter un homme d’un certain âge et un jeune homme ; or ces deux messieurs me paraissent répondre au signalement donné.

— Prenez garde à ce que vous dites, monsieur ! s’écria M. Jarvie ; votre habit rouge et votre chapeau galonné ne pourront vous protéger si vous attentez à ma liberté, à ma personne. Je vous poursuivrai en diffamation, en détention arbitraire. Je suis un bourgeois et un magistrat de Glasgow. Mon nom est Nicol Jarvie : avant moi c’était celui de mon père. Je suis bailli, grâce à Dieu, et mon père était diacre.

— C’était un enragé puritain, dit le major Galbraith, et il s’est battu contre le roi au pont de Bothwell.

— Il payait ce qu’il devait et ce qu’il achetait, monsieur Galbraith, répliqua le bailli, et c’était un plus honnête homme que n’en portèrent jamais vos jambes.

— Je n’ai pas le temps d’écouter tout cela, dit l’officier ; je vous arrête, messieurs, à moins que vous ne me présentiez des personnes respectables qui me garantissent que vous êtes de loyaux sujets.

— Conduisez-moi devant un magistrat civil, répliqua le bailli, devant le shérif ou le juge du canton. Je ne suis pas obligé de répondre aux questions que voudra me faire chaque habit rouge.

— Eh bien ! monsieur, je sais comment m’y prendre avec des gens qui ne veulent point parler. Et vous, monsieur, me dit-il, quel est votre nom ?

— Francis Osbaldistone, monsieur.

— Quoi ! fils de sir Hildebrand Osbaldistone du Northumberland ?

— Non, monsieur, interrompit le bailli, fils de William Osbaldistone, chef de la grande maison Osbaldistone et Tresham de Crane-Alley à Londres.

— Je crains, monsieur, dit l’officier, que votre nom ne fasse qu’augmenter les soupçons qui existent contre vous ! Il me met dans la nécessité de vous prier de me remettre tous les papiers que vous pouvez avoir sur vous. »

Je remarquai qu’à cette requête les montagnards se regardèrent avec inquiétude.

« Je n’en ai point, » répondis-je.

L’officier ordonna que je fusse désarmé et fouillé. Résister eut été une folie ; je remis donc mes armes, et me soumis à la recherche, qui fut faite avec autant de politesse que le comporte une opération de cette espèce. Ils ne trouvèrent que le billet qui m’avait été remis par l’hôtesse.

« Je ne m’attendais nullement à cela, dit l’officier, mais j’y trouve un motif suffisant pour vous retenir prisonnier ; car je vois que vous êtes en correspondance avec ce brigand proscrit, Robert Mac-Gregor Campbell, qui est depuis si long-temps le fléau de ce district. De quelle manière expliquerez-vous cela ?

— Des espions de Rob ! s’écria Inverashalloch ; pour en faire justice, il faut les pendre au premier arbre.

— Nous nous sommes mis en voyage, dit le bailli, pour aller réclamer de l’argent qui nous est dû, et ceci sera tombé par hasard entre les mains de ce jeune homme. Il n’y a pas de loi, j’espère, qui défende à un homme d’aller demander son bien.

— Comment cette lettre se trouve-t-elle entre vos mains ? » me dit l’officier.

Ne pouvant me décider à trahir la pauvre femme qui me l’avait remise, je gardai le silence.

« En savez-vous quelque chose, mon camarade ! » dit l’officier à André, dont les mâchoires claquaient comme une paire de castagnettes depuis la menace proférée par le montagnard.

« Certainement, j’en sais quelque chose. C’est un montagnard qui a remis cette lettre à cette vieille bavarde d’hôtesse. Je puis jurer que mon maître n’en savait rien.

— Si l’on me remet une lettre pour un homme qui est chez moi, ne dois-je pas la lui rendre ? dit l’hôtesse. Oh ! je ne sais ni lire ni écrire ; par conséquent…

— Taisez-vous, bonne femme ; on ne vous accuse pas… Continuez, l’ami, reprit l’officier.

— C’est tout, monsieur l’Habit-Rouge ; seulement, comme mon maître a l’intention d’aller dans les montagnes pour voir Rob, je vous assure, monsieur, que ce serait vraiment une bonne œuvre que de le faire accompagner à Glasgow par quelques-uns de vos habits-rouges, de gré ou de force. Quant à monsieur Jarvie, vous pouvez le garder aussi long-temps que vous voudrez ; il est bien en état de payer toutes les amendes que vous voudrez lui imposer, et mon maître également, pour dire toute la vérité. Quant à moi, je ne suis qu’un pauvre garçon jardinier, et je ne vaux pas la peine que l’on s’occupe de ma personne.

— Ce que j’ai de mieux à faire, dit l’officier, est d’envoyer ces trois messieurs au quartier-général, sous bonne escorte. Ils paraissent être en correspondance directe avec l’ennemi, et je ne veux, sous aucun rapport, me trouver responsable de les avoir laissés en liberté. Messieurs, vous voudrez bien vous regarder comme mes prisonniers. Dès le point du jour je vous ferai conduire en lieu de sûreté. Si vous êtes ce que vous prétendez être, on ne tardera pas à le reconnaître, et deux ou trois jours d’emprisonnement ne seront pas un grand malheur. — Je n’écoute rien, » dit-il au bailli qui avait la bouche ouverte pour lui parler ; « mon service ne me laisse pas le temps d’entrer dans de vaines discussions.

— Fort bien, fort bien, monsieur ! dit le bailli, vous pouvez maintenant chanter tout à votre aise ; mais prenez garde que je ne vous fasse danser avant peu. »

L’officier et les montagnards eurent alors une conférence sérieuse, mais ils parlèrent si bas qu’il nous fut impossible d’en entendre un mot. Aussitôt après ils sortirent tous. Alors le bailli me dit : « Ces montagnards sont des clans de l’ouest, et, si ce que l’on dit est vrai, tout aussi peu scrupuleux que leurs voisins ; s’ils viennent du bout du comté d’Argyle pour faire la guerre à ce pauvre Robin, c’est à cause de quelque vieille haine qu’ils ont contre lui et contre son clan ; les Grahame et les Buchanan du comté de Lennox ont pris les armes par le même motif. Leurs griefs sont bien connus, et je ne puis les blâmer. Personne n’aime à perdre sa vache. Et puis voilà des soldats, pauvres diables ! qui sont obligés de marcher au premier signal. Le pauvre Rob en aura assez sur les bras demain, quand le soleil paraîtra sur la montagne. Eh bien ! quoiqu’un magistrat ne doive rien désirer contre le cours de la justice, du diable si je serais fâché d’apprendre que Rob leur a donné à tous un bon coup de peigne ! »



  1. Lymphads, dit le texte, pour désigner la galère que la famille d’Argyle et le clan des Campbell portent dans leurs armes. a. m.
  2. Lochow et les pays adjacents étaient les propriétés originaires des Campbell, et c’était une expression proverbiale que a far cry to Lochow, par allusion à un combat entre deux clans éloignée de tout secours. a. m.
  3. The maiden, espèce de couteau d’une guillotine grossière autrefois en usage en Écosse. a. m.
  4. Soc dont le bailli s’était armé. a. m.
  5. Phrases locales dont le sens est clair pour des Écossais, mais nullement pour des Français. a. m.