Rodogune princesse des Parthes/Appendice

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Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome IV (p. 509-511).
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APPENDICE.



ANALYSE DE LA RODOGUNE DE GILBERT[1],
PAR LES FRÈRES PARFAIT[2].


Rodogune, femme d’Hydaspe, roi de Perse, commence la pièce, et raconte à ses fils, Artaxerce et Darie, qu’Hydaspe, vaincu dans une bataille, et prisonnier de Tigrane, roi d’Arménie, a fait sa paix avec ce roi, en épousant la princesse Lydie sa sœur. Ce récit est suivi d’imprécations contre son infidèle époux, et contre Lydie, qui vient remplir sa place au trône de Perse. Oronte, que Rodogune a envoyé sur la route de la princesse Lydie, pour l’enlever, vient apprendre à cette reine que son ordre a été exécuté, et que Lydie est en sa puissance ; mais il ajoute que parmi les morts il a reconnu Hydaspe, roi de Perse. Ce dernier événement force Rodogune à feindre quelque douleur de la perte de son époux ; mais la joie de tenir Lydie en sa possession l’emporte sur sa politique. C’est ce qui termine le premier acte.

Le second ouvre par Rodogune et Lydie. La première accable d’injures sa malheureuse rivale. La suite de cet acte ressemble absolument, pour le fond et la marche, au second de M. Corneille : également dans celui-ci Rodogune propose à ses fils de la défaire de Lydie, et met la couronne et le droit d’aînesse, dont elle seule sait le secret, à ce prix. Les princes refusent de servir sa vengeance : ils restent ensemble ; et comme ils sont tous deux amoureux de Lydie, Artaxerce, qui tient ici la place de Séleucus dans la tragédie de Corneille, Artaxerce, dis-je, offre à Darie tout ce qu’il peut espérer de sa naissance, s’il veut lui céder Lydie.

DARIE.

De cent peuples fameux il faut être vainqueur,
Avant que de prétendre une place en son cœur.

Quoi que vous me disiez et quoi que je vous die,
L’on ne peut séparer l’empire de Lydie ;
Cette illustre beauté veut une illustre cour :
Ici l’ambition s’accorde avec l’amour.
En vain nous opposons ces passions diverses,
Il faut que son époux soit monarque des Perses ;
Et puisque la couronne appartient à l’aîné,
Il faut qu’un seul l’obtienne et soit seul fortuné,
Et sans que le plus jeune en prenne jalousie,
Qu’il ait seul la Princesse et l’empire d’Asie.

Voici comment M. Corneille fait répondre Antiochus, qui se trouve dans le même cas de Darie :

ANTIOCHUS.

Un grand cœur cède un trône, et le cède avec gloire, etc.[3].

Nous abandonnons ici l’extrait de la pièce de Gilbert, qui n’est qu’une copie très-mal faite de la tragédie de M. Corneille, pour passer à la scène où Artaxerce et Darie pressent Lydie de déclarer ses sentiments pour l’un ou pour l’autre. Après quelque refus, enfin elle dit :

LYDIE.

Entre deux grands héros difficile est le choix.
Puisque vous le voulez, je vous veux satisfaire.
Vous et moi nous pleurons la mort de votre père :
De parricides mains l’ont mis dans le tombeau,
Avant que notre hymen fît luire son flambeau.
Je veux de mon amour lui donner une preuve :
Ayant reçu sa foi, je dois agir en veuve.
Soyez dignes de moi, je veux l’être de vous :
Perdez les assassins d’un père et d’un époux ;
Lavez dedans leur sang leur noire perfidie ;
C’est par là seulement qu’on peut avoir Lydie ;
Elle n’épousera, quoi qu’ordonne le sort,
Que celui de ses fils qui vengera sa mort.

Rodogune de M. Corneille répond aux deux princes qui la conjurent de prononcer entre eux :

RODOGUNE.

Eh bien donc ! Il est temps de me faire connoître, etc.[4].

Passons présentement au cinquième acte de la tragédie de Gilbert, qui n’a rien emprunté de celui de Corneille ; aussi est-il misérable du commencement à la fin. Rodogune, qui veut faire périr Lydie, a donné ordre à Oronte de lui amener cette infortunée princesse. Oronte revient avec Lydie et apprend à la Reine que Darie, ayant voulu s’opposer à son dessein, s’est précipité sur les gardes avec si peu de précaution, qu’il est tombé mort d’un coup d’épée, où il s’est enferré. Rodogune regrette ce fils, qu’elle avait déclaré roi, et veut venger sa mort sur Lydie. Survient Artaxerce, qui par ses menaces suspend la fureur de la Reine. Darie, qui n’a reçu qu’une légère blessure, vient chercher sa chère Lydie. Rodogune, surprise de cet événement, change de caractère. Elle embrasse Lydie[5], lui demande son amitié, l’unit avec Darie, et promet de marier Artaxerce avec la sœur de Lydie, qui a été faite prisonnière avec cette princesse.


  1. Voyez le commencement de la Notice, p. 399 et suivantes.
  2. Histoire du Théâtre françois, tome VI, p. 298-305.
  3. Voyez ci-dessus, p. 436 et 437, dans la Rodogune de Corneille, les vers 151-868.
  4. Voyez ci-dessus, p. 470 et 471, les vers 1011-1047.
  5. Il y a ici un peu d’exagération dans l’analyse des frères Parfait ; il faudrait dire simplement que Rodogune, ayant appris que Lydie avait épousé Hydaspe par contrainte, perd sa haine contre elle, et consent à tous les arrangements de famille qui forment ce singulier dénoûment.