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Rome contemporaine/5

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Lévy Frères (p. 128-141).

V

le jeu des couteaux[1].


Si les couteaux romains n’étaient jamais sortis de Rome, j’en aurais dit assez long sur cette curiosité locale. Mais dans l’état actuel de la société, lorsque les réfugiés italiens abondent en plusieurs pays et que leurs couteaux ensanglantent les tavernes de Londres comme les cabarets de Constantinople, je crois faire acte de bon citoyen de l’Europe en traitant sérieusement une question de sécurité européenne.

Avant tout autre propos, et dût-on s’en étonner en France, je commencerai par faire un compliment aux assassins de ce pays-ci : ils ne sont pas des voleurs. Dans presque toutes les grandes villes de ma connaissance, sur dix assassinats commis, il y en a six qui ont le vol pour but. On tue un homme pour avoir son argent, comme un renard pour avoir sa peau. Les Romains tiennent le vol en souverain mépris. Leur délicatesse un peu émoussée ne fait pas fi d’une escroquerie habile, d’une concussion publique ; mais le vol proprement dit les révolte. Essayez de crier au voleur ! dans les rues de la ville. Qu’un habitant du quartier des Monts (il y en a beaucoup qui ne valent pas cher) s’amuse à dérober un mouchoir de dix sous, la foule lui courra sus avec un acharnement incroyable. Que serait-ce donc s’il avait tué avant de faire son coup ? On l’assommerait sur place, n’en doutez pas un instant.


J’ai sous les yeux la liste de deux cent quarante-huit assassinats commis dans la ville, entre 1850 et 1852. Sur cette multitude de crimes, il y en a juste deux qu’on explique par le vol. Le reste est venu à la suite de discussions de vanité ou d’intérêt, de rivalités en amour, de querelles au jeu, de propos injurieux échangés après boire. La violence du sang, du vin et du printemps a fait les neuf dixièmes du mal.

Pour la plupart des cas qui ont amené ces coups de couteau, un Français aurait donné un coup de poing, un coup d’épée, ou une assignation en justice. Ni les coups de poing, ni les duels, ni les procès ne plaisent au peuple de Rome. Les coups de poing ne marquent pas assez profondément la supériorité du vainqueur ; le duel expose le bon droit à périr ; la longueur des procédures et la vénalité de presque tous les juges inspirent aux citoyens l’horreur des procès. Tout s’arrange à coups de couteau, même les affaires de famille. Je trouve à la même page un frère frappé par son frère, un beau-frère par son beau-frère, deux gendres par leurs beaux-pères, et un neveu par son oncle. Un oncle du Gymnase se serait contenté de dire : « Mon coquin de neveu ! »


En 1853, les tribunaux de l’État romain ont puni 609 crimes contre les propriétés, et 1344 contre les personnes. La même année les cours d’assises jugeaient en France 3719 hommes accusés de vol, et 1921 prévenus de crimes contre les personnes. On pourrait conclure de cette statistique que les Romains sont plus emportés et plus honnêtes que nous.


Vous faut-il du fruit nouveau ? Voici le travail qui s’est opéré en six jours, vers la fin du mois d’avril 1858. Vous verrez que le printemps se fait sentir en Italie.

« À la caserne Serristori, le voltigeur Maurizi a tué d’un coup de couteau le grenadier Caponia. Affaire de jeu.

« On a fait charivari sous les fenêtres d’un vieillard nommé Ferri, qui se mariait en troisièmes noces. Il a assommé d’un coup de pierre un des concertants, nommé Bernardini.

« Le vigneron Bravetti a été tué d’un coup de pioche par un marchand de salade qu’il accusait de voler des asperges dans sa vigne.

« Quelques jeunes gens qui avaient passé la journée au cabaret, traversent la rue du Mascaron. Une discussion s’élève, un de ces messieurs entre chez un boulanger, prend un couteau, et vient frapper de trois coups mortels le nommé Vaccari, âgé de vingt et un ans. Il se rend ensuite chez le père de Vaccari et le tue. Mesure de prudence !

« La femme Caroline Paniccia et Juan son mari sortaient d’un cabaret après avoir soupé, lorsqu’ils furent assaillis à coups de couteau par le nommé Pierazzi. La femme est blessée, le mari est mort. Pierazzi était amoureux de la femme et jaloux du mari.

« Le jeune Alphonse Ambrogioni, âgé de 13 ans, a tué sa belle-sœur en lui coupant la carotide. Les Ambrogioni en voulaient à cette jeune femme parce que l’un d’eux, Pierre Ambrogioni, avait été forcé de l’épouser après l’avoir séduite. »


On peut dire sans paradoxe que, sur dix assassins à Rome, il y en a au moins un qui n’eût pas tué s’il avait eu un autre moyen de se faire rendre justice. Mais l’argent, le crédit, les protections sont choses si difficiles à surmonter, qu’un pauvre homme offensé dans son honneur ou lésé dans son bon droit ne s’adresse jamais qu’au couteau.

Je ne crains pas d’affirmer, pendant que j’y suis, que sept ou huit meurtriers sur dix se garderaient de tirer leur couteau s’ils savaient d’avance qu’un bourreau leur coupera la tête. Mais ils sont presque aussi sûrs de l’impunité qu’ils seraient sûrs du châtiment en France ou en Angleterre.


Presque tous les rapports de police que j’ai cités tout à l’heure se terminent uniformément par cette phrase sacramentelle : « Le coupable s’est dérobé par la fuite. » Le peuple, au lieu de les poursuivre, leur prête les mains. À ses yeux, l’assassin a raison, et la victime était dans son tort. Nos Romains de la plèbe n’ont pas plus de mépris pour un assassin que les Parisiens pour un homme qui a tué loyalement son adversaire en duel. Et de fait, c’est un véritable duel que l’assassinat tel qu’il se pratique ici. Lorsque dans la chaleur de la discussion deux hommes en sont venus à certaines paroles, ils savent que le sang doit couler entre eux ; la guerre est implicitement déclarée ; la ville entière est le terrain choisi : la foule est le témoin accepté de part et d’autre, et les deux combattants savent qu’à toute heure du jour et de la nuit il faut se tenir en garde. La plèbe croit donc, et ce n’est pas un préjugé facile à déraciner, que le meurtrier est un juste.

On protège sa fuite. Où va-t-il se réfugier ? Pas bien loin. La ville est pleine d’asiles. Les ambassades, l’Académie de France, les églises, les couvents, le Tibre sont autant de sanctuaires où la loi ne pénètre pas. Si un homme poursuivi menace de se donner la mort, la police est tenue de le laisser fuir ; c’est pourquoi le Tibre est un asile inviolable. On craint que le prévenu ne se jette à l’eau et ne périsse sans confession. Celui qui parvient à saisir un moine par sa robe est en sûreté, comme s’il embrassait les cornes de l’autel. Les gendarmes suivent le moine en criant d’une voix suppliante : « Cher petit frère ! (fraticello ! ) lâche-le : c’est un assassin ! — Je ne saurais, répond le moine : il ne veut pas s’en aller ! » Le donneur de coups de couteau arrive ainsi jusqu’à la porte du couvent.


Quelques cavaliers de la division d’occupation rencontrent sur la route de Ponte Molle un malfaiteur traqué par la police. Ils se mettent à sa poursuite, bride abattue. L’homme court au Tibre, et pour faire une niche à l’armée française, il se noie. Cela fit une grosse affaire, et je crois que la diplomatie s’en mêla un peu. Nos soldats n’auraient pas dû mettre un homme dans le cas de mourir sans confession.


Le possesseur d’un lieu d’asile est libre de recevoir ou d’expulser les coupables. Je sais qu’à l’Académie de France, par exemple, M. Schnetz se renseigne avec soin sur les hôtes qui font invasion chez lui. Qu’il arrive un pauvre garçon menacé des galères pour avoir mis une fille dans l’embarras, les portes s’ouvriront à lui toutes grandes. Mais je les ai vu fermer devant un drôle qui s’accusait gaiement d’une peccadille (una cosetta) contre nature.


Entre Velletri et la mer il y a dix lieues de pays qui sont un lieu d’asile. Ce vaste terrain, qu’on appelle la plaine Morte, est d’une insalubrité reconnue. On sait que les meurtriers n’y vivront pas longtemps ; on sait d’ailleurs que des innocents ne consentiraient pas à assainir un tel pays. Les coupables y restent impunis et occupés à des travaux publics, jusqu’à ce que la fièvre ait fait contre eux la besogne du bourreau.

Souvent l’assassin est dérobé aux lois par le crime d’un autre assassin. Une fille tombe sous le couteau à quatre heures du soir ; on relève le cadavre de son meurtrier avant la nuit. Le crime était déjà expié lorsque la justice en eut connaissance. Aussi arrive-t-il que le coupable se livre lui-même pour échapper aux vengeances privées, et préfère la prison à tous les autres lieux d’asile.

Quand la justice le tient, voici une autre série de difficultés qui commence. On ne trouve pas de témoins qui déposent contre lui. Vous ressusciteriez le mort lui-même, qu’il ne dirait pas le nom de son meurtrier. On ramasse un homme éventré dans la rue et respirant encore un peu. « Qui t’a mis dans cet état ? — Personne ; va chercher le prêtre et ne parlons pas du reste. » Il a réglé ses comptes avec un ami ; il ne songe plus qu’à les régler avec Dieu. Un homme en poignarde un autre : l’un part pour le bagne, l’autre pour l’hôpital. Quand l’un sera libéré et l’autre guéri, ils se donneront la main sans rancune. Mais si le blessé avait avoué devant les juges qu’il eût reçu une blessure, ni l’assassin, ni ses parents, ni ses amis ne le laisseraient jouir de sa convalescence.

Le refus de déposer en justice est un mal tellement incurable, qu’on ne trouve pas de témoins, même contre les voleurs. Je vous ai dit cependant s’ils sont détestés ! Nous les détestions aussi au collège, et nous nous faisions également un point d’honneur de ne les pas dénoncer. Nous les mettions en quarantaine, nous les faisions passer par les armes, à grands coups de balle élastique ; mais nous aurions cru nous déshonorer nous-mêmes en les livrant au maître d’étude. Les Romains sont enfants à tout âge, comme nous l’étions à quinze ans.

Leur aversion pour les voleurs s’est manifestée, il y a deux ou trois ans, lorsqu’on en a fustigé un sur la place du Peuple. C’était un nommé Pietro Brandi, si j’ai bonne mémoire. Il avait jeté la confusion dans une fête publique pour pêcher en eau trouble quelques porte-monnaie et quelques mouchoirs de poche. Sa spéculation avait coûté la vie à deux ou trois personnes et la santé à plusieurs. Les juges le condamnèrent à recevoir vingt-cinq coups de nerf de bœuf, non pas sur la plante des pieds. La foule accourut à son supplice comme à une réjouissance. Elle criait à chaque coup : « Bravo ! Frappe fort ! » Mastro Titta, gagné par l’enthousiasme du peuple, ajouta un vingt-sixième coup pour la bonne main ; c’est le nom italien du pourboire.

Dans le même pays, chez le même peuple, un paysan s’aperçoit qu’on lui a volé son cochon. Il devine le coupable, court à sa maison, et trouve encore l’animal attaché devant la porte. « Des témoins ! dit-il ; sainte Madone, envoie-moi des témoins ! » Enfin, un homme passe ; il lui saute au collet : « Tu vois ce cochon ?

— Quel cochon ? dit l’autre, qui flaira aussitôt une odeur de témoignage.

— Par tous les saints, tu n’es pas aveugle ! il y a là un cochon.

— Non, il n’y a pas de cochon.

— Tu ne vois pas un cochon, là, devant cette porte ?

— Je ne vois pas de cochon. Adieu, je cours à mes affaires. »

Le volé arrêta dix témoins l’un après l’autre ; pas un ne voulut voir le cochon. « Puisque tu ne vois rien, dit-il au dernier, je vais détacher cette corde et la rapporter chez nous avec l’animal qui pend après. » C’est par-là qu’il aurait dû commencer.

Les Romains avouent eux-mêmes que les lois pénales n’ont été appliquées chez eux que sous la domination française. En ce temps-là, le pouvoir était assez fort pour contraindre les témoins à dire ce qu’ils avaient vu, et pour les rassurer sur les suites de leur déposition.


Ce n’est pas que les moyens de répression manquent au gouvernement pontifical. Il a des prisons bien tenues et des bagnes en bon état. La prison cellulaire existait à l’hospice Saint-Michel cent ans avant d’être inventée par les Américains. La guillotine est une machine italienne qui date du treizième ou du quatorzième siècle. Mais presque tous les papes se sont transmis, d’âge en âge, des principes de douceur et d’indulgence sénile qui désarment un peu la loi. Les exécutions capitales ont toujours été excessivement rares dans cet État, où, d’après la statistique de 1853, il se commet plus de quatre meurtres par jour. Il est difficile qu’un souverain vieilli dans l’exercice d’un ministère de paix s’embarque un beau matin dans une guerre vigoureuse contre les violences de ses sujets. L’éducation de la plèbe romaine est à refaire. Il faut amollir de force ces natures brutales, que la moindre contrariété entraîne aux derniers excès. Il faut leur apprendre à respecter la vie humaine comme une chose sacrée ; il faut, dans l’intérêt de leur pays et de toute l’Europe, modifier violemment leurs idées sur l’assassinat. Tant qu’il y aura dans le monde civilisé un royaume où l’on tue un homme comme on boit un verre de vin, la civilisation sera un état provisoire, sujet à toute sorte d’accidents.


Il n’y aurait pas des ruisseaux de sang à répandre pour arrêter définitivement ce jeu des couteaux. Léon XII n’a pas décimé son peuple pour guérir la plaie du brigandage : nous n’avons pas eu besoin de dépeupler la Corse pour supprimer les bandits. De même il suffirait ici de quelques coups bien frappés, et surtout frappés en temps utile. Les animaux les plus nobles ne profitent d’une correction que si elle suit immédiatement la faute ; nos terribles plébéiens de Rome sont un peu dans le même cas que les chevaux de race et les chiens d’arrêt. Si un procès criminel pouvait se mener tambour battant, si l’expiation suivait le crime à quelques jours de distance, le peuple, à qui tout est spectacle, n’assisterait pas à un mauvais exemple sans recevoir aussitôt une bonne leçon. Mais quand un coupable est exécuté dix ans après son crime (c’est une chose qui se voit), les témoins de l’exécution n’ont que de la pitié pour cette tête qui tombe. On se figure que le meurtrier serait en droit d’invoquer la prescription, et le seul mot qu’on entende circuler dans la foule, c’est poveretto ! Le pauvret !

Au mois de juillet 1858, M. le général comte de Noüe, galant homme s’il en fut, et partisan dévoué de l’autorité pontificale, s’arrêta quelques semaines à Viterbe. Dans une de ses promenades, il entendit plusieurs voix mâles qui chantaient des psaumes dans la prison de la ville. Ces choristes étaient vingt-deux condamnés à mort qui attendaient depuis plusieurs années l’heure de l’exécution.

Le gouvernement lui-même se fait comme un cas de conscience de mettre à mort un homme repenti et peut-être amendé. Je vous ai dit qu’il était d’une bonté et d’une douceur paternelles ; j’aurai plus d’une fois à répéter le même éloge. Un pape ne saurait oublier qu’il représente ici-bas le Dieu de miséricorde ; le saint-père, quel qu’il soit, a toujours horreur du sang. Mais il me paraît juste que la miséricorde s’applique d’abord à ceux qu’on assassine, et le premier devoir de ceux qui ont horreur du sang est d’effrayer ceux qui le répandent.

Il y a quarante ans encore, le meurtrier d’un prêtre était démembré comme un poulet rôti sur la place du Peuple[2]. Je ne demande pas qu’on revienne à ces férocités du moyen âge : la suppression légale d’un homme est par elle-même un fait assez effrayant, sans qu’on l’entoure d’un appareil si monstrueux. Mais on ne m’ôtera pas de l’esprit qu’il faut des exemples à Rome, pour supprimer cette école du couteau qui établit des succursales partout.


En attendant qu’on se mette à punir les assassins, on est dans l’usage de les envoyer aux galères. Je ne compte pas ce voyage au nombre des châtiments, car les forçats ne sont pas à plaindre. Mieux logés, mieux vêtus et mieux nourris que la plupart des gens du peuple, ils travaillent juste autant qu’il leur plaît, et leur travail est rétribué. Enfin, ce qui couronne tout, c’est qu’ils jouissent de la considération universelle. Je n’exagère rien ; les forçats sont bien vus. Non-seulement on les plaint, quoiqu’ils ne soient pas à plaindre ; non-seulement on s’arrête dans les rues de Rome pour leur donner de l’argent, mais la main qui leur fait l’aumône ne dédaigne pas de leur serrer la main. Pourquoi pas ? la peine ne saurait être plus honteuse que le crime, et le peuple n’a point de raison pour mépriser après le jugement ceux qu’il admirait presque après l’assassinat.

Si, malgré les avantages qui leur sont assurés par la loi et par les mœurs, l’ennui vient à les prendre, ils n’ont qu’à le dire. La liberté leur sera rendue un jour ou l’autre. La peine des travaux forcés à perpétuité se commue assez facilement. Vingt ans de galères sont bientôt finis. D’abord l’année est de huit mois au bagne ; et puis les réductions arrivant coup sur coup, pour peu que le patronage s’en mêle, un jour l’assassin voit les portes s’ouvrir, et, moitié content, moitié fâché, il retourne à l’exercice d’un métier honnête dont il a perdu l’habitude.


Ne craignez pas que la tache de son passé le signale au mépris du monde. Il serait trop curieux qu’un forçat libéré fût moins estimé qu’un forçat en activité de service. On le trouve un peu moins intéressant, voilà tout. Lui-même parle de ses corvées comme un soldat de ses campagnes. Il dit avec un petit sentiment d’orgueil : quand j’étais là-bas !

J’ai rencontré ces jours derniers à Frascati une excellente figure de paysan. Le bonhomme cheminait, piano, piano, sur son âne, dans un chemin assez escarpé. Sa femme le suivait d’un peu loin, attendu qu’elle portait une commode sur la tête. Je liai conversation avec ce modèle des maris, et la tournure de son esprit me plut. La conversation tomba, je ne sais comment, sur les coups de couteau il y avait quelques jours que les coups de couteau me trottaient par la tête.

« Monsieur, me dit-il, voilà plus de six ans que les fêtes de nos villages ont perdu moitié de leur prestige. Du temps que la vigne n’était pas malade et qu’on buvait du vin tant qu’on voulait, il n’y avait pas une foire où l’on ne tuât quatre ou cinq hommes. J’en ai abattu plus d’un, quand j’étais jeune ; mais l’âge vient, c’est fini. On ne peut pas être et avoir été.

— Et il ne t’est jamais arrivé malheur en justice ?

— Si, si ; pardonnez-moi. J’ai fait deux ans à Civita-Vecchia. Vous me rappelez le plus beau temps de ma vie. Oh ! le bagne ! Vous n’y êtes jamais allé dans votre pays, Excellence ? »



  1. Ce chapitre, qui manque absolument d’actualité, fut écrit quelques mois après l’attentat du 14 janvier 1858. Je le conserve ici pour les détails curieux et authentiques qui y sont consignés. Mais chacun sait que depuis un an et plus tous les Italiens dignes de ce nom ont quitté le couteau pour prendre l’épée.
  2. « Ludovico monta l’échelle de l’échafaud…
      « Mastro Titta tire de dessous sa casaque rouge un gros bâton pointu et l’examine avec soin. Il joue ensuite avec ce gourdin comme un tambour-major avec sa longue canne à pomme d’argent… Enfin, il l’empoigne ferme, le fait tourner deux fois autour de sa tête et frappe le condamné sur la tempe gauche.
      « Un cri d’horreur part de la foule. La victime tombe comme un bœuf et son corps commence à se débattre dans l’agonie…
      « Mastro Titta jette son gourdin loin de lui, au milieu de la foule. Il s’abat de nouveau sur la victime, tire un long couteau de boucher, et l’égorge. Puis, avec le même couteau, il lui fait un cercle profond autour du cou, comme pour tracer la ligne, et coupe ensuite la tête qu’il montre au peuple. Le sang de cette tête rougit le bourreau, tandis que deux jets s’élancent du cou coupé et vont inonder la robe du prêtre. Vous croyez que c’est fin ? Non. Mastro Titta coupe les deux bras à la clavicule, les deux jambes au genou du cadavre, et ramassant des pieds et des mains, bras, jambes, tête, tronc, il jette le tout dans un coffre en bas de l’échafaud…
      « Un an après, mourait à l’hôpital de Santo-Spirito un jeune homme de bonne famille ; il avoua que c’était lui qui avait tué Mgr Traietto pour venger un outrage. »
      Petruccelli della Gattina, Prélim. de la Quest. rom., chap. v, pages 44 et 45.