Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre/Préface

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PRÉFACE


L’idée d’écrire une Vie de Sébastien Castellion comme thèse de doctorat ès lettres avait été soumise à M. Victor Leclerc : c’est assez dire à quelle date lointaine remonte ce travail. L’aimable et savant doyen, qu’aucune question d’histoire littéraire ne prenait jamais au dépourvu, accueillit immédiatement ce sujet avec faveur, pourquoi ne pas le dire, avec joie : « Beau sujet, répétait-il, peut-être trop beau, car il est double ; Castalion a une place à part sur les confins de deux domaines qui ne se sont jamais confondus, justement parce qu’ils se touchent : la Renaissance et la Réforme ». Puis, dans une de ces causeries qui étaient de vraies leçons avec l’abandon et la grâce en plus, sans consulter d’autre livre que sa mémoire, il se mit à tracer les grandes divisions de l’étude à faire, indiquant les points où il faudrait insister. « Seulement » ajouta-t-il, en allant chercher dans sa bibliothèque un volume du Dictionnaire de Bayle, « si vous voulez ajouter quelque chose à cet excellent article, qui est jusqu’ici ce que nous avons de meilleur sur Castalion, il faut recourir aux sources. Il y en a de merveilleuses pour votre sujet dans les bibliothèques et les archives de Genève, de Bâle et de Zurich. Commencez par là, faites-y une fouille à fond, vous reviendrez les mains pleines, et nous en recauserons. Vous y perdrez beaucoup de temps qui ne sera pas du temps perdu. » Et son dernier mot fut, sur un ton de douce insistance et avec un sourire que je vois encore : « Surtout, jeune homme, surtout ne vous pressez pas ! »

Si le bon doyen avait pu savoir à quel point son conseil serait suivi !

Quelques mois de travail dans ces bibliothèques si sûrement indiquées eurent un premier effet qu’il avait peut-être prévu tout bas, connaissant bien les jeunes gens et ayant une si grande expérience de leur inexpérience. Jeté en pleine mine, au milieu de tant de richesses, comment se borner, comment choisir ? Ô les longues et délicieuses journées passées, grâce à l’hospitalité patriarcale des archivistes, dans la chambre haute du vieil Antistitium de Bâle ou au fond du dépôt des archives à Zurich, en tête à tête avec ces manuscrits jaunis, effacés, parfois illisibles, mais si vivants ! Il faudrait n’avoir jamais eu cette sensation du contact direct avec le passé que donnent les documents originaux pour ignorer qu’il n’y a rien de si neuf que les vieux livres et que, sous leur air d’antiquité, ils cachent des trésors de fraîcheur et de poésie. Mais c’est là même qu’est la tentation pour les jeunes travailleurs que ne guide pas une discipline vigilante : plus on trouve, plus on veut trouver, les matériaux s’amassent, le sujet s’étend et le travail avance d’autant moins que ses bornes reculent. En attendant, la vie marche avec ses obligations réelles, le temps passe, et l’on s’aperçoit un jour que l’âge des études est fini longtemps avant que la thèse le soit. Qui n’arrive pas trop jeune au doctorat est presque sûr d’y arriver trop vieux. Ce livre en est une nouvelle preuve.

Il faut quelque courage pour avouer comment il a fini par voir le jour. Dix fois interrompu et chaque fois par un long intervalle, il ne fut jamais abandonné tout à fait, même alors que l’auteur devait plus que personne désespérer d’en voir le terme. Mais l’œuvre de jeunesse menacée d’une venue trop prompte[1] s’était changée en un fruit tardif de l’âge mûr. Il a fallu l’écrire page à page et, comme on disait au xvie siècle, succisivis horis, en thésaurisant les quarts d’heure perdus, en s’obstinant pendant des années à ajouter soir et matin quelques moments studieux à des journées qui n’étaient pas celles d’un oisif. On voudrait pouvoir se dire que ce sont là des confidences superflues et que


… le temps ne fait rien à l’affaire.


Mais le lecteur en jugera sans doute autrement, il n’aura pas de peine à découvrir les défauts et les raccords d’une trame tant de fois et si laborieusement renouée. Et c’est pourquoi on plaide ici les circonstances atténuantes. Si un livre n’est jamais trop mûrement pensé, il peut, être trop lentement écrit, et ce n’est pas impunément qu’un auteur vit vingt ans avec son héros même par intermittence.


Et pourtant j’ai confiance que Castellion arrive chez nous à son heure, qu’à tout prendre ce pieux et libre penseur, cet apôtre.de la tolérance a plus de chances aujourd’hui qu’il n’en aurait eu il y a vingt ou vingt-cinq ans, de trouver en France les sympathies qu’il mérite.

Il semble que la tolérance soit une idée bien vieille déjà, presque banale et à laquelle nous ne saurions plus prendre un bien vif intérêt. — Une expérience récente a fourni aux moralistes l’occasion très imprévue d’observer le contraire. Un généreux anonyme avait ouvert un concours sur ce sujet : la liberté de conscience, et ce que le concours a surtout mis à lumière, c’est qu’il reste encore singulièrement à faire pour que cette notion pénètre au fond des esprits et dans la masse même de la société cultivée, pour qu’elle soit aussi claire et aussi ferme, aussi réfléchie et aussi profonde que nous nous en flattions. Comme le prouve avec tant de force et de pénétration le Rapport[2] qui a été certainement le plus beau fruit du concours, à l’inverse du temps passé, nos institutions sont à cet égard en avant de nos mœurs; nous ne brûlons plus personne, mais nous haïssons encore, presque à notre insu, l’opinion adverse; nous savons supporter la croyance d’autrui, mais savons-nous l’aimer, la respecter à l’égal de la nôtre, tout simplement parce que c’est une croyance?

Au fond, il y a sous l’idée de tolérance tout autre chose qu’une question de douceur et de mansuétude, il y a toute une philosophie, il y a toute une théologie impliquée par ce seul mot, et c’est ce qui fait de ce sujet tout autre chose aussi qu’un lieu commun. Si rien n’est plus banal que la tolérance née du scepticisme, de l’indifférence ou de la lassitude, rien n’est plus neuf au contraire ni plus difficile, qu’une théorie raisonnée de la tolérance prise dans son ampleur.

La raison dernière et la seule solide de la liberté religieuse, c’est la conviction qu’il existe deux domaines distincts, celui de la science et celui de la conscience; qu’il y a deux méthodes et deux certitudes correspondant à deux ordres de choses, l’ordre des faits scientifiques, l’ordre des faits moraux; que dans l’un il faut tendre à l’unité, qui est la marque du vrai, dans l’autre à la diversité, condition nécessaire de la sincérité; que les mathématiques se démontrent et que la religion se sent; que la foi ne vaut que si elle est l’acte propre de l’àme et que l’àme ne vit que si elle est libre; que dès lors toute atteinte à la liberté de la pensée religieuse et du sentiment religieux est une entreprise criminelle autant qu’absurde, également déshonorante pour qui l’impose et pour qui l’accepte.

Au moment même où notre pays mettait la liberté de conscience au premier rang des droits de l’homme, Kant en donnait le fondement métaphysique, il en faisait la théorie, il démontrait la légitimité du principe et la fécondité de ses conséquences en séparant hardiment la critique de la raison pure de celle de la raison pratique. Certains esprits ont pu feindre de s’y méprendre, lui reprocher d’aboutir logiquement au scepticisme et d’en sortir pratiquement par une contradiction. Mais en dehors de l’école, traduite en langue vulgaire sa doctrine a été si bien comprise qu’elle est devenue la base de toutes les philosophies du siècle : à côté du monde de l’intelligence, elle découvrait le monde de la volonté et elle affirmait que les lois de celui-ci ne sont pas celles de celui-là : l’un est mû par des forces aveugles, l’autre par une force libre; à l’un président les lois de la nature, à l’autre la loi morale. Ce n’est pas une contradiction, c’est la constatation de deux réalités distinctes dont il nous faut respecter l’essentielle distinction.

Or, c’est dans le monde moral que se place tout le problème religieux et non pas ailleurs. Du coup, les diverses solutions de ce problème, se mouvant toutes dans une autre sphère que celle de la science proprement dite, peuvent et doivent déposer cette prétention à l’absolu, qui est la racine de toutes les intolérances, de tous les fanatismes. Ainsi est enfin résolu le problème de concilier les droits de la conscience avec les droits de la vérité.

C’est le sens profond du mot fameux sur les deux majestés que Kant salue dans un passage qui est une immortelle prière : le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, la loi du devoir au fond de notre âme. Par l’une et par l’autre voie, le divin nous apparaît : par la science avec les caractères de la science, certitude rigoureuse, inflexible, invariable, impersonnelle; par la conscience avec les caractères de la conscience, certitude morale, œuvre de la volonté et du sentiment, se traduisant en une conviction personnelle aussi impérative qu’indémontrable.

Cette révolution décisive dans la direction de la pensée humaine, s’il était réservé au génie de Kant de la fonder sur une incomparable analyse de l’esprit humain, l’obscur professeur de l’Université de Bâle en avait eu du moins la claire et certaine intuition, et il l’avait exprimée dans tous ses écrits. C’est l’honneur du protestantisme d’avoir été dans le monde moderne la première école de philosophie, alors même qu’il s’en défendait. Sans doute, quelques-uns de ses représentants les plus illustres et Calvin à leur tête, entendaient bien fonder une religion d’autorité, opposer à l’église catholique une église plus catholique, à l’orthodoxie romaine l’orthodoxie chrétienne, à l’infaillibilité du pape celle de la Bible. Mais à côté d’eux, d’autres fils non moins légitimes de la Réforme, guidés par l’instinct religieux qui leur faisait chercher Dieu dans la foi et non dans la croyance, dans la vie et non dans le catéchisme, inauguraient résolument, avant même de pouvoir la définir et la justifier, une tout autre méthode dont notre siècle seulement a trouvé la formule.

De tous les hétérodoxes protestants du XVIe siècle aucun n’a été à cet égard aussi simple, aussi clair, aussi profond que celui dont nous essayons de faire revivre le nom.

Et la preuve que son entreprise ne fut pas vaine, que son œuvre a été grande et durable, c’est qu’aujourd’hui encore, il suffirait de traduire son latin en français pour faire de ses Dialogues par exemple ou de ses Traités le programme et le manifeste de l’une des deux écoles théologiques entre lesquelles oscille toujours le protestantisme. Ou plutôt — car il faut lui rendre une justice plus entière, — Castellion semble avoir devancé les temps, et franchissant trois siècles, avoir écrit précisément en vue de l’état d’esprit final auquel le protestantisme devait tôt ou tard parvenir. C’est ce qui explique qu’on trouve aujourd’hui une saveur particulière à des ouvrages que le XVIIe ni le XVIIIe siècle n’ont pu comprendre, les jugeant à la fois trop avancés et trop pieux, d’une pensée trop hardie et d’un accent trop mystique. Aujourd’hui en effet le protestantisme français — nous ne voulons parler que de celui-là — achève une évolution qui mériterait d’intéresser le grand public si le grand public pouvait, s’intéresser à ce qui se passe dans un monde si petit et si fermé. La vieille querelle du rationalisme et de l’orthodoxie est épuisée, nous avons vu le combat finir faute de combattants. Il n’y a plus d’orthodoxes, disent les uns; il n’y a plus de rationalistes, disent les autres. Et tous deux ont raison. Il reste des protestants qui arrivent enfin à se rendre compte que, si le catholicisme rêve à tort ou à raison une absolue et parfaite unité dans l’immobilité du dogme, la raison d’être du protestantisme est d’offrir au contraire une variété de degrés, une souplesse de formes et une richesse de nuances qui ne sera jamais trop grande pour satisfaire aux exigences d’une pensée sans cesse en progrès, aux anxiétés d’une conscience morale de plus en plus délicate. Après tant de luttes stériles entre tant de sectes, il n’y a qu’un vaincu, c’est « l’intellectualisme » : de toutes parts — et le phénomène éclate bien au delà des limites du protestantisme — on a senti la sécheresse et sondé l’inanité des doctrines qui ne s’adressent qu’à l’intelligence et qui n’engagent qu’elle. On ne peut plus se nourrir de dogmes ni d’antidogmes : l’âme humaine demande à retourner aux sources vives, elle a soif de vie, elle s’aperçoit que de toutes les réalités les plus réelles sont celles qui se définissent le moins, elle veut rapprendre à aimer et à prier, à pleurer et à espérer, non pas suivant les règles d’un dogmatisme ou d’un positivisme quelconque, mais par cet élan du cœur et par ce sens du divin qui n’est que l’épanouissement du sens moral; elle se remet à la recherche du Dieu inconnu sentant trop ce qui manque au Dieu connu de chaque système; elle replace enfin au cœur de la religion le sentiment religieux qui en est l’essence. C’est précisément là toute la philosophie et toute la théologie de notre Castellion, elle n’est pas encore passée à l’état de lieu commun, et c’est pourquoi il n’est pas encore trop tard pour lui faire sa place dans nos annales.

Par la plus fortuite des coïncidences, le même jour et à la même heure où la Sorbonne voulait bien accueillir avec sympathie l’obscur antagoniste de Calvin, il était ailleurs bien plus présent encore. Une autre soutenance de thèse avait lieu devant la Faculté de théologie protestante de Paris et là ce n’était pas le nom de Castellion, c’était le plus pur de sa doctrine et de son esprit qui s’exprimait avec une rare puissance.

Plusieurs pages et les pages de doctrine capitales du travail original de M. le pasteur Léopold Monod sur le Problème de l’autorité rééditent avec une ressemblance d’autant plus saisissante qu’elle s’ignore quelques-unes des thèses vingt fois énoncées par Gastellion sur la véritable autorité, sur la véritable inspiration, sur la véritable foi. Et l’on ne s’étonne plus qu’à trois siècles de distance ces deux protestants se rencontrent jusque dans les mots, quand on a remarqué l’identité de leur principe fondamental : « la foi n’est pas la croyance », dit le moderne ; fides non intellectus sed volantatis est, disait son devancier du XVIe siècle ; l’un définit la foi une « énergie de l’âme », l’autre dit : « fides, christiana virtus ». Tous deux écrivent mot pour mot que « l’inspiration peut se trouver sans l'infaillibilité », tous deux affirment que « l’autorité de la Bible réside dans celle de l’esprit de Dieu, c’est-à-dire dans une autorité vivante qui opère sur les esprits, comme une puissance active, éducative qui disci pline, corrige, forme à la justice de vrais hommes, des hommes de Dieu », tous deux enfin entendent « que croire en Jésus-Christ c’est non le répéter, mais le suivre ; que son disciple est non pas celui qui sait rendre correctement ses idées, mais celui qui reproduit sa vie sur la terre ».

Et la même Faculté de théologie qui terminait l’année scolaire sur ces définitions dont la hardiesse vient de la profondeur même du sentiment religieux, rouvrait ses cours quelques semaines après par un exposé plus magistral et non moins hardi de la même doctrine. Le doyen, en signalant la thèse de M. Monod comme un signe des temps, « saluait l’aube qui blanchit au ciel de notre jeune théologie et dont la vue remplit d’allégresse les vieux combattants », et après lui le nouveau professeur de critique et d’exégèse du Nouveau Testament, dans une leçon d’ouverture dont le retentissement sera long, consacrait tous les grands principes qui caractérisent « la Réforme dans la Réforme », et les plaçait sous les auspices du véritable inspirateur du protestantisme moderne, Alexandre "Vinet[3].
Nous n’avons garde de contredire à cette filiation, que tout justifie; nous demandons simplement le droit de la prolonger dans le passé et de rappeler à cette « jeune théologie » un ancêtre oublié que nous serions tentés d’appeler, si ces rapprochements n’étaient toujours défectueux, le Vinet du XVIe siècle.

Il me reste un devoir doux à remplir : c’est d’exprimer publiquement ma gratitude à ceux dont le bienveillant concours m’a rendu possible l’achèvement de ce travail. Je dois à un grand nombre de Bibliothèques des villes et des Universités d’Allemagne les éléments d’une bibliographie des ouvrages de Castellion, incomplète encore, mais la plus étendue qui ait été publiée jusqu’à ce jour. M. Dziadzko, d’abord à Breslau puis à Gœttingue, m’a particulièrement aidé avec la plus grande obligeance. De Hollande plusieurs bibliothèques, depuis celles des églises de Remontrants jusqu’à celles de l’Université et de l’Etat, m’ont confié, avec cette libéralité que les travailleurs ne se lassent pas de donner en exemple à d’autres pays, des livres rarissimes comme ceux de David Joris et des manuscrits de Castellion. En Belgique j’ai eu le bonheur d’intéresser à mon travail M. Ferdinand Vander Haeghen, dont tous les amants du XVIe siècle ont éprouvé à la fois l’inépuisable érudition et l’inépuisable bonté. En Suisse, je pourrais presque nommer comme des collaborateurs de cet ouvrage, tant je leur dois de notes que je me suis fait honneur de reproduire textuellement : M. Théophile Dufour, directeur de la Bibliothèque de la ville de Genève et ancien directeur des archives, qui a bien voulu revoir tous les textes empruntés aux registres du Conseil, aux documents de la chancellerie; M. le pasteur Bernus, qui. à travers les plus accablantes occupations, a su trouver quelques moments pour me guider dans mainte partie obscure de l’histoire ecclésiastique de Bâle; M. le Dr Blœsch, directeur de la Bibliothèque de Berne, et enfin un homme dont je ne puis écrire le nom sans un serrement de cœur, l’excellent Louis Sieber, cet incomparable bibliothécaire que vient de perdre l’Université de Bâle. Je l’ai mis pendant des années à contribution, sans jamais lasser son obligeance ou déconcerter son savoir; sa seule vengeance était de m’écrire dans sa dernière lettre : « Prenez garde; vous avez doublé la mesure d’Horace, qui était la plus longue jusqu’ici connue : nonum prematur in annum ».

Est-il besoin de dire ce que je dois aux Bibliothèques de Paris? Mon humble héros avait fini par y être légendaire : à la Nationale M. Olgar Thierry Poux, cette providence des chercheurs d’aujourd’hui et des ignorés d’autrefois ; à la Mazarine M. Franklin et spécialement parmi ses collaborateurs M. d’Artois; enfin à la Bibliothèque de la Société d’histoire du protestantisme, M. le pasteur N. Weiss, l’homme de France qui a creusé le plus avant et le plus heureusement dans les origines du protestantisme français, tous, ayant égard aux conditions invraisemblables où je devais travailler, m’ont aidé par leurs prêts de livres et par leurs obligeantes indications à terminer cette interminable œuvre de marqueterie. Je dois une mention spéciale à M. le pasteur Douen, le savant auteur, de l’étude sur Marot et le psautier Huguenot, qui a entrepris à mon intention une étude approfondie sur la Bible française, Castellion, reproduite en partie dans l’appendice du premier volume de cet ouvrage.

Castellion a eu une autre bonne fortune. Il n’existe de lui qu’un portrait de la fin du XVIIe siècle qui se trouve en tête de sa Bible latine. À cette froide et sèche gravure, M. Jean Paul Laurens a su donner la vie en lui laissant sa sévérité. Je sais trop le prix d’une telle faveur pour oser me l’attribuer tout entière : elle s’explique surtout par la sympathie que le grand artiste a conçue, à la lecture de quelques chapitres, pour l’humble héros de ce livre.

Enfin je manquerais à une dernière dette de reconnaissance, si je ne disais que l’exécution matérielle de cet ouvrage m’a été rendue possible par l’extraordinaire patience et des éditeurs et de l’imprimeur. Par des circonstances dont je n’étais pas le maître, il m’a fallu autant de temps pour imprimer ces deux volumes qu’il en faudrait raisonnablement pour les écrire. Un auteur disposant de si peu d’heures à répartir sur des années n’aurait jamais pu aborder la presse, s’il n’avait trouvé des secours ingénieux et un appui exceptionnel dans la vieille amitié des Hachette.

Paris, 20 décembre 1891.



PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS
__________________


1° OUVRAGES SPÉCIAUX SUR CASTELLION.


Outre l’article CASTALION dans le Dictionnaire de Bayle, dans les Dictionnaires, Lexiques et Encyclopédies de Moreri, d’Iselin, de Jöcher, de Leu, de Hagenbach, de Herzog, d’Ersch et Gruber, et surtout dans la France protestante et dans l’Encyclopédie des sciences religieuses (article de M. Lutteroth), la biographie de Castellion a été depuis le XVIIIe siècle l’objet de plusieurs publications spéciales.

Le meilleur travail et le plus complet au siècle dernier est celui de Jean Conrad Fuessli, l’éditeur du grand Thésaurus historiæ helveticæ, qui publia en 1770 à Leipzig « Sebastian Castellio, Lebensgeschichte » (in-8, 104 p.) et en 1775 à Amsterdam un résumé en latin sous le titre « Vita Sebastiani Castellionis » dans la Bibliotheca hagana (class. III, fasc.1). Un autre recueil allemand, le Hannoverisches Magazin, avait déjà publié en mars 1763 (p. 290-317) Nachlese zu Sebastian Caslellions, professor der griechischen Sprache zu Basel, Leben und Schriften, biographie partielle non signée, datée de 1760. Une autre courte biographie en français parut en 1792 dans un recueil de Portraits d’hommes illustres de la Suisse[4]. Une source plus ancienne, plus abondante et plus sûre, mais qui est restée à l’état de manuscrit, se trouve à Bâle : c’est le grand ouvrage de Rudin, Vitæ professorum.

C’est en 1863 qu’un successeur de Castellion à l’Université de Bâle, M. Jacques Mœhly, connu par plusieurs autres travaux d’érudition, fit paraître son excellente et substantielle étude : Sebastian Castellio, ein biographischer Versuch nach der Quellen (Bâle, Detloff, 1862, in-8). Quelques années plus tard un érudit français dont l’érudition se fait oublier tant elle est aimable, M. Jules Bonnet, publiait dans le Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français (2e série, t. III), et ensuite dans ses Nouveaux récits du XVIe siècle (Paris, Fischbacher, 1870, in-18), une étude attachante, écrite avec son élégance et son charme ordinaires sur « Sébastien Castalion ou la tolérance au XVIe siècle »[5]. On peut encore citer parmi les thèses de théologie de Strasbourg celle de M. Broussoux, janvier 1807, Sébastien Castellion, sa vie, ses œuvres et sa théologie, et parmi les publications d’intérêt local, les chapitres consacrés à Castalion dans la Notice historique sur le protestantisme dans le département de l’Ain, par M. Edmond Chevrier (Paris, Fischbacher, 1883, in-8)[6].


2o OUVRAGES GÉNÉRAUX.


Comme sources manuscrites, nous devons citer principalement :

À Bâle, les collections de lettres conservées à la Bibliothèque de l’Université de Bâle, notamment deux volumes, l’un G2, I, 23 (qui contient sous le no 69, Variorum ad Sebastianum Castalionem epistolæ autographæ, 35 lettres autographes reproduites in extenso ou par extraits dans notre Appendice), l’autre provenant des Archives ecclésiastiques (K.-A., c’est-à-dire Kirchen-Archiv), C. I. 2 (dont le tome II contient 24 pièces de la correspondance de Castellion avec Zerchintes et 27 lettres autographes Variorum epistolæ ad Sebastianum Castellionem) ; ainsi que le volume K.-A., C. IV, 7, Varia ecclesiastica basiliensia, où se trouve un fragment autographe du Contra libellum Calvini dont nous donnons un fac-similé[7] et l’Apologia… pro Serveto correcta manu C. S. Curionis[8] ; enfin, quelques pièces des volumes IX et XIX de la collection de lettres du Frey-Gryneisch Institut, à Bâle ;

À Genève, les Registres du Petit Conseil et les Registres du Consistoire ;

À Zurich, la correspondance manuscrite de Bullinger et la collection Simler ;

À Saint-Gall, la volumineuse correspondance de la famille Blaarer et nombre de pièces de celle de Vadian ;

À Rotterdam, à la Bibliothèque de l’Église des Remontrants, les manuscrits 505 et 506 contenant plusieurs copies de lettres de Castellion, de la main de son fils Nathanael, et tout le manuscrit de son traité de Prædestinatione, du De arte dubitandi, etc. ;

À Paris, un seul manuscrit de Castellion à la Bibliothèque Nationale, fonds latin, 8588 (dont nous donnons le fac-similé, t. II, p. 488-489).

Mais les documents d’importance vraiment capitale pour cette histoire sont épars dans les quelques grands recueils récemment publiés ou en cours de publication, que l’on trouvera cités presque à toutes les pages de ce travail :

HERMINJARD, Correspondance des Réformateurs, VII volumes qui, par l’abondance des textes inédits et par la richesse des notes de la plus profonde érudition, constituent un incomparable trésor pour l’histoire des origines de la Réforme en France et en Suisse : ce serait un malheur en même temps qu’un acte d’ingratitude publique si cette inappréciable collection ne se poursuivait pas ;

BAUM, CUMTZ et REUSS, Opéra Calvini, dans l’admirable édition de Brunswick, volumes XI-XXII, contenant le Thesaurus epistolicus Calvinianus, avec des notes de la plus haute valeur;

Les frères Haag, la France protestante, surtout dans les volumes déjà parus de la nouvelle édition si considérablement enrichie par M. Bordier et par ses courageux continuateurs;

AMÉDÉE ROGET, Histoire du peuple de Genève, qui sur les points spéciaux à Genève complète utilement le grand ouvrage de RUCHAT, Histoire de la Réformation en Suisse;

Pour Bâle, deux ouvrages spéciaux qui ajoutent beaucoup aux indications précieuses d’Herzog dans ses Athenæ rauricæ : R. THOMMEN, Geschichte der Universität Basel (Bâle, Detloff, 1889, in-8), et TH. BURCKHARDT-BIEDERMANN, Geschichte des Gymnasiums zu Basel (Bâle, Birkhæuser, 1889, in-8);

Les premiers chapitres de la remarquable Histoire littéraire de la Suisse française, par PHILIPPE GODET (Paris, Fischbacher, 1889, in-8), et presque tout le premier volume de l’Histoire littéraire de la Suisse romande, par VIRGILE ROSSEL (Genève, Georg, 1889, in-8);

Enfin, surtout pour ce qui touche la France, la précieuse collection du Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français, 40 volumes (Paris, Fischbacher, in-8), recueil dont on saura vraiment le prix quand il sera complété par des tables alphabétiques et chronologiques dignes de ce monument.



  1. On peut lire dans une note, p. 13 de la Notice sur le collège de Rive, par M. E. Bétant, Genève, 1866, in-8, avec une mention du travail de M. Mæhly de Bâle : « La France aura prochainement une monographie du même genre due à M. Ferdinand Buisson »
  2. La liberté de conscience, par Léon Marillier, rapport présenté au nom du jury du concours. Paris, A. Colin, 1890.
  3. Si c’était le lieu d’y insister, on signalerait parmi les publications toutes récentes comme symptômes irrécusables de la même tendance et de son rapide développement au sein du protestantisme : les deux admirables études de M. le professeur Sabatier, l’une lue à la Faculté, la Vie des dogmes, l’autre qui va paraître sous ce titre : « Le Nouveau Testament contient-il des dogmes? » ; l’article de M. Roger Hullard, la Théologie de la peur et la théologie de la foi; enfin les thèses de Chexbres, puisqu’on a nommé ainsi, à la façon du XVIe siècle, les propositions de M. le professeur Astié, de Lausanne, qui débutent par cette phrase significative : « L’intellectualisme, père de toutes les orthodoxies, a décidément fait son "temps ».
  4. 1. Portraits des hommes illustres de la Suisse, par Henri Pfenniger, peintre, accompagnés d’un abrégé historique de la vie de chacun d’eux, traduit de l’allemand de M. le professeur Meister, 1792, in-8, 316 p, — La biographie de Castellion occupe les pages 293-297, avec son portrait par Pfenniger, inspiré de celui du frontispice de la Bible latine.
  5. Signalons aussi la large part faite à Castellion dans l'Essai sur l’avenir de la Tolérance, par Ad. Schæffer (Paris, Cherbuliez, 1859, in-18) et dans le beau travail de M. Henri Lutteroth, la Réformation en France pendant sa première période (Paris, Meyrueis, 1859, in-8).
  6. Ces chapitres ont donné lieu à une analyse et à une étude excellemment faite dans le Progrés religieux de Strasbourg (3 et 10 mai 1884), par M. Rodolphe Reuss.
  7. Dans notre tome II, p. 486-491. — Voir aussi t. II, p. 32.
  8. Voir t. II, p. 9.