Aller au contenu

SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie II

La bibliothèque libre.
Sylva Sylvarum
Centurie II
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres7 (p. 258-367).

Centurie II.
Expériences et observations diverses sur les sons et la musique.

La musique, quant à l’exécution et à la pratique, a été jusqu’ici cultivée avec beaucoup de soin, et s’est enrichie d’observations aussi variées que multipliées, Mais il n’en est pas de même de la théorie, sur-tout de celle qui a pour objet cette connoissance des causes qui sert à rendre raison de la pratique. On l’a envisagée très superficiellement, et réduite à je ne sais quelles subtilités mystérieuses où l’on ne trouve pas plus de vérité que d’utilité. Ainsi, nous allons, suivant notre méthode ordinaire, joindre la théorie à la pratique.

101. Tous les sons possibles se divisent en deux classes ; savoir : les sons musicaux, communément appelés tons, dont toute espèce d’harmonie est composée[1], et qui sont toujours égaux (toujours les mêmes, uniformes), classe où l’on peut ranger les chants, les sons, tant des instrumens à vent ou à cordes, que des voix modulées ; enfin, ceux des cloches, des timbres, etc. et les sons non musicaux, sons toujours inégaux, tels que la voix d’un homme qui parle, qui murmure ou qui chuchote, les voix des animaux terrestres, et celles des oiseaux, (à l’exception des oiseaux chantans) ; tous les sons que rendent certains corps frappés ou frottés, comme pierres, bois, peaux (par exemple, celle d’un tambour), et une infinité d’autres corps analogues.

102. Les sons qui constituent les tons proprement dits, sont produits par des corps, dont la texture est uniforme (soit quant aux pores, soit quant aux parties solides), et analogues en cela aux sons mêmes qu’ils rendent ; ils sont l’effet de la percussion, soit des métaux, comme dans les cloches ou les timbres ; soit du verre, comme dans ceux que l’on fait résonner à l’aide d’une chiquenaude ; soit de l’air, comme dans les voix chantantes, dans les différentes espèces de flûte, grandes ou petites, dans les orgues et autres instrumens à vent ; soit enfin de l’eau, comme dans ces espèces de flûtes qui font partie des orgues portatives, et qui imitent le chant du rossignol, ou dans les grandes orgues ; ou enfin dans toutes ces machines hydrauliques et musicales qui furent autrefois en usage, et dont Néron faisoit si grand cas ; mais qui, étant tombées depuis en désuétude, sont aujourd’hui inconnues[2]. Si quelqu’un, supposant que les cordes d’un instrument, l’archet (le crin) et l’instrument même ne sont pas des corps d’une texture uniforme, s’imaginoit que, nonobstant le défaut de cette condition, ils ne laisseroient pas de produire encore des tons, il serait certainement dans l’erreur ; car, dans un violon, le son ne s’engendre pas plus entre l’archet et le corde, qu’il ne s’engendre entre la corde et le doigt ou la plume, dans d’autres instrumens ; mais entre la corde et l’air[3]. En sorte que, tout examiné, il n’est que trois sortes de percussion qui puissent produire des tons ; savoir : celle des métaux, nom sous lequel nous comprenons aussi le verre, celle de l’eau et celle de l’air.

103. Le diapason, ou l’octave musicale, est un accord très agréable, et peut même être regardé comme une sorte d’unisson ; ce dont il est aisé de s’assurer par soi-même sur un luth ou un violon garni de cordes un peu grosses[4], et en faisant résonner ensemble deux cordes, dont les tons soient à cet intervalle de l’octave, ce qui ne produira qu’un seul son (plus fort), et il en sera de même de toute autre huitième note en montant ; par exemple, de la quinzième, comparée à la huitième ; de la vingt-deuxième, comparée à la quinzième, et ainsi de suite à l’infini ; ce ne sont que des degrés du diapason[5]. La cause de ce phénomène singulier est encore inconnue ; et comme on n’a pu jusqu’ici en rendre raison, c’est un point qui mérite d’être approfondi. L’air, qui est le sujet général du son, ne laisse pas, dans ceux mêmes qui ne doivent pas être regardés comme des tons (et qui, par cette raison, sont très inégaux, comme nous l’avons dit plus haut), ne laisse pas, dis-je, d’être susceptible d’un grand nombre de modifications, toutes différentes, toutes distinctes, comme le prouvent les différentes voix des animaux, et principalement celles des hommes ; car on distingue fort bien les uns et les autres, un à un, par la seule différence de leur voix : c’est ce que prouvent également ces différentes combinaisons qu’on peut faire des sons des lettres simples ; combinaisons d’où résultent les sons articulés et composés, qui, de tous les sons connus, paroissent être les plus variés. Dans ces autres sons, appelés tons, et toujours égaux (uniformes), l’air n’est pas susceptible d’un si grand nombre de modifications différentes, mais il est forcé de prendre une seule et même figure, qui peut être plus grande ou plus petite. C’est ainsi qu’à l’aide de lignes droites ou courbes, perpendiculaires ou obliques, on peut composer une infinité de figures possibles, et toutes différentes, pour peu qu’on suppose que les lignes qui forment ces différens assemblages, sont de différentes espèces, inégales, ou inégalement inclinées ; mais des cercles, des quarrés, des triangles équilatéraux, etc. (toutes figures composées de lignes semblables, égales et également inclinées, ou toutes perpendiculaires), sont tous semblables entr’eux, et ne peuvent différer que par leurs grandeurs[6].

104. Comme on pourroit s’imaginer que nous attribuons au nombre 8, une vertu particulière, d’où résulte la propriété de l’octave, il est nécessaire d’observer que, si l’on a préféré ce nombre à tout autre, c’est parce que, pour la facilité et la précision du calcul, il a fallu choisir un nombre qui pût se diviser et se sous-diviser toujours par deux et sans reste, jusqu’à l’unité ; mais, dans l’échelle des sons, si l’on s’élève successivement d’un ton quelconque jusqu’à son octave, on rencontre deux bémols (deux demi-tons) ; car, si vous divisez l’octave en parties égales, vous trouverez qu’elle n’est composée que de sept tons entiers[7], lesquels subdivisés en demi-tons, comme ils le sont sur un luth, forment treize sons différens[8].

105. Il est vrai que, lorsqu’on élève ou baisse la voix, dans les cas mêmes où l’on ne pense guère à cette division par tons entiers ou par sémi-tons (ce qu’on appelle ordinairement la mesure égale), on ne laisse pas de rencontrer encore deux demi-tons ; variation qui dépend de la nature même des sons. En effet, essayez d’élever ou de baisser votre voix d’une octave, en marchant, ou par sémi-tons, comme on le peut faire avec les doigts sur un luth, à l’aide de ses divisions, ou par tons entiers, vous n’en pourrez venir à bout : par où l’on voit que la nature et la loi de l’harmonie (de la mélodie) exigent, après trois tons entiers, l’interposition d’un demi-ton[9].

106. Il faut encore observer (quelque vertu qu’on doive ou qu’on veuille attribuer aux nombres pour déterminer les accords) que cette vertu doit moins être attribuée au nombre entier lui-même qu’à celui qui le précède ; je veux dire que, si, après six tons entiers ou douze demi-tons, le même son revient, la septième ou la treizième note n’y fait rien ; mais que c’est la sixième où la douzième qui fait tout ; la septième et la treizième n’étant, pour ainsi dire, que les limites et les confins de ce retour[10].

107. Pari les accords musicaux, soit parfaits, soit imparfaits, qui se trouvent entre l’unisson et l’octave, le plus agréable de tous est la quinte, puis la tierce[11], ensuite la sixte, qui est un peu plus dure (aigre, revêche), ainsi que la quarte (du moins, suivant le goût des anciens, et même de beaucoup de modernes, y compris le mien) ; accord que les Grecs appelloient diatessaron. Je ne dis rien de la dixième, de la douzième, ni de la treizième, et ainsi de suite à l’infini ; parce que ces accords ne sont que des retours ou répétitions des précédens ; savoir : de la tierce, de la quinte et de la sixte, dont ils sont les octaves respectives.

108. De toutes les dissonances, les deux plus choquantes sont la seconde et la septième, dont l’une est immédiatement au-dessus de l’unisson ; et l’autre, immédiatement au-dessous de l’octave[12] ; deux exemples qui prouvent que la loi de l’harmonie exige entre les tons dont on la compose, une certaine distance déterminée.

109. Dans une symphonie, si un ton ne forme point de dissonance avec la basse (quand même il en formeroit une ou plusieurs avec les autres parties), l’harmonie n’est point troublée, pourvu toutefois qu’on excepte la seconde, qui de toutes les dissonances est la moins supportable. Ainsi, les quatre parties fondamentales de toute symphonie sont l’octave, la quinte, la tierce et la basse, qui composent ce qu’on appelle l’accord parfait[13] ; mais si l’on part du premier dessus, cette quinte alors est une quarte[14], et la tierce est une sixte[15]. La raison de cette loi est que la basse étant plus grosse, et frappant une plus grande quantité d’air, couvre, noie, pour ainsi dire, le premier dessus, et efface ainsi un léger défaut ; ce qu’elle ne fait pas, lorsque la dissonance est extrêmement choquante. Nous voyons en effet que telle des dernières cordes d’un luth ne donne aucun des sons de la première corde, ni même aucun des sons intermédiaires, mais seulement le son de la basse[16].

110. Nous n’avons point de symphonie composée de quarts de ton, attendu que ces quarts de ton ne sont susceptibles d’aucune harmonie ; car on voit que les demi-tons eux-mêmes ne reviennent que de temps en temps. Cependant il est certains tremblés et certains coulés qu’on fait sur les instrumens à cordes ou avec la voix, en passant par une gradation non interrompue d’un ton à un autre, et qui ne laissent pas de flatter beaucoup l’oreille[17].

111. Actuellement s’agit-il de savoir pourquoi, parmi les sons, il en est qui flattent l’oreille, et d’autres qui la choquent ? Il sera plus facile de rendre raison de cette différence, en comparant les sons de ces deux espèces aux objets qui peuvent flatter ou choquer la vue. Or, abstraction faite de la représentation des formes, qui ne sont que des objets secondaires, et qui ne plaisent ou ne déplaisent qu’autant qu’on se rappelle des formes semblables, il est deux choses qui flattent la vue ; savoir : les couleurs et l’ordre. Le plaisir que procure la vue des couleurs, a de l’analogie avec celui que fait éprouver un ton simple et unique. Mais le plaisir qui naît de la vue de l’ordre, est l’image de celui qui naît de l’harmonie. Voilà pourquoi ces formes régulières qu’on donne aux arbres dans les jardins, ou aux tapis de verdure, ainsi que les sculptures, les moulures, etc. dans les édifices ; et généralement toutes les figures qui ont de la proportion et de la régularité, telles que les globes, les pyramides, les cônes, les cylindres, etc. plaisent à la vue ; au lieu que l’inégalité, la confusion et l’irrégularité n’ont rien que de déplaisant. Or, ces deux genres de plaisirs qui sont communs à l’ouïe et à la vue, naissent de l’observation constante des justes proportions. C’est donc cette régularité, cette symétrie, qui enfante l’harmonie. Mais en quoi précisément consiste cette proportion et cette symétrie ? c’est un point difficile à déterminer, et enveloppé d’une profonde obscurité. Cependant nous hazarderons quelques tentatives sur ce sujet, quand nous traiterons des tons, dans la recherche qui aura pour objet les sons en général.

112. Les sons musicaux, ou tons, ont moins d’aptitude pour provoquer le sommeil, que beaucoup d’autres espèces de sons, tels que celui du vent, le murmure d’une eau coulante, le bourdonnement des abeilles, une lecture faite par une personne quia la voix douce[18]. La raison de cette différence est que les sons musicaux étant plus déterminés, n’échappent pas aussi aisément à l’oreille, excitent davantage le sentiment, et fixent plus long-temps l’attention. Or, on sait qu’une trop grande attention est un obstacle au sommeil[19].

113. On trouve dans la musique certaines figures, certains tropes fort semblables à ceux de la rhétorique, et qui répondent soit aux diverses affections de l’âme, soit aux autres manières de sentir. Par exemple, ces divisions de la voix, ces cadences qui sont si agréables en musique, ont du rapport avec la scintillation de la lumière, et avec cette impression que font sur l’œil les rayons de la lune, jouant, pour ainsi dire, dans une eau agitée. De plus, la sensation qu’excite en nous le passage d’une dissonance à des consonances, a de l’analogie avec ce qu’on éprouve lorsqu’après de pénibles agitations, cette tempête des passions s’apaisant peu à peu, on se trouve enfin d’accord avec soi-même ; et le passage des consonances à une dissonance a de l’analogie avec ces saveurs naturellement déplaisantes, qui ne laissent pas de plaire, lorsque leur effet est de réveiller l’appétit ; car on sait que la sensation continue d’une saveur excessivement douce, offense et émousse le goût[20]. Cette autre figure musicale, qui consiste à décliner la finale, ou la chûte d’un air, ressemble assez à cette figure de rhétorique, qui consiste à tromper l’attente ; et la petite surprise qu’elle occasionne, ne laisse pas d’être agréable[21]. Les répétitions ou les fugues ont de l’analogie avec la figure de rhétorique connue sous le nom de répétition ou de traduction. Enfin, les triples croches, ainsi que les changemens subits de mesures et de mouvemens, répondent aux changemens soudains des passions ou des affections, et rappellent assez bien ce qui arrive, lorsqu’au milieu d’une danse, certains gestes et mouvemens universels de gaieté sont excités tout-à-coup[22].

114. C’étoit chez les anciens une opinion reçue, et établie sur l’expérience, que les innovations relatives à la modulation et à l’harmonie, peuvent produire les plus grandes altérations dans les mœurs ; que l’on peut, par ce seul moyen, donner aux hommes de l’énergie et du courage, ou les amollir et les efféminer, les rendre guerriers ou pacifiques, sérieux ou gais, barbares ou compatissans ; la raison de cette puissante influence de la musique, est que les émotions relatives à l’ouïe ont pour cause des impressions plus immédiates que celles qui se rapportent aux autres sens, et que les impressions de la première espèce sont plus incorporelles que celles qui constituent l’odorat. Car les organes respectifs de la vue, du goût et du tact, n’ouvrent pas aux esprits un accès, un passage aussi facile et aussi immédiat que l’organe de l’ouïe. Quant à l’odorat, qui, ainsi que l’ouïe, agit immédiatement sur les esprits, et dont les sensations ont un puissant effet, tant que l’objet est présent, les impressions qui s’y rapportent ne laissent pas d’avoir pour cause une émission de substance de la part du corps odorant. Au lieu que l’harmonie, s’insinuant aisément, sans aucune addition de substance, ni aucun mouvement, et opérant sur les esprits par une action souvent réitérée, doit à la longue les affecter puissamment, même lorsque l’objet de la sensation est éloigné ; affection qui a nécessairement de l’analogie avec sa cause, parce que les sons produisent dans les esprits une disposition, un arrangement de parties semblable à celui dont ils sont l’effet. Ainsi, il n’est pas douteux que les tons, les chants, les modulations, n’aient une certaine affinité naturelle avec nos affections. Car nous voyons que, parmi ces tons, il en est de gais, de tristes, de solennels, de tendres, de guerriers, etc. et si l’on considère que ces tons ont la faculté de mettre les esprits en mouvement, on ne sera pas étonné qu’ils y produisent de si grandes altérations. Cependant, quoique les sons musicaux, par leurs variations, puissent varier la disposition des esprits, et, par ce moyen, faire naître des affections analogues à ces dispositions et à eux-mêmes, on a observé que l’effet le plus général de la musique est de fomenter, de nourrir la disposition même où étoient les esprits, avant qu’elle se fît entendre[23]. Il est également certain que, parmi les tons divers et les chants qui en sont composés, les uns plaisent à tels individus ou à telles nations, et les autres à d’autres, selon le plus ou le moins d’affinité que ces tons et ces chants peuvent avoir avec la disposition naturelle des esprits, dans ces nations ou ces individus.

Expériences et observations diverses sur des tons, et premièrement sur les corps et les mouvemens sonores ou non sonores.

La perspective est une science qu’on a jusqu’ici cultivée avec soin ; et la nature des sons est un sujet dont on s’est aussi fort occupé, mais seulement par rapport à la musique. Aussi, généralement parlant, n’a-t-on encore, sur ce dernier sujet, que des observations et des théories très superficielles. On le regarde comme un des plus profonds mystères de la nature, et l’on désespère de le pénétrer. Notre plan, comme nous l’avons déjà dit, étant de joindre aux sujets très matériels que nous traitons ordinairement, d’autres sujets plus immatériels, ou qui participent moins de la matière, nous allons traiter des sons, afin que l’entendement puisse éviter à la fois les deux extrêmes ; l’un, de se perdre dans une multitude immense d’objets trop diversifiés ; l’autre, de s’attacher trop obstinément à une seule espèce d’objets.

115. En premier lieu, on doit observer qu’il est dans la nature de très grands mouvemens qui s’exécutent sans bruit : le ciel ; par exemple, tourne avec la plus grande rapidité ; mouvement qui n’est accompagné d’aucun son, quoique certains philosophes aient rêvé qu’il produisoit la plus suave harnonie. De même les mouvemens des comètes et des météores ignées (tels que les étoiles tombantes), ne produisent aucun son. Si l’on étoit tenté de croire que c’est la grande distance qui empêche le son que rendent ces corps, de parvenir jusqu’à nous, il suffiroit, pour se désabuser, de tourner son attention vers les éclairs et ces différens genres de lumière qu’on voit briller dans un espace qui n’est pas extrémement éloigné de nous, et qui ne sont accompagnés d’aucun bruit ; quoique des mouvemens si rapides ne puissent avoir lieu sans que l’air soit frappé et éprouve une sorte de déchirement. Les vents poussent les nuages et les mettent en mouvement dans la région supérieure de l’atmosphère ; mouvement presque imperceptible pour nous, vu la grande distance où nous sommes de cette région ; et ces nuages passent sans bruit. Ces vents plus bas qui soufflent dans les plaines, et qui ne sont pas d’une extrême violence, ne produisent non plus aucun son ; mais s’ils soufflent entre des arbres, alors ils se font entendre. En général, lorsque les vents produisent quelque son, ce son est fort inégal, tantôt plus fort, tantôt plus foible ; quelquefois, lorsqu’étant portés à leur maximum, ils soufflent avec une sorte de fureur, le bruit sourd ou le sifflement qu’ils produisent, est accompagné d’une sorte de trépidation.

Lorsque la pluie et la grêle tombent, même avec la plus grande force, tant qu’elles traversent l’air, elles ne font aucun bruit, et elles ne se font entendre qu’au moment où elles heurtent contre la terre, l’eau, les maisons, et autres corps semblables. Le mouvement d’un fleuve rapide et coulant dans son lit, pour peu que ses eaux soient profondes, ne frappe point l’oreille ; il coule en silence : mais vient-il à heurter contre le fond, dans un endroit guéable, contre des sables ou des cailloux, alors on l’entend. L’eau qui se brise sur le rivage, ou qui est resserrée dans un canal étroit ; par exemple, celle qui coule sous les arches d’un pont, ou qui est choquée par les vents, roule à grand bruit, et fait entendre au loin une sorte de mugissement.

Une poutre, ou tout autre corps solide, poussé par un autre corps solide, mais sans qu’il y ait de choc, ne rend aucun son. De même, si l’on met deux corps l’un sur l’antre, quelque forte que puisse être la dépression que le corps supérieur exerce sur le corps inférieur, ni l’un ni l’autre ne font de bruit. De même encore ces mouvemens excités dans les petites parties d’un corps solide, et qui sont la principale cause du mouvement violent, cause inconnue jusqu’ici, s’exécutent sans bruit ; car ce bruit qu’on entend quelquefois en pareil cas, est produit par le froissement de l’air, et non par l’impulsion que ces parties exercent les unes sur les autres. Il paroît aussi que, dans tous les cas où un corps placé devant un autre, cède à son impulsion, ce dernier le suivant immédiatement, il n’en résulte aucun son, en supposant même que le mouvement soit très grand et très rapide.

116. L’air qui se déploie dans un espace où il est tout-à-fait libre, ne produit aucun son, à moins qu’il ne soit vivement frappé, comme il l’est par une corde qu’on fait résonner ; car alors l’air est frappé brusquement par un corps dur et roide ; et si cette corde n’est frappée, pincée ou pressée avec une certaine force, elle ne rendra aucun son : mais lorsque l’air est renfermé, comprimé, resserré dans une cavité, alors la plus légère percussion, occasionnée même par le simple souffle, suffit pour produire un son, comme dans les flûtes et tous les instrumens à vent. Mais il faut observer, par rapport aux flageolets ou aux flûtets, qui ne demandent que bien peu de vent, que leur concavité, sans cette espèce d’onglet qui forme le bec, et qui comprime l’air beaucoup plus efficacement que ne pourroit le faire la simple concavité, ne rendroient aucun son. Quant aux autres instrumens à vent, on y souffle avec beaucoup plus de force ; tels sont les trompettes, les cornets, les cors-de-chasse, etc. comme le prouve assez le renflement très marqué des joues de ceux qui les embouchent et les remplissent de l’air qu’ils tirent de leurs poumons. Les orgues exigent aussi une grande quantité d’air que des soufflets y poussent avec force. Remarquez de plus que, parmi les instruments à vent, il en est qu’on embouche par un petit trou placé sur le côté, et qui resserre l’air au moment où il entre ; et cela d’autant plus, qu’il y a un bouchon placé transversalement un pou au-dessus de l’embouchure, comme on le peut voir dans les flûtes traversières, les fifres, et autres instrumens de la même espèce, qui ne rendroient aucun son, si on les embouchoit comme les flûtes, par l’une de leurs extrémités. De même, quand on siffle, on contracte la bouche ; et pour en rétrécir encore davantage l’ouverture, on y emploie quelquefois les doigts, Mais une pierre ou un trait jetés dans un air libre, n’y produisent aucun son. Il en est de même d’une boule, à moins qu’il ne s’y trouve quelque concavité qui comprime l’air, tandis qu’elle tourne sur elle-même. Il en faut dire autant des flèches, qui ne feroient aucun bruit, si l’air ne se trouvoit resserré dans les petits intervalles que laissent entr’elles les barbes des plumes dont elles sont garnies. Les instrumens à vent, dont le tuyau est fort étroit, comme les chalumeaux des bergers, rendent un son, par cette raison même que leur tuyau est étroit, et que l’air y est beaucoup plus comprimé que dans ceux où la capacité est plus grande, et sur-tout plus large. La voix de l’homme, ou de tout autre animal, passe par le gosier ; espèce de canal étroit où l’air est aussi resserré et comprimé. Quant aux guimbardes, le son qu’elles rendent est l’effet de petits coups vifs et réitérés, donnés à l’air, mais à l’air resserré dans l’étroite capacité de la bouche.

117. Les corps solides, frappés très légèrement, ne rendent aucun son ; et c’est ce qui arrive, lorsqu’on marche doucement sur un parquet. De même, dans un temps sec, les coffres, les boîtes et les portes, qui alors s’ouvrent aisément, ne font aucun bruit. Les roues humectées d’eau ne crient plus.

118. Quoique la flamme d’une chandelle soit dans un mouvement très rapide, et fende l’air avec vitesse, cependant elle n’est pas sonore. L’air ne l’est pas non plus dans un four ou dans une fournaise, quoiqu’il y soit dans un état violent, dans une sorte d’ébullition, et même répercuté par les parois.

119. Lorsque la flamme choque l’air, elle produit un son, comme on l’observe dans un feu animé par le souffle ou par le vent d’un soufflet ; et ce son alors est plus fort qu’il ne seroit, si le soufflet agissoit sur l’air même. De même, le choc qu’une flamme qui se déploie en prenant l’air tout-à-coup, donne à ce fluide, produit un son. Enfin, des flammes d’un grand volume qui s’entre-choquent, produisent des vents accompagnés d’un bourdonnement ou d’un sifflement.

120. Si nous en croyons l’opinion populaire, il existe une poudre blanche, qui a assez de force pour porter une balle fort loin, mais dont l’explosion se fait sans bruit, Ce seroit une invention fort dangereuse (en supposant qu’elle ait quelque réalité) ; car, si on assassinoit un homme par ce moyen, on ne sauroit d’où est parti le coup. Mais il me paroît impossible qu’un air qui a été comprimé, et qui débouche avec tant de force, puisse faire, sans bruit, son explosion. Quant à cette poudre blanche dont nous parlons (toujours en supposant la possibilité d’un expédient pour éteindre et supprimer le son), je pense que ce pourroit être quelque mélange de salpêtre et de soufre, mais sans charbon (car le salpêtre ne pourroit prendre feu par lui-même). Ce seroit se tromper grossièrement, que de croire qu’on pourroit supprimer tout-à-fait ou amortir le son, en construisant le canon de l’arme à feu de manière que l’air, qui auroit été d’abord emprisonné, pût faire son éruption avant de parvenir à l’embouchure ; car alors le son pourroit tout au plus être divisé par ce moyen. Par exemple, si, dans le canon d’une arme à feu, on pratiquoit transversalement un autre canon, l’effet de cette construction seroit de produire plusieurs sons différens ; savoir : un, par l’orifice antérieur, et deux autres, par les deux orifices latéraux. Pour moi, je présume que, si, par un moyen quelconque, on pouvoit empêcher que l’air ne fût comprimé à l’embouchure de la piéce, la balle seroit chassée tout-à-fait ou presque sans bruit. Car, en premier lieu, il est certain qu’il ne résulte aucun son de l’impression de la flamme sur la balle, ni du choc qu’elle donne à l’air en le traversant (comme nous l’avons déja observé). De plus, si l’on fait ensorte qu’il n’y ait point d’air renfermé qui puisse frapper vivement l’air libre, il n’y aura plus aucune cause de son, et la balle n’en sera pas moins chassée, attendu que ce mouvement (comme nous l’avons dit tant de fois), est inhérent aux parties de la balle, et non à celle de l’air ; or, c’est ce dont on pourroit s’assurer par l’expérience ; par exemple, à l’aide d’une espèce de petit mortier de métal, qu’on rempliroit de poudre, et à l’embouchure duquel on placeroit une balle, dont une moitié déborderoit cette embouchure, et seroit exposée à l’air libre[24].

121. Je me souviens d’avoir oui dire à un homme qui se vantoit d’être initié dans les plus profonds secrets de la nature, mais en qui aucun talent distingué ne justifioit ses vanteries, qu’il avoit empêché l’effet d’une conspiration contre la vie de la reine Marie, sœur de la reine Elizabeth ; les conjurés se proposoient de faire agir sur elle un miroir brûlant, de dessus les plombs du palais, tandis qu’elle se promeneroit dans le parc Saint-James. Au fond, la chose ne seroit pas impossible, si l’on parvenoit à donner à un miroir brûlant autant de force qu’en avoient ceux avec lesquels, au rapport de certains historiens, on a brûlé des vaisseaux[25]. Car la simple percussion de l’air, à l’aide d’un miroir de cette espèce, ne produiroit aucun son, pas plus que n’en produisent de simples éclairs où autres lumières, sans tonnerre.

122. Le son dépend d’une certaine impression faite dans l’air par le corps sonore ; je me crois en droit de supposer que cette impression une fois faite, il faut un certain temps pour qu’elle parvienne au sens ; condition également nécessaire aux impressions visuelles ; et que, sans cette condition, le son ne pourroit être entendu. Ainsi, comme la rapidité du mouvement d’un boulet fait qu’il échappe à la vue, il est aussi tel mouvement si rapide, qu’il échappe à l’ouïe[26]. Car il est certain que la perception de l’œil est plus prompte que celle de l’oreille.

123. Toute éruption d’air, quelque petit que puisse être le volume de l’air qui se dégage, produit un son ; et on le désigne alors par les mots de décrépitation, de souffle, de crachement, etc. Tels sont aussi ceux du sel commun et des feuilles de laurier jetées sur le feu ; des châtaignes, qui font explosion et s’élancent du milieu des cendres ; du bois verd mis au feu, sur-tout des racines ; des chandelles, sur lesquelles on laisse tomber un peu d’eau, et qui lancent des flammèches ; des corps qu’on râpe, qu’on lime, qu’on scie ; de l’éternuement ; enfin, celui d’une feuille de rose, figurée en petite bourse, et qu’on rompt sur le front ou sur le revers de la main, comme les enfans s’amusent quelquefois à le faire.

Expériences et observations diverses sur la production, la conservation, la transmission du son, et les fonctions de l’air, dans ces trois cas.

124. On assigne ordinairement pour cause du son, le brisement ou froissement de l’air (ce qui ne signifie rien du tout, ou désigne apparemment la division de ce fluide, ou encore son atténuation). Mais au fond, ce mot dont on veut nous payer, n’est qu’un expédient à l’aide duquel on tâche de voiler son ignorance ; et si l’on se forme une telle idée de ce mouvement, c’est pour avoir envisagé un trop petit nombre de faits, suivant la marche ordinaire de la philosophie reçue ; car il n’est que trop naturel aux hommes de se contenter d’une explication à laquelle deux ou trois termes de l’art donnent un air scientifique, quoiqu’elle soit vuide de sens, et se réduise à ces mots. Mais ce qui démontre suffisamment la fausseté de cette supposition du brisement et de la division de l’air, c’est ce qu’on observe dans le son d’une cloche ou d’une corde d’instrument, etc. son qui, après la percussion, va en s’affoiblissant de plus en plus, et qui, dès qu’en posant la main sur le corps, on arrête son mouvement, meurt à l’instant. Or, cette subite extinction du son n’auroit pas lieu, s’il étoit l’effet du froissement de l’air ; et c’est ce dont on s’assurera encore mieux en frappant avec un marteau la surface extérieure de la cloche car alors le son répondra à l’intérieur à la concavité de cette cloche quoique le froissement[27] et l’atténuation de l’air n’ait lieu qu’entre le marteau et la surface extérieure. De plus, si le froissement de l’air étoit la véritable cause du son, les sons qu’on produiroit en frappant sur le métal, avec un marteau et une alène, alternativement, ne différeroient pas moins, par leur espèce (leurs tons), que par leur force ou intensité. Or, on n’observe point, entre ces deux sons, une différence du premier genre ; mais quoique l’un soit plus fort que l’autre, ils se ressemblent par le ton, qui, dans tous deux, est absolument le même. Ajoutez à cela que, dans ces sons répercutés (réfléchis) auxquels on donne le nom d’échos, et parmi lesquels on en distingue de plus clairs et de plus forts ; savoir : les premiers, qui diffèrent peu du son primitif et direct ; il n’y a point de nouveau froissement, de nouvelle division de l’air, mais seulement une répercussion (une réflexion). D’ailleurs, ce qui prouve sans réplique la fausseté de la supposition dont nous parlons, c’est que le son est quelquefois engendré dans tel lieu où il n’y a point d’air[28]. Cette opinion, et d’autres semblables se dissiperont comme autant de nuages, sitôt que l’entendement sera éclairé parla lumière de l’expérience.

125. Une vérité incontestable est que, dans le premier instant, aucun son ne peut être engendré sans l’intervention d’un mouvement local de l’air, de la flamme, ou de tout autre milieu ; mouvement auquel se joint une certaine résistance de la part de l’air on du corps même, Car, lorsqu’il n’y a d’autre mouvement que celui d’un corps qui cède à l’impulsion d’un autre, mais sans choc, il n’en résulte aucun son, comme nous l’avons déjà dit. Et c’est en quoi les sons différent de la lumière et des couleurs qui sont transmises par l’air, ou par tout autre milieu, sans qu’il y ait dans l’air aucun mouvement local, soit dans le premier instant, soit dans les suivans. Mais il est une distinction importante à faire entre le mouvement local de l’air (mouvement qui n’est que le simple véhicule de la cause), et les sons que l’air transmet[29]. Quant au premier point, il paroît qu’il ne s’engendre aucun son (pas même par le choc de l’air contre d’antre air, comme dans les orgues), qui ne soit accompagné d’un mouvement sensible dans l’air, et d’un certain degré de résistance de la part de l’air frappé ; par exemple, la parole humaine, qui n’est qu’un léger mouvement de l’air, est produite par une foible expulsion de celui qu’on tire des poumons. Et l’on voit aussi que les flûtes, et autres semblables instrumens, rendent tout à la fois du son et du vent. Nous voyons encore ques vents favorables transmettent, voiturent, pour ainsi dire, les sons beaucoup plus loin que ne le font les vents contraires ; et que ces sons, ainsi voiturés, deviennent alternativement plus forts et plus foibles, selon que le vent se renforce ou s’affoiblit. Quant à l’impression même qui constitue le son, c’est toute autre chose ; elle n’a rien de commun avec le mouvement local de l’air ; et c’est en quoi elle ressemble aux impressions visuelles. Car, après que le cri d’une personne, ou le son d’une cloche, a commencé à se faire entendre, tant que l’un où l’autre son dure, on ne peut distinguer dans l’air aucun mouvement local, mais seulement dans le premier instant. De plus, à quelque distance que le vent puisse porter la voix, il ne rend confuse aucune de ces configurations délicates, de ces fines articulations de l’air, d’où résulte cette multitude infinie de différences dont les mots sont susceptibles, De même, lorsqu’on parle à haute voix près de la flamme d’une chandelle, on n’y occasionne qu’un très léger mouvement de trépidation ; et si ce mouvement devient quelquefois très sensible, c’est sur-tout quand on prononce ces lettres qui exigent que la bouche se contracte notablement, tels que l’f, l’s et le v, et quelques autres : au lieu qu’en poussant foiblement son haleine, ou en soufflant légèrement, sans parler, on produira dans cette flamme un mouvement beaucoup plus sensible ; exemple qui prouve mieux que tout autre que le son, proprement dit, est absolument destitué de tout mouvement local. Car, quoique le son diffère de la lumière et des couleurs, en ce qu’au moment de sa production, il exige un mouvement local dans l’air ; d’un autre côté, il a, sous une infinité d’autres rapports, beaucoup d’analogie avec la vision et la radiation des objets visuels, lesquels certainement n’impriment à l’air aucun mouvement de cette espèce, même dans le premier instant, comme nous l’avons déjà dit[30].

126. Il est vrai néanmoins que les vitres des fenêtres sont sensiblement ébranlées par le bruit du tonnerre ou du canon[31]. On dit aussi que les poissons mêmes sont effrayés par le mouvement qu’occasionne un bruit de cette espèce, et qui apparemment pénètre danse l’eau jusqu’à une certaine profondeur. Mais ces phénomènes ne sont que de simples conséquences du mouvement local produit dans l’air ; mouvement qui accompagne seulement le son, comme nous le disions plus haut, mais qui n’en est point l’effet[32].

127. Quelques anciens ont rapporté, et d’autres ont cru sur leur parole, que les bruyans applaudissemens et les acclamations d’une multitude immense, rassemblée et serrée dans un amphithéâtre, ont quelquefois raréfié et rompu l’air, au point de faire tomber des oiseaux qui voloient au-dessus ; cet air, ainsi atténué, n’étant plus capable de les soutenir. Il est aussi assez de gens qui croient que, dans des villes très peuplées, le bruit éclatant des cloches sonnées en volée, suffit pour éloigner le tonnerre et pour dissiper un air pestilentiel ; tous phénomènes qui sont l’effet du simple ébranlement de l’air, et non du son.

128, Un bruit très éclatant a quelquefois suffi pour rendre sourds certains individus, qui alors sentoient dans leur oreille quelque chose de semblable à une membrane qui se seroit rompue. C’est un genre d’accident dont j’ai, en quelque manière, l’expérience. Étant auprès d’un homme qui pinçoit avec beaucoup de force les cordes les plus hautes d’une harpe, tout à coup je sentis une lésion dans l’organe de l’ouïe ; il me sembla qu’il s’étoit fait dans mes oreilles une sorte de rupture ou de dislocation ; et peu après j’éprouvai un tintement fort sensible ; ce n’étoit rien de semblable au chant ordinaire ou à un sifflement, mais un son beaucoup plus clair et tout-à-fait différent : je craignis même de devenir sourd ; mais au bout d’un quart d’heure ce tintement cessa tout-à-fait. Cet effet doit être attribué au son ; car, comme le dit un principe connu, tout objet sensible qui agit avec trop de force, détruit le sentiment ; et les espèces immatérielles[33], qui sont les objets de l’ouïe ou de la vue, exercent leurs actions sur les parties respectives du sensorium, quoiqu’elles ne mettent en mouvement aucun autre corps.

129. Les sons transmis par un canal étroit, se font entendre plus loin et plus long-temps. C’est ce dont nous voyons un exemple dans l’effet connu d’un rouleau de parchemin, d’une canne percée, d’un tuyau, etc. car, si une personne ayant mis la bouche à l’une des extrémités, une autre personne place son oreille à l’autre extrémité, elle entendra ainsi le son de beaucoup plus loin que dans un air libre. La raison de cette différence est que, dans un air libre, le son se disperse et se perd en partie ; au lieu-que dans un canal il est plus concentré et se conserve mieux. De même, si une personne ayant l’oreille appliquée à l’embouchure d’un canon, une autre tenant sa bouche fort près de la lumière, se met à parler, la voix de celle-ci parcourra la longueur du canon, et l’autre l’entendra beaucoup mieux qu’elle ne l’eût fait dans un air libre.

130. Il faudroit voir aussi ce qui arriveroit, si le son, ne demeurant pas toujours renfermé dans le canal, faisoit, à travers l’air, une partie du chemin ; par exemple, si la bouche de celui qui parle étoit à une certaine distance de l’une des extrémités du tuyau qui conduit le son, l’oreille de celui qui écoute étant appliquée à l’autre extrémité, ou encore si l’oreille de celui-ci étant un peu éloignée du tuyau, la bouche de celui qui parle étoit appliquée à l’autre extrémité ; ou enfin ai l’on tenoit et la bouche et l’oreille à quelque distance de ce tuyau. On s’est en effet assuré qu’un tuyau de huit à dix pieds de long facilite la transmission du son, quoique la bouche et l’oreille soient à une distance de ses deux extrémités, égale à la largeur de la main ; et que la personne qui écoute, entend un peu mieux, lors qu’elle approche son oreille, la bouche de l’autre restant éloignée, que dans la supposition contraire. Il n’est pas moins certain que la voix d’une personne qui parle dans la rue, se fait mieux entendre de celle qui est dans une chambre, que la voix de la personne qui est dans la chambre, ne se fait entendre de celle qui est dans la rue.

131. Si la totalité d’un tuyau conserve le son, ce même tuyau partagé en deux longitudinalement, ne laisse pas de le conserver aussi, mais moins que le tuyau entier, et seulement à raison de la partie de ce tuyau qui est employée. Par exemple, si vous divisez un tuyau de plumes en deux parties, suivant sa longueur, et qu’une personne en parlant approche sa bouche d’une extrémité de ce tuyau, tandis que l’autre approche son oreille de l’autre extrémité, celle-ci entendra la voix de plus loin que si le son eût traversé un air tout-à-fait libre, On pourroit faire la même expérience à l’aide d’un corps qui ne fût pas très concave, et même à l’aide d’un simple mât de vaisseau, ou d’une longue perche, ou enfin par le moyen d’un canon ; mais en faisant passer la voix le long de sa surface, et non par la lumière et l’embouchure, comme dans une des expériences précédentes ; l’on s’apercevra que, par ce moyen, la voix est encore portée un peu plus loin que si elle traversoit une masse d’air libre.

132. Il y auroit d’autres expériences à faire pour savoir comment et selon quelle proportion la force de la voix diminueroit ; étant propagée, soit par un cornet ayant la figure d’un arc, soit par une trompette dont le tuyau reviendroit sur lui-même, ou enfin par un tuyau de figure tortueuse.

133. C’est un fait constaté, quoique contraire à l’opinion reçue, que les sons peuvent être engendrés sans le secours de l’air, quoique l’air soit pour le son un trés commode véhicule. Ayant pris un vaisseau rempli d’eau, plongez-y, à une certaine profondeur, une paire de petites pincettes, et faites choquer ses deux branches l’une contre l’autre, vous entendrez très distinctement le son qui naîtra de ce choc, et il ne sera pas beaucoup plus foible qu’il ne le seroit dans l’air ; cependant il n’y a point du tout d’air dans le lieu où ce son est produit[34].

134. Prenez deux petits vases, l’un d’argent, l’autre de bois ; remplissez-les d’eau ; faites-y choquer l’une contre l’autre les deux branches d’une paire de ciseaux, après les y avoir plongées à une profondeur égale à un travers de main, vous trouverez que le son qui vient du vase d’argent est plus clair que celui qui vient du vaisseau de bois[35]. Cependant, lorsque les deux vaisseaux où la collision a lieu, sont tout-à-fait vuides, on n’aperçoit aucune différence entre les deux sons qui en viennent. Et de ce fait, outre cette observation très importante, que l’air n’est pas nécessaire pour la production du son, nous pouvons tirer deux conséquences ; l’une, que le mouvement qui constitue le son, se communique au fond du vaisseau ; l’autre, que cette communication se fait mieux à travers l’eau qu’à travers l’air.

135. Faites choquer l’un contre l’autre des corps solides, au milieu d’une flamme, vous trouverez que le son diffère alors un peu de ce qu’il seroit dans l’air.

136. Cet esprit qui réside dans tous les corps tangibles, qui fait partie de leur masse totale, et qui a quelque affinité avec l’air, fait jusqu’à un certain point l’office de ce fluide, et en tient la place. C’est ainsi que, lorsqu’on frappe sur un vaisseau vuide, le son est engendré en partie dans l’air extérieur, et en partie dans l’air intérieur ; et ce dernier son est d’autant plus fort ou plus foible, plus grave ou plus aigu, que le vaisseau est plus vuide ou plus plein[36], effet pourtant auquel participe l’esprit du bois qui passe de la surface extérieure à l’intérieur. C’est ce qu’on observe aussi dans une cloche, dont on frappe la surface extérieure, d’où le son passe à la surface intérieure. Il est, sur ce même sujet, une infinité d’exemples semblables qu’on pourroit donner, mais que nous réservons pour le traité ex-professo sur la communication du son.

137. Ce seroit, comme nous l’avons dit, un trait d’ignorance inexcusable, que de s’imaginer que le son est produit entre la corde et la main, la plume ou l’archet ; ces différens corps n’étant que les véhicules du mouvement qui est le vrai principe du son, et qui le constitue. La vérité est que le son naît entre la corde et l’air, et cela non pas en vertu de l’impulsion donnée à l’air par le premier mouvement de la corde ; mais par la réaction de cette corde, et son retour au lieu qu’elle occupoit, et d’où l’avoit tirée le doigt, la plume, l’archet, etc. qui l’avoit tendue. Ce mouvement de ressaut est fin et vif ; au lieu que le premier est lent et mou. L’archet, par exemple, en passant et repassant sur la corde avec pression et frottement, la met ainsi continuellement en vibration.

Expériences et observations sur les causes qui rendent le son plus gros ou plus grêle, et sur celles qui l’éteignent ou l’amortissent[37].

138. Si une personne ayant appliqué son oreille à l’extrémité d’un tuyau, une autre personne applique sa bouche à l’autre extrémité, et siffle dans ce tuyau, le son donnera à l’oreille de la première un coup si vif et si aigu, qu’elle aura peine à le supporter. La cause de ce phénomène n’est autre que ce mouvement par lequel le son se répand dans toute la capacité de ce tuyau, dont les parois ensuite le répercutent ; s’il eût été produit dans l’air libre, il se seroît dispersé et en partie dissipé ; au lieu qu’étant ainsi resserré et concentré dans un canal, il acquiert nécessairement plus de force. Et ce qu’il faut remarquer dans cette expérience, c’est que l’effet de cette concavité formée par le tuyau dont les parois arrêtent et compriment le son, n’est pas seulement de le conserver, mais encore de le rendre plus fort et plus aigu.

139. Un cor-de-chasse qui a l’une de ses extrémités fort évasée, donne au son plus de force et ds volume que si ses deux ouvertures étoient égales. La raison de cette augmentation du son est que l’air et le son se trouvant d’abord resserrés à l’extrémité la plus étroite de l’instrument, mais trouvant ensuite dans la partie la plus large, plus d’espace pour s’étendre, se dilatent alors, et forment ainsi, en sortant, une plus grosse colonne, qui frappe aussi une plus grande masse d’air ; ce qui doit rendre le son plus ample, plus volumineux, ou, ce qui est la même chose, le ton plus bas et plus grave. Aussi voit-on que ceux d’entre les instrumens du même genre, dont le corps est droit et non recourbé comme il l’est ordinairement, ont toujours un évasement à l’extrémité la plus éloignée de la bouche. On pourroit aussi faire l’essai de flûtes, dont l’extrémité extérieure eût un évasement, ou encore d’autres flûtes qui eussent au milieu un renflement, une sorte de ventre, et qui se terminassent par une partie droite et plus étroite.

140. On voit dans le quartier de Saint-James, un canal en brique, surmonté d’une voûte fort basse, et à l’extrémité duquel est une maison bâtie en pierre, et de forme ronde, Ce canal a une fenêtre ; et la maison, une ouverture longue ou fente d’une largeur médiocre ; si, appliquant la bouche à cette fente, on pousse un cri dans l’intérieur de la maison, ce cri retentit dans toute la cavité, et produit vers la fente une sorte de rugissement effrayant. La raison de ce phénomène est la même que celle du précédent ; et il s’explique par ce même principe : que toute cavité qui, étant d’abord étroite, va ensuite en s’élargissant, donne au son plus de volume et de force.

141. Ces petits trous pratiqués aux grelots des éperviers font que la petite balle qui s’y trouve renfermée, rend un son beaucoup plus clair et plus fort qu’elle ne feroit si elle heurtoit contre ce cuivre en plein air ; l’augmentation du son dépend ici de la même cause que celle qui est l’effet d’un tuyau, et dont nous avons parlé (n°. 138). Cette cause est que le son, retenu et concentré par les parois du grelot, se dispersant moins, est, lorsqu’il parvient aux trous, plus entier et plus fort.

142. Ce bois qui, en formant la circonférence et la cavité d’un tambour, empêche ainsi la dispersion du son, fait qu’à sa sortie par l’ouverture du tambour, il est plus fort et plus clair qu’il ne seroit si l’on frappoit sur une pareille peau placée dans un air libre des deux côtés, La raison de ce dernier effet coïncide parfaitement avec celle du précédent.

143. Les sons se font entendre beau coup mieux et de beaucoup plus loin, le soir et durant la nuit, qu’à midi et en général durant le jour. La raison de cette différence est que, durant le jour, l’air étant plus rare et plus ténu, le son y pénètre plus aisément et souffre ainsi une plus grande dispersion ; au lieu que ce fluide, durant la nuit, étant plus dense, le son s’y disperse moins, et souffre par conséquent un moindre déchet ; la nuit faisant l’office d’une sorte de cavité[38]. Mais ce qui contribue encore à l’effet, c’est ce silence universel qui règne alors.

144. Les sons peuvent se réfléchir de deux manières ; savoir : ou à une distance notable, comme ceux qui forment ce qu’on appelle un écho ; et alors on entend distinctement et le son originel ou direct, et le son réfléchi ; point que nous traiterons ci-après : ou avec concours ; savoir : lorsque le corps qui réfléchit le son, étant extrêmement proche de celui qui l’a produit, le son réfléchi se mêle et se confond tellement avec le son direct, qu’au lieu d’entendre deux sons distincts, comme dans l’écho, on n’entend plus qu’un seul son, qui est seulement plus fort qu’il ne seroit sans cette réflexion. C’est par la même raison que la musique se fait mieux entendre et est plus retentissante sur l’eau que sur la terre ; et dans un appartement lambrissé, que dans une chambre tapis se.

145. Les cordes d’un luth, d’une guitare, d’un clavecin, etc. rendent des sons qui, à cause de ce trou orbiculaire et en forme de rose qu’on y a pratiqué, et par lequel le son trouve une issue ; de la cavité qui est au-dessous des cordes ; et de la tablette qui la recouvre : ces sons, dis-je, ont, par cette raison, beaucoup plus de volume et de force qu’ils n’en auroient si l’on fixoit et tendoit ces cordes sur une simple tablette, en supprimant le trou orbiculaire et la cavité qui est au-dessous ; deux choses dont l’effet est qu’il y a un air supérieur et un air inférieur qui communiquent l’un avec l’autre. Car la véritable cause de l’augmentation du son dans ces instrumens, est la communication de ces deux airs ; effet de la cavité qui empêche la dispersion de l’un et de l’autre.

146. Dans la harpe irlandoise, l’air joue librement des deux côtés des cordes, et cet instrument n’a pas de concavité dans sa longueur, mais seulement à l’extrémité de ses cordes ; aussi est-il plus sonore que le luth, la guitare et la mandoline ; trois sortes d’instrumens qui ont aussi des cordes de métal. La raison de cette différence nous paroît être qu’il est bon que l’air soit libre, et puisse jouer librement des deux côtés des cordes ; pourvu toutefois qu’il y ait dans l’instrument une concavité, laquelle par conséquent doitêtre placée à l’extrémité de ces cordes.

147. Un clavecin, lorsqu’on abat son couvercle, rend des sons plus grêles que lorsqu’on le tient levé. La raison de cette différence est que l’effet de tout ce qui tient l’air renfermé, lorsqu’on n’y joint pas un soufflé ou un vent assez fort, est de rompre et d’amortir les sons ; ce qui peut servir à confirmer l’explication de l’exemple précédent ; car la concavité d’un luth, d’une guitare ou d’un violon, gêne quelque peu le mouvement de l’air.

148. Dans une église de Glocester (et j’entends dire qu’on a observé dans d’autres lieux quelque chose de semblable), si, étant placé vis-à-vis une certaine muraille, on parle à demi-voix, une personne placée dans un autre endroit assez éloigné, entendra beaucoup mieux votre voix que celles qui se trouveront entre deux, et même fort près de vous. Il faudroit examiner avec plus d’attention la disposition du lieu. Je pose en fait qu’il y a là quelque lieu voûté ou quelque espace vuide, ou enfin quelque galerie ou cloître derrière la muraille, et un trou quelconque à l’extrémité la plus éloignée de cette partie de la muraille où se place la personne qui parle ; de manière que la voix de celle-ci glissent le long de la muraille et entrant par ce trou, communique ainsi avec l’air renfermé dans cette cavité ; car alors le son se conserve en entier à cause de la surface unie de cette muraille. Mais cette condition ne seroit rien moins que suffisante pour rendre le son assez sensible, si d’ailleurs elle ne communiquoit avec la masse d’air placée derrière[39].

149. Si, ayant pincé la corde d’un arc, ou frappé dessus, pour la mettre en vibration, on approche de son oreille les deux branches de cet arc, le son paroîtra beaucoup plus fort, et aura quelque analogie avec un ton musical. La raison de ce double effet est qu’alors, en vertu de la compression de l’air, le sensorium est frappé avant que le son ne se disperse. On observera le même phénomène si, en faisant résonner la corde, l’on tient dans ses dents une des extrémités de l’arc. Mais ici ce seront les dents qui transmettront le son à l’organe de l’ouïe, vu l’étroite communication que la nature a établie entre ces deux parties ; communication dont on ne pourra douter ; si l’on considère qu’un son rude et âpre agace les dents. On obtient le même effet, en approchant des tempes les extrémités de l’arc : mais alors l’effet vient de ce que le son glisse de cette partie dans l’oreille.

150. Si, après avoir approché de son oreille une verge de fer ou de cuivre, on frappe sur son autre extrémité, le son paroîtra beaucoup plus fort et plus grave que si, en tenant la verge fort éloignée de son oreille, on frappoit dessus avec beaucoup plus de force[40]. De ces faits, et d’autres semblables dont nous avons déjà parlé, on peut conclure que, non-seulement les sons glissent le long de la surface d’un corps poli, mais que de plus le mouvement qui les constitue se communique aux esprits qui résident dans les pores de ce corps.

151. Je me rappelle qu’il y avoit au collège de la Trinité à Cambridge, une chambre haute, dont le plafond endommagé étoit étayé par une colonne de fer de la grosseur du bras, et établie au milieu de cette chambre ; lorsqu’on frappoit sur cette colonne, ce coup ne produisoit dans cette chambre qu’un son obscur ; mais, dans la chambre de dessous, il produisoit un bruit très fort et très éclatant.

152. Le son que produisent deux seaux dans un puits, lorsqu’ils heurtent ou contre l’eau, ou contre les côtés du puits, ou enfin l’un contre l’autre, est plus profond et plus grave qu’il ne seroit en plein air. La raison de cette différence est que l’air est renfermé dans cette concavité du puits, et comprimé par ses parois.

153. Des vases placés sous le plancher d’une chambre, font que les sons qu’on y entend paroissent plus pleins et plus retentissans.

En sorte que, tout considéré, cinq espèces de causes peuvent grossir les sons et en augmenter le volume ; savoir : des cavités en général, ou la simple compression ; des cavités avec évasement ; le concours des sons réfléchis avec les sons directs ; la communication du mouvement (qui constitue le son) aux esprits ; et la proximité où le corps sonore est du sensorium.

154. Quant aux causes qui peuvent rendre plus grêles la voix ou toute autre espèce de son, il est certain que la voix pénètre à travers les corps solides et durs, pourvu qu’ils ne soient pas trop épais ; et à travers l’eau, genre de substance assez serré et qui exclut l’air ; mais l’effet de ce passage est de rendre la voix plus foible et plus grêle. Par exemple, si l’on bouche les trous d’un grelot d’épervier, il ne rendra plus aucun son ; ou s’il en rend encore, ce sera tout au plus un son fort sourd et fort mat. C’est ce qu’on observe aussi dans la pierre d’aigle, laquelle, comme on sait, renferme une petite pierre.

155. L’eau peut nous fournir sur ce sujet une expérience dont le résultat est aussi curieux que certain. Entrez dans un bain, en tenant à la main un petit seau ; puis ayant renversé ce seau, appliquez son orifice à la surface de l’eau bien horizontalement, et plongez-le doucement jusqu’à ce que cet orifice soit à un travers de main de la surface de l’eau ; mais tenez-le toujours bien perpendiculairement, de peur qu’en s’élevant d’un côté, il ne laisse, par l’autre, échapper de l’air. Puis plongez-vous dans l’eau du bain à une telle profondeur que vous puissiez introduire votre tête sous le seau ; et par ce moyen, vous en chasserez, sous la forme de bulles, une quantité d’air dont le volume sera égal à l’espace que votre tête y occupera. Si alors vous prononcez quelques mots, une autre personne placée hors de l’eau vous entendra aisément ; mais votre voix lui paroîtra extrêmement grêle et semblable à celle d’une marionnette ; de manière cependant qu’elle en distinguera très bien toutes les articulations, et n’en perdra pas une syllabe. Remarquez qu’on feroit cette expérience plus commodément, si, ayant d’abord introduit sa tête sous le seau, on se plongeoit dans le bain par degrés, Le seau baissant à mesure, et en se tenant à genoux ou assis, afin que la bouche se trouvât plus aisément au-dessous de la surface de l’eau. Il semble que certain poëte sicilien ait eu connoissance de quelque expérience de ce genre ; car il dit qu’Hylas, valet d’Hercule, étant allé remplir sa cruche à une fontaine très agréable située près du rivage, les nymphes, qui en étoient devenues amoureuses, l’enlevèrent, et le conservèrent vivant sous les eaux ; qu’ensuite Hercule appellant son valet, d’une voix si forte et si élevée que tout le rivage en retentissoit, Hylas lui répondit de dessous l’eau ; mais avec cette circonstance (et c’est celle qui nous importe le plus ici), que sa voix paroissoit si grêle à Hercule, qu’elle lui sembloit venir d’extrêmement loin, quoique son valet fût tout près de lui.

156. Si, en jouant du violon, vous touchez les cordes fort près du chevalet (comme on le fait lorsqu’on démanche), (ce qui raccourcit beaucoup la partie de la corde qui fait des vibrations), le son qu’elle rend est à la vérité plus aigu, mais en même temps plus foible et plus mourant.

157. Prenez deux de ces gobelets qu’emploient les faiseurs de tours ; et dans un vaisseau rempli d’eau, choquez le sommet de l’un en mettant brusquement l’autre dessus ; et vous pourrez observer que le son qu’ils rendent est d’autant plus grêle et plus foible, qu’ils sont plus profondément plongés, même lorsque la partie supérieure de celui de dessus est encore hors de l’eau ; mais, dans ce dernier cas, en même temps que le son devient plus grêle et plus sourd, il devient aussi plus rude et plus désagréable ; second effet qui vient de cette cause même que nous indiquons ; de ce que l’un de ces gobelets est totalement plongé, tandis qu’une partie de l’autre est hors de l’eau. Car, lorsque ce dernier est entièrement plongé, le son est plus clair, mais plus grêle, plus foible, et semble venir de fort loin.

158. Les corps mous éteignent et amortissent plus le son que ne le font les corps solides. Par exemple, si une cloche est couverte de drap ou de soie, cette enveloppe amortit plus le son que ne le feroit une enveloppe de bois. C’est par la même raison que, dans les couvens, on garnit de drap les clefs ; et que, dans les collèges, on couvre de toile les pièces d’un jeu de dames ou de trictrac.

159. On a fait sur le son d’une flûte des expériences variées, comme on va voir. On a appliqué le fond (l’extrémité extérieure) contre la paume de la main ; on l’a totalement enduit de cire ; on l’a appuyé sur un coussin de damas ; on l’a plongé dans du sable, dans de la cendre et dans l’eau, à la profondeur d’un demi-pouce ; on l’a appuyé fortement sur le fond d’un bassin d’argent ; dans ces différens cas, le son a toujours subsisté. Mais dès qu’on l’a eu posé sur un tapis de laine, sur de la pluche, sur de la bourre ou sur un flocon de laine, quoiqu’en l’appuyant légèrement, le son de la flûte a cessé à l’instant, et l’on n’a plus entendu que le souffle.

160. Le son d’un même morceau de fer est plus foible lorsque ce fer est rouge, que lorsqu’il est froid ; ce fer, dans le premier cas, étant plus mou et moins résonnant. De même l’eau chaude fait moins de bruit en tombant que l’eau froide, par la raison (du moins selon nous) que la première est plus molle, plus onctueuse, et a plus d’affinité avec l’huile ; ce qui est d’autant moins douteux, qu’on fait qu’elle dégraisse et blanchit mieux.

161. Construisez une flûte qui ait un bec à chacune de ses deux extrémités, dont le corps ait une longueur égale à celle de deux flûtes, et dont chaque moitié ait le même nombre de trous, et disposés de la même manière qu’une flûte ordinaire. Que deux personnes, embouchant les deux extrémités, essaient de jouer en même temps un même air à l’unisson ; et voyez si les sons deviennent confus, ou plus forts, ou plus foibles, ou plus graves, ou plus aigus, etc. De même, construisez une espèce de croix, composée de deux corps également creux ; que deux personnes appliquant la bouche à deux de leurs extrémités, parlent ou chantent ; et que deux autres personnes appliquant l’oreille aux deux autres extrémités, écoutent attentivement et observent si les sons deviennent confus, ou plus forts, ou plus foibles, ou plus graves, etc. Ces deux exemples répandront un grand jour sur la théorie qui a pour objet le mélange des sons, et dont il sera bientôt question.

162. Si, ayant introduit par l’orifice d’un tambour, le tuyau d’un soufflet, vous soufflez avec force dans son intérieur, et qu’ensuite vous frappiez sur la peau, le son paroîtra moins fort et moins éclatant, mais sans autre altération sensible : la raison de cet affoiblissement du son, est que le vent du soufflet l’empêche de sortir, et qu’en comprimant l’air intérieur, il diminue sa mobilité.

Observations et expériences diverses sur les causes qui peuvent rendre les sons plus forts ou plus foibles, et les porter à des distances plus ou moins grandes.

163. Dans la théorie des sons, autre est la considération de leur force et de leur foiblesse ; autre, celle de leur différence du grave à l’aigu : par exemple, si vous touchez légèrement la grosse corde d’un violon, elle ne laisse pas de rendre un son plus grave que les trois autres ; au lieu que, si vous touchez avec force la chanterelle, quoiqu’elle rende un son plus aigu, elle ne laissera pas de se faire entendre de plus loin. La raison de cette différence est qu’alors la grosse corde frappe une plus grande quantité d’air avec moins de force, et que la chanterelle frappe une moindre quantité d’air avec plus de force.

164. C’est donc le plus ou moins de force de la percussion qui rend le son plus fort ou plus foible : par exemple, il aura plus ou moins d’intensité, si, avec plus ou moins de force, vous frappez sur un timbre, vous embouchez un cor, vous agitez une sonnette, etc. Mais la force de cette percussion ne dépend pas moins de la dureté du corps frappé que de la force du corps frappant. Car différens corps frappés avec la même force rendent des sons plus forts ou plus foibles, et sont plus ou moins résonnans : le drap, par exemple, ou une étoffe quelconque, l’est fort peu ; le bois l’est davantage ; le métal encore plus ; et parmi les métaux, l’or, lorsqu’on frappe dessus, rend un son plus obscur (plus sourd) que les autres, parce qu’il est plus flexible ; l’argent et l’airain, qui sont plus roides, rendent aussi un son plus clair. Quant à l’air, lorsqu’il est fortement comprimé, il rend un son aussi éclatant qu’un corps dur ; comme le prouve assez le bruit terrible de l’explosion d’un canon. Car, soit qu’on le charge avec un boulet, ou avec du papier mouillé, ou même avec la poudre seule (en ayant soin de bien bourrer dans les deux derniers cas), le bruit de l’explosion est à peu près le même dans les trois cas.

165. La vitesse, la prestesse de la percussion contribue pour le moins autant à la force et à la clarté du son, que la force du coup donné au corps sonore ou à l’air : par exemple, lorsqu’on frappe l’air avec un fouet ou une baguette, le son est d’autant plus clair et plus éclatant, que le coup est plus vif et plus sec. De même, lorsqu’on joue du violon ou du clavecin, une touche vive et sèche renforce et anime les sons. La raison de cette différence est qu’un coup vif donné à l’air le fend avec plus de vitesse ; au lieu qu’un coup donné mollement, le pousse plutôt qu’il ne le divise.

Expériences et observations diverses sur la communication des sons.

La communication des sons, soit dans la concavité d’un luth, d’un violon, etc. soit dans celle d’un vaisseau vuide, est un sujet que nous n’avons fait que toucher légèrement, en traitant des causes qui peuvent donner aux sons plus de volume et de force, mais qui mérite d’être traité sous un titre particulier, vu son importance.

166. L’exemple le plus sensible qu’on puisse choisir pour démontrer la communication du son, c’est celui d’une cloche qui sonne. Car, si l’on frappe avec un marteau, d’abord sur la partie supérieure de cette cloche, puis au milieu, enfin à la partie inférieure, le son qu’elle rend est de plus en plus grave, et à raison de la grandeur de cette partie de la concavité on du diamètre de la partie annulaire, qui répond à l’endroit frappé, quoiqu’on ne frappe que sur l’extérieur.

167. Quoique le son d’une flûte soit engendré entre le souffle et l’air renfermé dans sa cavité, cependant il ne laisse pas devse communiquer, jusqu’à un certain point, au bois même qui forme le corps de l’instrument, et aux esprits qui s’y trouvent renfermés ; car, autre est le son d’un instrument à vent (soit flûte, soit : trompette), dont le corps est de bois ; autre, celui d’un instrument dont le corps est de cuivre. De même, si une flûte étoit couverte de drap ou de soie, le son qu’elle rendroit alors seroit fort différent de celui qu’elle rend par elle-même ; et une flûte, dont l’intérieur est un peu humide, ne rend pas non plus le même son que lorsqu’il est sec.

168. Le son produit sous l’eau se communique plus aisément à un corps dur, par le moyen de ce fluide, que le même son produit dans l’air ne se communique à l’air même, (Voyez le n°. 134.)

Expériences diverses concernant l’égalité et l’inégalité des sons.

Dans les numéros précédens, nous avons d’abord parlé des sons musicaux qui, entendus en même temps deux à deux, peuvent former des accords ou des dissonances, et que nous avons qualifiés de tons ; puis des sons non musicaux ; enfin, nous avons rendu raison de cette différence, en assignant pour cause des premiers, l’égalité, et pour cause des derniers, l’inégalité. Nous avons encore déterminé, au même lieu, quels sont ces corps égaux qui produisent des tons, et les corps inégaux qui ne rendent que de simples sons ou bruits, n’ayant point le caractère de tons[41].

Actuellement nous allons traiter de cette égalité des sons de la première espèce ; non de celle qui dépend de la nature même du corps sonore, mais de celle qui n’est qu’accidentelle, et qui a pour cause ou l’aspérité des surfaces, ou l’obliquité (la courbure) des cavités, ou la réitération de la percussion, ou le mouvement de trépidation.

169. Une clochette, ou un timbre qui est fêlé, ce qui rend le passage du son plus difficile[42], ne rend qu’un son faux et déplaisant. De même, lorsque la trachée artère ayant été saisie par le froid, et s’étant revêtue d’une substance muqueuse, sa surface est pleine d’aspérités et comme raboteuse, la voix devient rauque. Or, dans ces deux exemples, si le son est déplaisant, c’est parce qu’il est autant inégal qu’il peut l’être. Mais si à cette inégalité se mêle une sorte d’égalité, alors le son devient comme tremblotant, et n’est pas sans agrément.

170. Tous les instrumens dont le corps revient sur lui-même, comme la trompette, ou n’a qu’une simple courbure, comme le cornet, ou va tantôt en s’élevant, tantôt en s’abaissant, comme la saque-bute, rendent un son rauque et tremblotant ; mais la flûte à bec et la flûte traversière, qui n’ont point de semblables inégalités, et dont le corps est parfaitement droit, rendent un son plus pur et plus coulant. Cependant la flûte elle-même, lorsque son intérieur est humecté, rend aussi un son plus grave, mais accompagné d’une sorte de trépidation ou de sifflement. De plus, une corde torse, telle qu’est la plus grosse corde d’une pandore, rend aussi un son du même genre[43].

171. Mais, lorsqu’une corde de violon est d’une texture inégale, elle ne rend qu’un son âpre et déplaisant ; elle ne donne aucun ton juste, et alors on dit qu’elle est fausse ; ce qui vient de ce qu’elle est plus grosse dans certains endroits que dans d’autres. Aussi les cordes de métal, qui sont beaucoup plus égales, ne sont-elles jamais fausses, On sait que la méthode ordinaire pour éprouver une corde, est de la tendre avec force entre les doigts extrêmes, et de lui donner une saccade avec le doigt du milieu ; car alors si elle paroît comme double, on la juge bonne : mais si elle paroît triple, quadruple, etc. on la juge fausse.

172. Le murmure d’une eau coulante présente aussi à l’oreille une sorte de tremblotement ; et dans les orgues portatives, ce tuyau qu’on appelle le rossignol, et qui contient de l’eau, rend continuellement un son tremblotant. Les enfans, comme l’on sait, s’amusent avec certains petits tuyaux remplis d’eau, lesquels, lorsqu’ils y soufflent ou y sifflent, rendent un son du même genre, qui a quelque analogie avec celui de la lettre L. Or, toutes les inégalités de sons, résultant de cette trépidation, flattent plutôt l’oreille qu’ils ne l’offensent.

173. Tous les tons trop graves ou trop aigus ont je ne sais quoi d’âpre et de déplaisant : la basse, qui donne les premiers, frappant alors une trop grande quantité d’air pour qu’elle puisse imprimer à toutes les parties de ce fluide un mouvement égal ; et le premier dessus, qui donne les derniers, fendant l’air avec tant de vitesse, que la réaction de ce fluide est trop vive pour qu’il en résulte un son égal(uniforme). Aussi est-ce la voix moyenne, ou le ténor (la taille) qu’on regarde comme la plus agréable[44].

294. Les seuls animaux dont la voix puisse produire à volonté des sons musicaux ou non musicaux, sont l’homme et les oiseaux chantans. On doit chercher la raison de cette différence dans la conformation et la disposition actuelle du larynx, ou en général de la trachée artère et des autres organes de la voix ; car, lorsque cette partie est bien tendue, sa surface devient unie, à peu près comme celle d’une vessie qui, étant toute pleine de rides et d’aspérités, lorsque cette vessie est flasque, devient lisse lorsqu’on l’enfle et la développe. Cette tension dont nous parlons, est une condition plus nécessaire pour chanter que pour parler ; en sorte qu’une voix étouffée ou un chuchotement ne peut produire aucun ton. Or, il est visible que, dans une personne qui chante, le gosier travaille plus que dans celle qui parle simplement, comme on en peut juger en voyant la première avancer et retirer le menton avec effort.

179. Le bourdonnement des abeilles est encore un son inégal ; et il est tel auteur qui prétend que ce bruit ne vient pas de l’ouverture qui leur tient lieu de bouche, mais de l’intérieur du corps. Mais il se pourroit que cette dernière opinion ne fût pas mieux fondée que l’autre, et que ce bourdonnement fût l’effet du mouvement de leurs ailes ; ce qui porteroit à le penser, c’est qu’il ne se fait entendre que lorsqu’elles sont en mouvement.

176. Tous les métaux, quand on les éteint dans l’eau, produisent un son semblable à un sifflement, et qui a quelque analogie avec la lettre Z ; ce son néanmoins est engendré entre l’air et l’eau, ou ce dernier fluide réduit en vapeur : lorsqu’on fait cuire quelque aliment dans une très petite quantité d’eau, on entend une sorte de sifflement. Mais, si le vaisseau où l’eau bout est tout-à-fait plein, alors on entend un bruit de bouillonnement fort analogue à celui que produisent les enfans, lorsqu’à l’aide d’un chalumeau, ils soufflent dans l’eau ou dans leur salive.

177. Tentez quelque expérience pour savoir si l’inégalité ou la fréquente interruption du milieu ne rendroit pas le son plus inégal ; par exemple, supposons qu’on fît une cloche composée de trois cloches de grandeur inégale, et les unes dans les autres, mais avec des intervalles remplis d’air, et qu’on frappât avec un marteau sur la plus extérieure, il se pourroit que le son d’une telle cloche différât beaucoup de celui d’une cloche simple, soit par sa nature, soit par son intensité. De même, prenez une lame de cuivre et une planchette ; puis, les ayant assemblées, frappez sur l’une des deux, afin de voir si de cet assemblage il résulte un son inégal. Construisez un tonneau divisé en trois parties, à l’aide de deux cloisons qui aient des trous, ou qui soient d’un bois rempli de nœuds, et frappez sur ce tonneau, afin de comparer le son qu’il rendra avec celui que rend un tonneau ordinaire.

Expériences et observations sur les sons plus ou moins graves ou aigus, et sur les sons musicaux.

178. Il est évident que le son est d’autant plus grave, que la quantité d’air frappée est plus grande ; et d’autant plus aigu, qu’elle est plus petite. La percussion d’une plus grande quantité d’air dépend de la grandeur du corps frappant, ainsi que de la largeur et de la longueur de la cavité que le son est obligé de traverser. Aussi voit-on que la dernière corde d’un violon est plus grosse que la chanterelle ; qu’une flûte d’un ton grave a des trous plus grands que ceux d’une flûte d’un ton aigu. De plus, le son que rend une flûte est d’autant plus grave, que ses trous sont plus éloignés de son embouchure ; et d’autant plus aigu, qu’ils en sont plus proches. Disons plus : si l’on frappe alternativement sur le sommet et sur la base de tel corps solide (par exemple, d’un chenet), on trouve que le sommet rend un son plus aigu que celui de la base.

179. Il n’est pas moins évident que le son est d’autant plus aigu, que le coup donné à l’air est plus vif ; et d’autant plus grave, que ce coup est plus lent. C’est ce qu’on observe dans les cordes d’instrumens ; plus elles sont tendues et torses (d’où résulte un ressaut plus prompt), plus le son qu’elles rendent est aigu. Ainsi, une corde plus grosse, mais plus tendue, et une corde plus menue, mais moins tendue, pourront donner le même ton.

180. Les enfans, les femmes et les eunuques, ont la voix plus aiguë et plus grêle que les hommes faits ; la raison de cette différence n’est pas que les derniers ayant plus de chaleur, ont en conséquence la voix plus forte ; la force plus ou moins grande de la voix pouvant bien contribuer à la rendre plus ou moins éclatante, et non à en changer le ton : mais que, dans les hommes faits, les organes de la voix sont plus dilatés, et les cavités plus grandes ; la chaleur, comme ou n’en peut douter, contribuant à cette dilatation. Mais la raison pourquoi cette révolution qui a lieu à l’âge de puberté, fait muer la voix, est plus difficile à découvrir. Ce changement paroît venir de ce qu’à cette époque une grande portion de l’humidité du corps, qui auparavant en arrosoit plus abondamment et plus également toutes les parties, étant déterminée vers les vaisseaux spermatiques, la chaleur commence à devenir excessive dans toute l’habitude du corps ; et c’est probablement cette chaleur qui dilate les organes de la voix, et agrandit les cavités où l’air doit passer pour la former, attendu que les symptômes qu’on observe alors dans l’individu, tels que le poil qui croît en plus grande quantité, la rudesse de la peau, sa consistance, etc. sont tous autant d’effets connus de la chaleur.

181. L’industrie des musiciens a imaginé deux moyens pour augmenter la tension des cordes, sans compter la torsion. L’un est de raccourcir les cordes par la pression des doigts ; comme on le fait en jouant du luth ou du violon ; l’autre est d’employer des cordes plus courtes, comme dans la harpe, le clavecin, etc. et l’effet qui a lieu dans ces deux cas, n’a qu’une seule et même cause ; il vient de ce que, par ces deux moyens, le ressaut (ou la réaction) des cordes est plus vif.

182. Plus une corde d’instrument est déjà tendue, moins on est obligé de la tendre de nouveau pour la faire monter d’un ton ; car il faut d’abord qu’elle soit tendue à un certain point pour pouvoir produire un ton quelconque ; et l’on voit que plus les sons qu’on veut former sur le violon sont aigus, et plus, en démanchant, l’on monte vers le chevalet, plus aussi l’on est obligé de rapprocher les doigts pour former les tons.

183. Prenez un verre à boire un peu évasé, remplissez-le d’eau ; donnez une chiquenaude sur son bord, et remarquez le ton qui en résulte : vuidez ce verre par degrés et à différentes reprises, en donnant chaque fois une chiquenaude : vous observerez qu’à mesure que vous le vuiderez, le ton baissera, et deviendra de plus en plus grave.

Expériences sur la proportion d’où dépend la différence du grave à l’aigu dans les sons.

Suivant quelle proportion précise cette percussion de l’air, dont nous avons parlé, doit-elle croître et décroître pour produire tels sons plus graves ou plus aigus ? c’est dans la recherche qui a pour objet la nature des sons, une des plus importantes questions qu’on puisse proposer ; car cette proportion une fois bien déterminée, on verroit pourquoi et comment les sons coïncident dans leurs octaves, qui ne sont, au fond, que des retours ou des répétitions de ces mêmes sons. On verroit aussi la raison de ces consonances et de ces dissonances qu’on trouve entre les deux limites de l’unisson et de l’octave ; toutes choses dont nous avons parlé dans les n°. relatifs à la musique. Mais il est nécessaire d’y revenir ici, vu que c’est la partie la plus essentielle de la recherche qui nous occupe. Or, ces proportions que nous cherchons, pour les trouver, il faut chercher quels doivent être, pour produire les différens tons, les degrés de tension des cordes, les distances entre leurs points fixes, la largeur et la longueur des cavités dans les flûtes et autres instrumens à vent ; mais plus commodément par ce dernier moyen, que par le précédent.

184. Ainsi, faites l’expérience suivante : 1°. tendez la corde autant qu’il le faut pour qu’elle puisse produire un ton quelconque ; puis tendez-la une seconde fois avec une force épale à la première ; une troisième fois avec une force encore égale, et ainsi de suite ; et observez dans quelle proportion les sons deviennent de plus en plus aigus, à mesure que vous tournez les chevilles ou montez le doigt : Cela posé, vous déterminerez, par ce moyen ; 1°. la proportion des sons aux différens degrés de tension de la corde ; 2°. leur proportion avec les différentes longueurs de cette corde. Mais il est ici une autre précaution à prendre ; je veux dire qu’à mesure qu’on tend la corde, en tournant les chevilles, il faut chaque fois appliquer la mesure bien juste sut la ligne droite que forme cette corde[45].

185. Quant à la touche, on pourroit prendre pour mesure les divisions qui se trouvent déjà sur l’instrument, et, par ce moyen, déterminer la distance entre le point où le doigt touche la corde quand on lui fait rendre le premier son (ou ton au-dessus de celui de la corde à vuide), et celui où il la touche quand elle donne l’octave de ce son[46], en comparant cette ligne à la longueur de la corde, dans les deux cas.

186. Mais ces proportions seraient plus faciles à déterminer à l’aide des trous des instrumens à vent : ainsi prenez six flûtes égales en longueur, et à tout autre égard, dont une n’ait qu’un seul trou, une autre deux trous, une troisième trois trous, et ainsi de suite jusqu’à la sixième : observez attentivement l’espèce et le degré de son que rend chacune de ces flûtes. Or, c’est sur-tout d’après les indications de ces trois derniers exemples, qu’il faut déterminer avec la plus grande précision quelle longueur de la corde, quelle distance du point touché au point fixe, quelle largeur ou longueur de la concavité, fait monter le son de telle quantité. Mais le dernier de ces moyens, comme nous l’avons dit, étant le plus commode, c’est à l’aide de celui-là qu’il faut déterminer avec précision quelles dimensions de la concavité sont nécessaires pour faire monter le son d’un ton entier, de deux tons, de trois tons, et ainsi de suite jusqu’à l’octave ; car tel est le vrai moyen de découvrir la secrète relation qui existe entre certains nombres ou proportions, et la mélodie ou l’harmonie. Il est assez probable que ceux qui construisent les flûtes et autres semblables instrumens, connoissent déjà ces proportions ; car on voit que pour déterminer les distances des touches dans un luth, ou des trous dans les instrumens à vent, ils se servent de certaines règles qui portent des divisions : il en est de même des fondeurs de cloches qui ont aussi des mesures pour en régler le ton ; en sorte que les expériences déjà faites peuvent épargner une partie de celles que nous recommandons ici. Un ancien a observé qu’un vaisseau vuide, frappé avec le doigt, donnoit l’octave du son que rendoit le même vaisseau étant plein, Mais je ne comprends pas comment cela se peut faire ; attendu que ce vaisseau, soit plein, soit vuide, lorsqu’on le frappe, donne à peine un ton quelconque[47].

187. Il doit y avoir une différence sensible entre les proportions qu’on détermine pour produire des tons quelconques qu’on vent comparer au son passif, (à celui dont on part) ; les trous ne doivent pas être trop près les uns des autres, mais à une distance raisonnable. Car, dans la flûte, par exemple, les trois derniers trous donnent le même son, qui est d’un ton plus bas que celui des trois premiers. Il est sans doute quelque différence de même nature à observer par rapport à la tension et à la touche des cordes.

Expériences et observations relatives aux sons extérieurs et intérieurs.

Il est une autre différence qu’on peut observer entre les sons, et que nous exprimons par les mots d’extérieur et d’intérieur ; il ne s’agit point ici de sons forts ou foibles, graves ou aigus, musicaux ou non musicaux, mais de toute autre chose. Il est vrai qu’aucun son intérieur ne peut constituer un ton ; mais, d’un autre côté, un son extérieur peut être musical ou non musical. Ainsi, au lieu de distinguer avec précision les sons de ces deux espèces, nous nous contenterons d’en faire la simple énumération. Cependant, pour donner quelque idée de notre opinion sur ce sujet, nous dirons que, dans le mouvement d’où résulte un son intérieur, l’air est plutôt poussé et foulé, que fendu et coupé ; en sorte que le genre de percussion d’où naît un son intérieur, est à celui dont le son extérieur est l’effet, comme un coup est à une coupure.

188. Si nous prenons pour exemple la parole humaine, un chuchotement, plus fort ou plus foible, doit être appelé un son intérieur ; mais la prononciation à haute voix est un son extérieur. Aussi d’un simple chuchotement ne peut-il résulter aucun ton ou aucun chant, comme de la prononciation à haute voix. De même le son produit par la respiration, par le souffle de la bouche, par le vent d’un soufflet, ou par le vent naturel, quelque éclatant qu’il puisse être, ne sera jamais qu’un son intérieur ; au lieu que le son qu’on produit en soufflant dans une flûte ou toute autre concavité de ce genre, quelque foible qu’il puisse être, ne laisse pas d’être un son extérieur. Il en faut dire autant des vents les plus violens, à moins qu’ils ne soient resserrés dans un canal, ou qu’ils ne sonnent le creux. Mais le sifflement, ou un vent qui sonne le creux, produisent des tons ou des sons extérieurs ; l’air étant, dans le premier cas, comprimé par quelques corps ; et dans le dernier cas, resserré par sa propre densité. Aussi, lorsque le vent qui souffle sonne le creux, est-ce ordinairement un signe de pluie. La flamme abandonnée à son propre mouvement, ou animée par le vent d’un soufflet, ne produit qu’un murmure ou son intérieur.

189. Tout corps dur, choquant un autre corps dur, produit un son extérieur qui peut être plus fort ou plus foible, plus clair ou plus sourd, etc. en sorte que, si le choc est foible, il pourra n’en résulter aucun son, mais il n’en résultera jamais un son intérieur ; et c’est ce qui arrive lorsqu’une personne marche si doucement qu’on ne l’entend pas.

190. L’air, comprimé ou non, frappant un corps dur, ne produit jamais un son extérieur : par exemple, si l’on pousse avec force le vent d’un soufflet contre une muraille, il n’en résultera pas un son de cette espèce.

191. On peut produire également des sons extérieurs et des sons intérieurs, soit par l’aspiration, soit par l’expiration : car l’aspiration et l’expiration naturelles ne produisent qu’un son intérieur ; au lieu que, si l’on siffle, soit en poussant, soit en retirant son haleine, on produit un son extérieur.

Expériences et observations diverses sur les sons articulés.

192. Parmi les faits que l’on peut considérer dans cette recherche sur les sons, il en est peu d’aussi étonnans et d’aussi difficiles à expliquer que celui-ci : non-seulement le son se propage et se distribue dans la totalité d’une masse d’air sans souffrir le moindre déchet (quant à son espèce), mais même il subsiste tout entier dans les moindres parties de ce fluide. En sorte que les articulations les plus délicates et les nuances les plus légères de la voix des hommes ou des oiseaux, passent par la plus petite fente sans se confondre.

193. Quoique ces vents inégaux, qui soufflent par bouffées ou par tourbillons, servent de véhicules aux sons, et puissent les porter à des distances plus ou moins grandes, cependant ils n’empêchent pas que ces sons ne soient très distincts, et ils laissent subsister toutes leurs différences, toutes leurs nuances, dans la totalité de cet espace où ils peuvent être entendus[48].

194. L’effet d’une trop grande distance est d’effacer les différences des sons articulés, et de les rendre confus ; quelquefois, par exemple, on entend assez bien la voix d’un homme qui prononce un discours, ou toute autre voix de cette nature, quoiqu’on ne puisse distinguer les paroles ; une parole couvrant l’autre, comme il arrive quand plusieurs personnes parlent à la fois.

195. Dans une expérience dont nous avons parlé plus haut (n°. 155), nous voyons que la voix d’une personne qui parle sous l’eau, paroît plus grêle et plus déliée ; ce qui n’empêche nullement qu’on n’en distingue toutes les articulations, comme nous l’avons aussi observé.

196. Je présume qu’aucun son, ou extrêmement grêle, ou extrêmement grave, ne peut être articulé, et que les seuls qui puissent l’être, sont ceux qui tiennent le milieu entre ceux de ces deux espèces ; les sons extrêmes ayant également l’effet de confondre les articulations ; savoir : les sons trop grêles, par l’effet même de la contraction qui les accompagne ; et les sons trop graves, par l’extrême dispersion qu’ils supposent. De plus, quoiqu’un son articulé, une fois formé, puisse se contracter au point de passer par la plus petite fente, sans souffrir le moindre déchet, quant à son espèce (comme nous l’avons dit dans les numéros précédens), néanmoins la première articulation de ce son exige de plus grandes dimensions.

197. Il est prouvé, par l’expérience, qu’une personne qui prononce un discours dans une chapelle ou dans une salle voûtée en dessus et en dessous, ne peut être entendue aussi distinctement que dans d’autres lieux ; ce qui vient de ce qu’avant que les premières paroles cessent d’être entendues, les suivantes, qui se font entendre aussi, les couvrent en partie, et se confondent avec elles, quoique chaque son ait plus de force et puisse être entendu de plus loin.

198. Ces mouvemens de la langue, des lèvres, du gosier, du palais, etc. qui sont nécessaires pour former et prononcer les différentes lettres de l’alphabet, sont un sujet qui mérite certainement des recherches particulières, et qui a une étroite relation avec celui dont nous sommes actuellement occupés. Mais ces mouvemens sont très déliés, très difficiles à décrire ; et pour les déterminer avec précision, il faudroit entrer dans des détails qui nous meneroient trop loin. Ainsi, nous n’en parlerons point ici, et nous les renvoyons au livre qui aura pour objet les expériences et les observations relatives à la parole. Les Hébreux avoient fait preuve d’exactitude et de sagacité sur ce sujet, en distinguant avec soin les différentes espèces de lettres dont leur alphabet étoit composé, et les divisant en labiales, dentales, gutturales, etc. Quant aux Grecs et aux Latins, ils ont eu soin de faire une distinction entre les semi-voyelles et les muettes : parmi ces muettes, ils en distinguoient de grêles, de moyennes, d’aspirées, etc. distinctions utiles sans doute, mais qui ne sont pas encore assez exactes. Ils n’ont pas distingué avec assez de justesse et de précision ces mouvemens déliés, ces petits chocs d’où dépend la formation de ces différentes lettres : par exemple, ils n’ont pas observé qu’on ne peut prononcer les lettres B, P, F et M, qu’en contractant ou en fermant la bouche ; qu’on ne peut prononcer de suite les lettres M et B, et qu’alors on est obligé de substituer à l’M, une N ; comme dans le mot hécatombe, qui, dans la prononciation, devient hécatonbe : que l’M et le T ne peuvent être prononcés de suite, si l’on ne met un P entre deux, comme dans le mot rédemteur, qu’on a été forcé de changer en celui-ci : rédempteur, etc. En sorte que, si l’on appuie assez sur ce sujet pour le bien approfondir, on reconnoîtra que les mouvemens simples et nécessaires pour former toutes les lettres de l’alphabet, sont en plus petit nombre que ces lettres[49].

199. De toutes les parties du corps humain, les plus spongieuses ce sont celles dont les poumons sont composés ; et par cette même raison, ce sont aussi celles qui ont le plus d’aptitude à se dilater et à se contracter. En se contractant, ils chassent l’air au dehors ; et cet air, en passant par la trachée artère, par le gosieret par la bouche, forme la voix. Mais l’articulation de la voix exige de plus le concours de la langue, du palais, des dents, des lèvres, et de toutes ces parties qu’on nomme les instrumens de la parole.

200. On observe une certaine analogie entre les sons que rendent les corps inanimés, ou les animaux dont la voix n’est pas articulée, et les différentes lettres de la voix articulée. On désigne même ordinairement les sons de la première espèce, par des noms qui retracent leur analogie avec ces lettres. Par exemple, le murmure, le son tremblotant que fait entendre une eau coulante, a de l’analogie avec la lettre L ; le bruit que font les métaux, quand on les éteint dans l’eau, a du rapport avec les lettres Z et S ; la voix d’un chien qui gronde, avec la lettre R ; le bruit d’une étrille, avec la double consonne CH ; le miaulement d’un chat, avec la triphtongue iou ; la voix du coucou, avec la diphtongue ou ; le son d’une corde d’instrument, avec la terminaison ingue (en prononçant l’n à la manière des Latins ou des Italiens). Si quelqu’un, par simple curiosité, ou pour étonner, vouloit construire une marionette ou un automate quelconque qui prononçât des paroles, il devroit envisager d’une part ces mouvemens, ces chocs, etc. des instrumens naturels de la parole, d’où résultent les sons qu’il voudroit imiter ; et de l’autre, les mouvemens, les chocs, etc. qui, dans les corps inanimés, produisent des sons semblables ; car, c’est de cette double considération qu’il faut tirer les raisons ou les moyens nécessaires pour expliquer ou imiter les sons de la voix articulée[50].

  1. L’harmonie et la mélodie, devoit-il dire ; dont l’une est l’effet de la succession de certains tons ; et l’autre, l’effet de leur simultanéité, ou de leur succession extrêmement rapide ; car la simultanéité rigoureuse n’est rien moins qu’une condition absolument nécessaire dans l’harmonie.
  2. Il étoit mal informé ; car on voit encore un grand nombre de ces machines dans les villes de Frescati, d’Albano, de Tivoli, mais sur-tout dans la ville d’Est, une de ces dernières et appartenant à la Maison Impériale ; on trouve la description de quelques-uns de ces instrumens dans Kirker, De Chales, Scoth, etc. tous faits que nous avons vérifiés par nous-mêmes, ayant vu ces machines et transcrit ces descriptions.
  3. À proprement parler, Le son ne s’engendre ni entre l’archet et la corde, ni entre la corde et l’air, mais entre certaines parties de l’oreille et celle qui est le siège de cette espèce de sensation ; ou plus exactement, le son paroît être la perception de l’ébranlement, ou, si l’on veut, des vibrations excitées dans l’organe de l’ouïe ; mouvement oscillatoire communiqué à l’oreille par l’air ; et à l’air, par le corps sonore.
  4. Par exemple, sur le violon, chaque corde à vuide et le troisième doigt sur la précédente, donnent cet accord, si avec l’archet on touche ces deux cordes en même temps ; et on aura ainsi ces trois accords d’octave, la, la, ré ré, sol, sol.
  5. Il se trompe : les degrés de l’octave sont les sept intervalles qui la composent ; il veut dire, différons degrés d’un mème ton ; mais en prenant ce mot degré dans le sens physique.
  6. Je suis obligé ici de réformer totalement le texte qui n’est pas supportable. On voit, pour le dire en passant, que presque par-tout où il emploie le mot égaux, il faut substituer le mot semblables. Mais j’ai dû lui donner le temps de s’expliquer, afin que le lecteur sentit mieux la nécessité de cette substitution.
  7. Elle n’est composée que de cinq tons entiers et de deux sémi-tons : par exemple, l’octave d’ut naturel est composée d’abord de deux tons entiers formant la tierce majeure ut, mi ; puis d’un demi- ton, de mi à fa, et d’un ton entier, formant à eux deux la tierce mineure, mi, sol (deux tierces qui, prises ensemble, forment la quinte, ut, sol) ; enfin de deux tons pleins et d’un demi-ton, de si à ut, formant à eux trois la quarte, sol, ut.
  8. Treize sons différens, et seulement douze intervalles, dont chacun n’est que d’un demi-ton ; mais ni les tons entiers, ni les demi-tons ne sont égaux ; on distingue des tons majeurs et des tons mineurs ; et la même différence s’observe dans les demi-tons.
  9. Après l’intervalle de deux tons entiers, exigent l’intervalle d’un demi-ton.
  10. Cependant une preuve que la dernière note, soit qu’on marche par tons entiers ou par sémi-tons, est la vraie cause du retour, c’est que si, au lieu de cette dernière, on faisoit entendre la pénultième, il n’y auroit point de retour.
  11. Mais quelle tierce ? est-ce la tierce majeure composée de deux tons pleins, ou la tierce mineure composée d’un demi-ton et d’un ton entier ?
  12. Dans la gamme d’ut naturel, ut et re forment une seconde ; ut et si, une septième.
  13. Comme ut, mi, sol, ut.
  14. Ut, sol.
  15. Ut, mi.
  16. En démanchant fort haut, on lui fait à volonté rendre tous les sons des cordes précédentes, touchées à vuide, ou sans démancher.
  17. Si, pour faire un port de voix, ayant posé le doigt du milieu sur la seconde corde du violon, et fait entendre l’ut, je fais glisser ce doigt depuis l’endroit de l’ut, jusqu’à celui du , sur lequel je pose ensuite le troisième doigt, dans l’espèce de son plaintif que je ferai entendre, je passerai nécessairement par des quarts de ton. De même, si, ayant posé le doigt annulaire sur la seconde corde, pour donner le , j’éloigne et je rapproche alternativement et un peu vivement du sillet ma main, sans changer toutefois la position de ce doigt annulaire, le son de l’ut sera comme tremblotant : or, ce doigt, qui est fort large, empiétant alors un peu tantôt sur l’intervalle du re à l’ut, tantôt sur celui du re au mi, il en résultera des quarts ou d’autres parties de tons.
  18. La voix d’une personne qui lit d’une manière monotone, et sans paroître avoir le sentiment de ce qu’elle lit, endort encore mieux.
  19. Cette attention est un obstacle au sommeil, lorsque le mouvement de l’esprit est vif et turbulent ; mais lisez, avec une extrême lenteur, un livre, soit amusant, soit ennuyeux, et vous ne tarderez pas à vous endormir.
  20. Les dissonances, dans la musique, sont le citron, et les consonances sont le sucre.
  21. Ce sont les organistes qui font le plus souvent usage de cette figure : au moment où un air est sur sa fin, ils le relèvent en revenant par une gradation aux premières phrases ; et après avoir fait ce jeu deux ou trois fois, au moment où l’on croit qu’ils vont continuer l’air, ils finissent tout à coup.
  22. À quoi il faut ajouter que le mode majeur répond aux passions expansives, telles que l’espérance, la joie, la colère, le courage, l’orgueil, etc. et le mode mineur, aux passions opposées, telles que la tristesse, la crainte, la compassion, la honte, le découragement, etc.
  23. C’est l’effet commun de tous les stimulanss lorsque le nouvel objet qui nous affecte n’est pas de nature à détourner notre attention de celui qui nous affectoit, on assez puissant pour nous occuper de lui seul, il ne fait, en excitant et aiguisant notre sensibilité, que nous rendre plus sensibles pour l’objet même dont nous étions occupés auparavant. Aussi l’effet général de tous des stimulans, est de renforcer la passion dominante : par exemple, dans l’ivresse, on aime, on hait plus vivement et plus hardiment ; mais l’on aime où l’on hait plus foiblement et plus timidement, lorsqu’on a un peu plus délayé son vin et son caractère ; en sorte que le vin est, pour le cœur humain, un tire-bouchon qui aide à vuider la bouteille ; il en est de même de La musique, des piéces de theâtres, des romans, de la joie ; de la colère, du café, etc.
  24. Tout ce morceau est pitoyable ; que de génie pour tourner autour d’une sottise ! Tout air frappé vivement produit un bruit : or, il est impossible d’inventer un moyen pour chasser la balle avec force, sans que l’air soit frappé vivement ; il est donc impossible que cette balle soit chassée tout à la fois avec force et sans bruit.
  25. Par exemple, ceux avec lesquels Archimèdes, dit-on, brûla la flotte de Marcellus ; et Proclus, celle de Vitalien.
  26. La parité n’est pas exacte ; plus un mouvemént est rapide, plus il échappe à la vue : au contraire, plus un mouvement est rapide, plus l’air est vivement frappé : or, plus cette percussion est vive, plus le son a de force ; et plus il a de force, plus il se fait entendre.
  27. Pour bien rendre l’idée qu’il prête aux physiciens qu’il réfute, il faudrait, à ce mot de brisement, ou de froissement, pouvoir substituer celui de pilement ; l’air, selon eux, est comme pilé et broyé sur la cloche par le marteau ; ce marteau servant de pilon, et la cloche de mortier ; mais nos lecteurs ne supporteroient pas une telle expression.
  28. Si, après avoir placé sous le récipient de la machine pneumatique ; un timbre auquel soit joint un rouage et un petit marteau qui frappe continuellement sur ce timbre ; à mesure que l’air s’évacue ; le son s’affoiblit de plus en plus ; et lorsque le vuide est aussi exact qu’il est possible, si l’on se tient à la distance de huit à dix pieds de la machine, on n’entend plus riens il semble donc que l’air soit, sinon le sujet, du moins le véhicule nécessaire du son.
  29. Le son n’est essentiellement qu’un mouvement de vibration, comme on l’a assez bien prouvé ; mouvement occasionné par une impulsion, une traction ou un choc, etc. Supposons le dernier cas ; cela posé, si le son ne peut avoir lieu sans ce mouvement de vibration ; ni ce mouvement de vibration, sans un choc ; ni ce choc, sans un mouvement local ; Le son ne peut non plus avoir lieu sans ce mouvement local ; mais ce mouvement Local n’est pas pour cela la cause formelle du son, il n’en est que la cause efficiente ; il est, dis-je, cause efficiente du choc dont le mouvement de vibration (qui constitue le son, qui est le son même), est l’effet. Il en faut dire autant de toutes les autres causes efficientes qui peuvent produire ce mouvement de vibration. Le son peut être envisagé de quatre manières ; 1°. dans le corps sonore ; 2°. dans le milieu qui le transmet, par exemple, dans l’air ; 3°. dans l’organe matériel de l’ouïe ; 4°, dans l’être ou le sujet percevant. Il paroît que, dans les trois premiere sujets, ce n’est qu’un certain mode de mouvement de vibration ; je dis un certain mode ; car je soupçonne que les différentes espèces de sensations considérées dans les différens organes qui en sont les sièges respectifs, ne sont que des mouvemens de vibration de différente espèce.
  30. Il ne dit point ce qu’il doit et ce qu’il veut dire : car voici ce qu’il veut et doit dire : les sons diffèrent de la lumière et des couleurs, en ce que, dans le premier instant, ils exigent un mouvement local dans l’air ; mais ils ont, à d’autres égards, beaucoup d’analogie avec les objets visuels, entr’autres celle-ci : que, dans les instans suivans, un tel mouvement ne leur est point nécessaire.
  31. Quelquefois même cassées ; comme il arriva à l’estrapade, au commencement de la révolution, lorsque La Fayette fit faire une salve avec plusieurs pièces de 48 en bronze, sur la place connue sous ce nom.
  32. L’explosion produit et un mouvement local dans l’air, et un mouvement de vibration ; le mouvement local ébranle les vitres, ou fait fuir les poissons ; et le mouvement de vibration produit le son.
  33. Par espèces immatérielles, il faut ici, et dans les autres endroits de cet ouvrage où ces deux mots sont employés, entendre seulement ou une matière très raréfiée et impalpable, où certains modes de mouvement, qui, sans aucune addition de substance, produisent ou occasionnent la sensation.
  34. Cette assertion nous paroît très hasardée. 1°. Elle suppose qu’il n’y a point d’air dans l’eau ; cependant l’expérience prouve qu’il n’est point d’eau qui, dans son état naturel, ne contienne une certaine quantité d’air disséminé entre ses petites parties ; mais on pourroit faire son expérience dans de l’eau purgée d’air autant qu’il est possible. 2°. Son assertion suppose que, depuis le corps sonore jusqu’à la partie sensible de l’oreille, il n’y a point du tout d’air ; ce qui est faux. Car, l’opinion précise de ceux qui prétendent que l’intervention de l’air est nécessaire pour la production du son, est que le son, dans l’homme, n’est autre chose que la perception de certaines vibrations de l’organe de l’ouïe communiquées à l’oreille par l’air, et à l’air, par le corps sonore, comme nous le disions plus haut. Ainsi il faudroit faire cette expérience sous le récipient de la machine pneumatique : or, les expériences déjà faites annoncent un résultat diamétralement opposé à celui qu’il suppose.
  35. Ce fait même semble prouver que le mouvement du corps sonore se communique de ce corps à l’eau ; de l’eau au vase ; du vase à l’air ; et de l’air à l’oreille.
  36. Par vuide ou plein, il faut entendre un vaisseau moins ou plus fort de bois, ayant une plus grands ou moindre capacité, puisqu’il vient de dire que ce vaisseau est vuide. Au reste, il y a ici contradiction entre l’édition angloise et toutes les éditions latines ; mais nous nous en rapportons à l’édition angloise, dont la leçon est plus conforme à l’expérience.
  37. Dans les deux articles suivans, l’auteur n’est pas fidèle à sa division ; où le premier n°. du second montre que son intention est de traiter, dans celui-ci, des causes qui rendent le son plus grave ou plus aigu ; et dans le suivant, de celles qui le rendent plus fort ou plus foible, plus clair ou plus sourd ; mais, dans l’un et l’autre article, il mêle et confond ces deux sujets ; confusion qui vient de ce qu’il n’avoit pas déterminé avec assez de précision les idées qu’il s’étoit faites des différences dont le son est susceptible et la nomenclature qui s’y rapporte : comme on dit d’une voix, qu’elle est plus grosse ou plus grêle, je suis obligé, pour le traduire fidèlement, d’étendre cette expression à tous les sons susceptibles de cette même différence.
  38. À peu près comme, pour former une lunette de cent pieds, destinée à observer la nuit, il suffit d’un objectif et d’un oculaire placés à la distance convenable l’un de l’autre, bien parallèles entr’eux et bien centrés, la nuit servant alors de tuyau car le tuyau d’une lunette est, en partie, destiné à empêcher que les rayons venant de l’objet qu’on veut observer, ne se mêlent avec les rayons qui viennent des autres objets, et en partie, à empêcher la dispersion des premiers rayons, comme le corps d’un instrument de musique l’est à empêcher la dispersion des rayons sonores.
  39. Il est difficile de juger si cette explication est suffisante ; car le fait est si peu circonstancié, qu’il ne dit pas même si la personne qui parle et celle qui écoute doivent être dans l’église ou au dehors : voici quelque chose de plus exact. Dans une salle de l’observatoire de Paris, si une personne placée près l’un des coins parle à demi-voix, une autre personne placée près du coin opposé (qui en est très éloigné, la salle étant fort grande), l’entendra beaucoup mieux qu’une troisième personne placée entre deux, et à sept où huit pieds de la première. Il y a aussi à Saint-Martin-des-Champs, une salle où l’on peut faire cette même expérience. Dans l’une et dans l’autre, l’angle rentrant des deux murailles qui forment chacun des deux coins opposés, est très marqué, c’est-à-dire, assez aigu, et se prolonge presque jusqu’au milieu du plafond qui est cintré ; en sorte que ces deux angles rentrans forment une espèce de canal presque continu, qui conduit la voix, en la renforçant, depuis le coin où est placée la personne qui parle, jusqu’à celui de la personne qui écoute ; explication qui rentre dans celle des premiers n°. de cet article : nous avons fait nous-mêmes cette expérience dans les deux salles. Mais l’effet que nous expliquons peut dépendre de la forme du vaisseau de cette église de Glocester. Si sa coupe horisontale, ou son plan, est une ellipse, une personne placée à l’un des foyers de cette ellipse, et parlant à demi-voix, sera beaucoup mieux entendue d’une autre personne placée à l’autre foyer, que de toutes celles qui se trouveront entre deux. Il en seroit de même si la coupe horizontale de chacune des deux murailles opposées de l’église, étant un arc de cercle, la personne qui parle étoit placée au foyer de l’un de ces arcs ; et celle qui écoute, au foyer de l’autre.
  40. Le son paroîtra encore plus fort et plus grave, si, après avoir suspendu à une jarretière des pincettes de foyer, et pris cette jarretière dans ses dents, on frappe sur les pincettes avec une clef ; on croira alors entendre une grosso cloche de paroisse.
  41. Par l’égalité des sons, il faut entendre leur similitude, comme nous l’avons observé, car l’ut, par exemple, donné par un violon, et l’ut donné par une flûte, où par un orgue, etc, ont certainement beaucoup d’analogie ; et par l’égalité des corps sonores, il faut entendre l’uniformité de leur texture. On sait, par exemple, qu’une chanterelle qui a dans sa texture des inégalités sensibles à l’œil, est presque toujours fausse.
  42. Ne serait-ce pas parcs que les deux bords de la fente ou fêlure se touchant presque, les vibrations d’une partie empêchent et font cesser plutôt les vibrations de l’autre ? Ce qui semble le prouver, c’est qu’une cloche fêlée est moins sonore et moins retentissante qu’une cloche qui n’a point ce défaut.
  43. Si, appuyant les doigts fort légèrement sur la plus grosse corde d’un violon, on appuie aussi très légèrement l’archet en faisant de fort longues tenues, cette corde rend un son fort aigu et fort aigre, qui, dans certains momens, a de l’analogie avec celui d’un flageolet.
  44. Elle a aussi ordinairement plus d’étendue.
  45. Si cette corde est tendue entre les chevilles et un-point fixe, sa longueur ne doit point varier ; et d’ailleurs, ce seroit un plaisant moyen pour déterminer les forces qui tendent la corde, que de compter les tours de cheville.
  46. Et après avoir fait tout cela, en se trainant sur les traces d’un grand homme qui boite, comme tout autre, dans un sujet peu familier, on n’aura pas avancé d’un seul pas vers le but., Voici guelque chose de plus clair et de plus précis : choisissez sur un violon une corde quelconque, par exemple, la chanterelle ; divisez sa longueur en deux parties égales ; posez le doigt sur le point de division ; la partie de cette corde qui restera entre ce doigt et le chevalet, c’est-à-dire, sa moitié, donnera l’octave (en dessus) du ton que donnoit la corde à vuide ; les de la corde entière donneront la quinte (toujours en dessus) ; les , la quarte ; les , la tierce majeure ; les , la tierce mineure ; les , le ton majeur ; les , le ton mineur, etc. Si ensuite ôtant la seconde corde du violon (le la), vous y substituez une seconde chanterelle, cette seconde corde, pincée ou raclée en même temps que l’autre, réduite successivement aux différentes longueurs que nous venons d’indiquer, donnera les accords qui répondent à ces longueurs. Actuellement transportez une de ces chanterelles sur un monocorde semblable à ceux qu’on trouve dans tous les cabinets de physique : si vous suspendez à cette corde successivement des poids qui soient entr’eux en raison inverse des quarrés des nombres ci-dessus (en supposant que le ton donné par la corde tendue par le poids regardé comme l’unité, réponde au ton que donnoit sur le violon la corde à vuide), vous aurez successivement l’octave, la quinte, la quarte, etc. par exemple, le poids=4 donnera l’octave ; le poids=, la quinte ; le poids=, la quarte, etc. etc. etc.
  47. Il ne dit point de quelle matière étoit le vaisseau ; l’édition angloise emploie le mot de barril : si tel est Le vaisseau dont parle l’auteur, son étonnement est très fondé ; car, quoique le son du vaisseau plein soit très agréable au musicien, il n’en est pas plus musical.
  48. Ce fait prouve très directement que le son ne dépend point d’un mouvement local qui seroit nécessairement détruit avec son effet, par des mouvemens si variés et si violens.
  49. Par exemple, il n’y a point de différence spécifique, mais seulement une différence de quantité ou de force, entre les mouvemens et la disposition d’organes nécessaires pour prononcer les syllabes suivantes, prises deux à deux : ba et pa ; ca et ga ; fa et va ; da et ta ; ja et cha ; za et sa. Cette différence consiste en général en une expiration plus ou moins forte ; ainsi un tachygraphe peut réduire à onze toutes les consonnes de notre alphabet ; et s’il supprimoit les voyelles et les diphtongues, comme le fait Taylor, il n’auroit besoin que de onze signes, qui pourroient être, la ligne droite en quatre positions ; le demi-cercle en quatre positions aussi ; et la boucle, dans les trois positions les plus commodes : ce qui seroit le maximum de simplicité en ce genre.
  50. Nous avons été obligés de réformer un peu ce texte, en profitant pour cela des recherches que nous avons faites nous-mêmes sur ce sujet, Voyez la Méchanique morale, Liv. VI.