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SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie III

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Sylva Sylvarum
Centurie III
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres7 (p. 368-479).

Centurie III.
Expériences et observations concernant les mouvemens des sons, du centre à la circonférence, selon toutes les directions possibles, dans des lignes droites, courbes, etc. de bas en haut, de haut en bas, d’avant en arrière, d’arrière en avant.

201. Tous les sons, quels qu’ils puissent être, se meuvent du centre à la circonférence, selon toutes les directions de la sphère, dont le corps sonore est le centre, de haut en bas, de bas en haut, etc. C’est une vérité qui n’a pas besoin de preuve, et qui est, à chaque instant, confirmée par l’expérience.

202. Il n’est pas nécessaire, pour qu’on entende les sons, qu’ils se portent en ligne droite vers le sens ; condition requise pour les objets visibles ; mais cette ligne peut être courbe, tortueuse, etc. Cependant l’expérience prouve que, lorsqu’ils suivent une ligne droite, ils ont plus de force et se font mieux entendre ; mais si alors on les entend mieux, ce n’est pas parce que cette ligne est droite, mais parce que la distance est moindre ; attendu que d’un point à un autre point, la ligne droite est la plus courte. C’est pourquoi, si une personne placée d’un côté d’une muraille, vient à parler, on peut l’entendre de l’autre côté, non que la voix passe à travers la muraille, mais parce qu’elle passe par-dessus, en suivant une ligne courbe.

203. Tout son qui ne trouve point le passage ouvert, et qui rencontre un obstacle dans une certaine direction, se fait jour par un autre côté, et fait, pour ainsi dire, le tour. Par exemple, lorsque vous êtes dans une voiture où la glace de la droite est levée, celle de la gauche étant baissée, si un pauvre, placé à la gauche, vous demande l’aumône, il semble alors qu’il soit à la droite. De même, si une cloche ou un timbre d’horloge, situé au nord d’une chambre qui a une fenêtre ouverte au midi, vient à sonner, il semble aux personnes qui sont dans cette chambre, que le son vienne du midi.

204. Quoique le mouvement des sons se fasse suivant toutes les directions de la sphère (car les sons ont aussi leur orbe, leur aire sphérique[1],) néanmoins ils se portent avec beaucoup plus de force et beaucoup plus loin, par la ligne antérieure (qui est la direction du premier mouvement local de l’air et de l’impulsion qui en résulte), que par toute autre ligne. C’est par cette raison que la voix d’un homme qui prononce un discours, est beaucoup mieux entendue de ceux qui se trouvent en face de la chaire, ou de la tribune, que de ceux qui sont sur les côtés, quoiqu’aucun obstacle latéral n’arrête la voix. De même, un coup de fusil ou de canon se fait entendre beaucoup plus loin devant la piéce, que derrière ou sur les côtés[2].

206. Mais le son se porte-t-il plus aisément de haut en bas que de bas en haut, ou réciproquement ? C’est ce qu’on pourroit mettre en question : quoi qu’il en soit, ces chaires et ces tribunes qu’on voit en tant de lieux, sont toujours plus élevées que l’auditoire. Autrefois les généraux haranguoient leurs armées de dessus une espèce de tertre artificiel, et formé avec du gazon. Car si l’orateur et les auditeurs étoient précisément sur le même plan, les corps de ceux qui se trouveroient en avant, empêcheroient la voix de parvenir aussi aisément à ceux qui seroient derrière eux. Mais il semble qu’il y ait ici quelque chose de plus : seroit-ce, par exemple, que les espèces immatérielles, soit des objets de l’ouïe, soit des objets visibles, se portent plus aisément de haut en bas, que de bas on haut[3] ? Mais voici un fait assez étonnant : si du rez-de-chaussée de l’église de Saint-Paul de Londres, on regarde des personnes placées au sommet, on a peine à les reconnoître, et elles paroissent extrêmement petites ; au lieu que, si, du sommet, on regarde des personnes placées au rez-de-chaussée, on les distingue aisément, et leur stature paroît beaucoup moins diminuée[4]. Cependant, il est certain qu’en général aux yeux d’un spectateur placé sur un lieu élevé, les objets placés fort au-dessous paroissent plus petits, et d’une figure, en quelque manière, plus ramassée. C’est ainsi que ces figures régulières qu’on donne aux bordures d’un parterre ou aux tapis de verdure, sont plus agréables à la vue lorsqu’on les regarde du haut d’un édifice, où de tout autre lieu élevé.

206. Mais pour donner une solution plus exacte de cette question que nous venons de nous proposer, soit une chambre ayant une fenêtre qui ne soit pas fort élevée au-dessus du rez-de-chaussée. Que de cette fenêtre une personne parle le plus bas qu’elle pourra à une autre personne placée dans une cour ou dans la rue ; la première appliquant sa bouche à l’une des extrémités d’un tuyau, et la personne qui doit écouter appliquant son oreille à l’autre extrémité, afin que les sons se transmettent sans dispersion de l’une à l’autre ; et réciproquement : que la dernière appliquant ensuite sa bouche à une extrémité de ce tuyau, tandis que l’autre appliquera son oreille à l’autre extrémité, parle aussi bas que la première[5]. Ce moyen seroit assez commode pour savoir si le son se porte plus aisément de haut en bas, que de bas en haut, ou au contraire.

Expériences et observations diverses concernant la durée et l’extinction des sons, ainsi que leur génération et leur propagation, ou transmission.

207. On sait que le son, une fois engendré (ce qui est l’affaire d’un instant), dure pendant quelque temps, et meurt, pour ainsi dire, peu à peu. Mais il est, sur ce point, une erreur aussi commune qu’étonnante : on s’imagine que c’est le même son, le son originel qui continue de se faire entendre ; quoique l’apparente continuité du son soit l’effet de sa réitération, et non celui de la continuation du son originel. Car, lorsqu’on frappe sur un corps sonore, on imprime à toutes ses petites parties un mouvement de vibration, en conséquence duquel ces parties frappant l’air à petits coups vifs et réitérés, renouvellent le son. Et une preuve sensible de cette assertion, est que ce son qui s’affoiblit ainsi peu à peu, et qu’on prend pour une continuation du premier son, cesse aussi-tôt qu’on touche la corde ou la cloche qui l’a produit : par exemple, dans un clavecin, dès que le sautereau est retombé et touche la corde, on cesse d’entendre le son, Mais il faut distinguer ici deux espèces de vibrations ; les unes, locales, manifestes et très sensibles dans une cloche qui est suspendue, les autres, secrètes, insensibles, qui ont lieu dans les plus petites parties, et dont nous avons parlé dans le neuvième n°. Mais la vérité est que le mouvement local contribue beaucoup à ces vibrations insensibles ; il en est la cause sine qua non (condition nécessaire). Nous voyons aussi que, dans les flûtes et autres instrumens à vent, le son cesse au même instant que le souffle. Il est vrai que, lorsqu’on cesse de jouer de l’orgue, on ne laisse pas d’entendre encore un certain murmure vague et confus ; mais ce son ne dure que jusqu’au moment où les panneaux supérieurs des soufflets sont tout-à-fait retombés.

208. On s’est assuré par l’expérience, que, lorsqu’on décharge plusieurs pièces de grosse artillerie, toutes à la fois, le bruit de l’explosion est porté à plus de vingt milles sur terre, et beaucoup plus loin en mer. Cependant ce bruit ne se fait point entendre au moment même de la décharge, mais au moins une heure après[6] ; différence qui dépend certainement de la continuation du son ; car ici il n’y a plus de vibrations d’où puisse résulter la réitération du son ; et l’on auroit beau alors toucher la pièce, le bruit ne cesseroit pas pour cela. En sorte que la durée des sons qui ont beaucoup de force, est plus qu’instantanée ; et c’est alors une vraie continuation du son initial.

209. Mais, pour déterminer avec exactitude le temps que le son emploie à parcourir un espace connu, il faudroit faire l’expérience suivante. Soit une tour élevée sur laquelle est une cloche, et tout auprès un homme qui tient d’une main un marteau, et de l’autre un flambeau masqué par un rideau ; et que son aide se tienne dans la campagne à la distance d’un mille. Cela posé, que le premier, au moment même qu’il frappe sur la cloche, montre le flambeau[7] ; et que celui qui est dans la campagne, détermine, en comptant les battemens de son pouls, le temps qui s’écoule entre le moment où il aperçoit le flambeau, et celui où il entend le son de la cloche ; car il est d’ailleur certain que la lumière franchit cette distance en un instant[8]. On pourra faire cette même expérience plus en grand, je veux dire, en employant une lumière d’un grand volume, et une fort grosse cloche, ou une grosse pièce d’artillerie.

210. Il n’est personne qui n’ait observé par soi-même que la lumière et les objets visibles sont aperçus beaucoup plutôt que le son d’un corps placé à la même distance ne peut être entendu. Par exemple, l’éclair d’un coup de canon frappe l’œil, plutôt que le bruit ne frappe l’oreille. On sait aussi que, lorsqu’on est à une certaine distance d’un homme qui fend du bois, avant d’entendre le bruit du premier coup, on voit le bras de cet homme se relever pour donner le second. De même, lorsque le tonnerre est encore fort éloigné, on voit l’éclair long-temps avant d’entendre le bruit ; le temps qui s’écoule entre ces deux momens, est proportionné à la distance du nuage orageux.

211. Lorsque des couleurs frappent la vue, on ne les voit point s’affoiblir et s’effacer par degrés ; mais, tant qu’on les voit, elles paroissent avoir toujours la même force ; au lieu que les sons s’affoiblissent et s’évanouissent peu à peu. La raison de cette différence est que les couleurs ne dépendent point du mouvement de l’air, comme les sons. Or, une preuve que le son dépend en partie de ce mouvement local de l’air, et que ce mouvement en est la cause sine qua non, c’est la courte durée de ce son ; l’air divisé et poussé par le corps sonore se rétablissant fort promptement, et ses parties se rejoignant auesi-tôt : ce que l’eau fait également, mais avec beaucoup moins de promptitude[9].

Expériences et observations sur la transmission et la non-transmission des sons.

Dans les observations ou les expériences qu’on peut faire relativement à la transmission où non-transmission des sons, il faut prendre garde de confondre les cas où le son glisse le long de la surface d’un corps, avec ceux où il passe à travers, et par conséquent choisir, pour intercepter le son, un corps dont l’assemblage soit très serré ; car le son passe à travers les fentes les plus étroites.

212. Lorsqu’on veut faire passer un son à travers un corps très dur, ou un peu dense ; par exemple, à travers l’eau, à travers une muraille, un métal (comme dans les grelots d’épervier, lorsqu’ils sont bouchés), il faut que ce corps soit fort mince ; autrement il étoufferoit entièrement le son. Par exemple, dans l’expérience où l’on parle sous l’eau, à la faveur de la masse d’air où l’on tient sa tête, la bouche ne doit pas être trop au-dessous de la surface de ce fluide ; car alors elle n’en pourroit plus traverser l’épaisseur. Par exemple, si vous parlez dans une salle bien close, et dont les murailles soient fort épaisses, votre voix ne pourra être entendue au dehors. De même, imaginez un tonneau vuide dont le bois ait deux pieds d’épaisseur, et dont la bonde soit bien bouchée, je conçois que le son qu’il rendroit, en vertu de la communication de l’air extérieur avec l’air intérieur, seroit très foible et même nul ; et que le seul son qu’on entendroit alors, seroit celui qui naîtroit du choc qu’on lui donneroit par dehors ; son qui auroit de l’analogie avec celui d’un tonneau plein.

213. Il n’est pas douteux que, dans le cas où les sons passent à travers les corps solides, l’esprit, les parties pneumatiques de ce corps ne contribuent à cette transmission ; mais c’est ce dont on s’assureroit beaucoup mieux à l’aide d’un corps dur, renfermant un autre corps dur, qui seroit frappé dans l’intérieur du premier, sans le frapper lui-même, qu’à l’aide d’un corps dur, renfermant aussi un autre corps dur, qui frapperoit ses parois intérieures[10]. Ainsi prenez un grelot d’épervier, dont les trous soient bouchés, et suspendez-le sous un récipient de verre, dont l’orifice soit lutté sur une platine avec de la cire molle, de manière qu’il soit parfaitement clos ; puis agitez fortement ce récipient, afin d’agiter le grelot, et voyez si ce dernier rend encore quelque son, ou si celui qu’il rendoit est seulement affoibli, et jusqu’à quel point il l’est. Mais il faut que le fil auquel on suspend ce grelot soit de métal ; ou que le récipient ait une fort grande capacité, de peur que le grelot, quand on l’agite, ne heurte les parois de ce récipient.

214. On conçoit aisément que, si le son, dans le détour qu’il est obligé de faire, parcourt un arc fort grand, terminé par deux lignes fort droites et fort longues, il s’affoiblira excessivement et s’évanouira presque entièrement : par exemple, tel son qu’on pourroît entendre, même étant séparé du corps sonore par un mur, on ne l’entendroit plus, s’il y avoit une église entre deux ; et tel autre son qu’on pourroit entendre à quelque distance d’un mur, on ne l’entendroit plus si l’on s’approchoit trop de ce mur[11].

215. Les corps mous et poreux sont peu sonores, et étouffent, pour ainsi dire, le son à sa naissance. Par exemple, si l’on frappe sur du drap ou sur une peau, ce coup ne produit qu’un son très foible, comme nous l’avons déjà dit ; mais les corps de cette espèce livrent passage au son beaucoup plus aisément que les corps très solides.

On sait, par exemple, que des rideaux ou une tapisserie l’arrêtent ou l’affoiblissent peu ; au lieu que de simples carreaux de vitre, bien calfeutrés, l’interceptent beaucoup plus que ne le feroit une pièce de drap d’égale épaisseur. On voit aussi par ce bruit que font quelquefois les intestins, avec quelle facilité le son traverse les membranes, la peau, etc.

216. Il y auroit encore quelques expériences à faire pour savoir si des sons très forts et très graves, comme le bruit du canon, ou le son d’une grosse cloche, ne deviennent pas plus foibles et plus grêles, lorsqu’ils passent par une fente fort étroite ; il est vrai que les sons les plus délicatement articulés passent par les plus petits trous sans se confondre. Mais il se pourroit qu’il y eût à cet égard quelque différence entre les sons graves et les sons aigus, ou entre les sons forts et les sons foibles.

Expériences et observations sur le milieu qui transmet le son.

217. Le vrai milieu du son, c’est l’air ; cependant les corps mous et poreux ne laissent pas de le transmettre aussi ; il en est de même de l’eau. Les corps durs ne se refusent pas entièrement à cette transmission. Mais au fond, tous ces corps, si on en excepte l’air, peuvent être regardés comme des milieux peu convenables pour le son.

218. Un air sec et rare est pour le son un véhicule moins avantageux qu’un air plus dense et plus humide, comme on le voit par cette facilité avec laquelle on entend les moindres sons, le soir, durant la nuit, dans un temps humide, et lorsque le vent est au midi[12]. Nous avons rendu raison de cette différence, en traitant des causes qui peuvent augmenter la force et le volume du son ; nous avons observé alors qu’un air plus rare étant plus pénétrable, contribue, par cela seul, à la dispersion du son ; au lieu qu’un air plus dense et plus humide, qui livre moins aisément passage au son, le concentre davantage, et l’empêche de se dissiper[13]. Mais c’est ce dont il seroit facile de s’assurer en jetant de grands cris dans un air humide : par exemple, dans un temps de brouillard, ou lorsqu’il tombe une petite pluie ; peut-être observeroit-on que l’effet d’une telle température est d’éteindre et d’amortir le son.

219. Mais, jusqu’à quel point la flamme peut-elle être un milieu pour le son ; sur-tout pour ce genre de sons qu’on produit à l’aide de l’air seul, et non pour ceux qui naissent du choc des corps durs ? C’est une question à laquelle on pourroit satisfaire aisément en parlant avec une autre personne dont on seroit séparé par un grand feu ; sans oublier toutefois que le bruit naturel et propre de la flamme, qui couvriroit en partie la voix, mettroit un peu d’équivoque dans le résultat.

220. Faites aussi quelques expériences sur des liqueurs de différente espèce, afin de savoir si elles produisent sur le son auquel elles servent de milieu, quelque genre ou degré d’altération différent de celui qu’y produit l’eau : par exemple, faites choquer l’une centre l’autre les deux branches d’une paire de ciseaux, plongée dans ces liqueurs successivement ; où frappez avec un corps dur sur le fond d’un vaisseau rempli successivement de lait, d’huile, etc, car, quoique ces liquides soient plus légers que l’eau, cependant leur texture est plus inégale.

Voilà ce que nous avions à dire sur la nature et la disposition des différens milieux du son ; disposition qui consiste principalement en ce qu’ils peuvent comprimer l’air plus ou moins. C’est un point que nous avons déjà en partie éclairci dans l’article qui avoit pour objet la transmission du son ; mais cette transmission dépend aussi beaucoup de la figure, de la concavité que le son est obligé de traverser ; et c’est le sujet que nous allons traiter.

Expériences et observations pour savoir comment et combien la figure des corps de flûtes ou d’autres semblables concavités, et en général celle des corps déférens influe sur les sons.

Comment et combien les figures des corps de flûtes, ou d’autres semblables concavités où le son est obligé de passer, et en général celle des corps déférens, contribuent à diversifier et à altérer les sons, soit à cause de la plus ou moins grande quantité d’air que reçoivent ces cavités, soit à cause de la route plus longue ou plus courte qu’elles font parcourir au son, soit enfin à raison de toutes autres circonstances ? C’est un sujet que nous avons déjà touché en partie dans les articles qui s’y rapportent ; mais, par ce mot de figures, nous n’entendons ici que les différentes lignes, droites, courbes ; brisées, circulaires, que le son est obligé de parcourir.

221. La figure d’une cloche a quelque analogie avec celle d’une pyramide ; avec cette différence toutefois, que la divergence et l’évasement de ses côtés est plus brusque et plus marquée. La figure du cor-de-chasse et du cornet est courbe ; cependant, parmi les instrumens de ce genre, il en est dont le corps est droit et qui ont autant de trous que les courbes. Mais la différence de leur figure n’en produit qu’une assez légère dans leurs sons, si ce n’est qu’on embouche les derniers avec plus de force. Le corps d’une flûte, d’un flageolet, d’une octave, est également droit ; mais ce dernier a en dessus et en dessous des trous inégaux. Une trompette a à peu près la figure d’une S ; figure à laquelle elle doit ses sons aigres et éclatans. En général, la ligne droite, dans ces instrumens, produit des sons plus doux et plus purs ; la ligne courbe, des sons plus rauques et plus durs.

222. On pourroit, à titre d’essai, donner à des flûtes et autres instrumens à vent, des figures différentes de celles qu’on leur donne ordinairement : par exemple, une figure sinueuse à quatre flexions(courbures ou replis), ou la forme d’une croix, avec un renflement au milieu ; ou encore une figure anguleuse, je veux dire, celle d’une ligne brisée une ou plusieurs fois ; le tout, afin de voir quelles différences produiroient dans les sons ces variations de figures ; enfin, on pourroit faire l’essai d’une flûte circulaire, et même qui formât un cercle proprement dit, où l’on auroit pratiqué deux trous ; l’un, pour recevoir le souffle ; l’autre, peu éloigné de celui-là, avec une espèce de cloison ou de diaphragme entre deux, afin que le souffle n’arrivât au second trou qu’après avoir parcouru tout le cercle.

On fera encore d’antres expériences sur des corps de différentes figures, qu’on choquera les uns contre les autres deux à deux : par exemple, sur des corps de figure sphérique, plane, cubique, cruciale, triangulaire, etc. Enfin, l’on assemblera deux à deux, des corps de même figure, puis des corps de figures différentes, et l’on fera choquer d’abord plan contre plan, convexe contre convexe, etc. puis plan contre convexe, etc. et l’on observera avec attention toutes les différences que ces figures et leurs combinaisons produisent dans les sons. On observera encore les différences de son produites par des corps d’inégales épaisseurs, qui se choquent deux à deux. Je me suis assuré par moi-même, qu’une clochette d’or n’est pas moins sonore qu’une d’argent ou de cuivre ; et l’est peut-être même davantage. Cependant, on sait que la monnoie d’or l’est beaucoup moins que la monnoie d’argent[14].

223. Dans une harpe, la concavité n’est pas le long des cordes, mais en travers et à leur extrémité. Les sons de la harpe d’Irlande s’éteignent plus lentement et se prolongent beaucoup plus que ceux de tout autre instrument. Ainsi, je crois être fondé à supposer que si l’on construisoit un clavecin a deux concavités dont l’une fût dans toute la longueur de l’instrument, comme à l’ordinaire ; l’autre à l’extrémité des cordes, comme dans la harpe, il en résulterait des sons moins sourds et moins foibles que ceux des clavecins ordinaires. Enfin, l’on pourroit varier encore cet essai en supprimant toute la concavité qui règne le long des cordes, et n’en laisser qu’une à leur extrémité, comme dans la harpe, ou enfin, en construire un à deux concavités placées aux extrémités des cordes.

Expériences et observations sur le mélange des sons.

224. Une différence très sensible qu’on peut observer entre les espèces immatérielles, relatives à la vue, et celles qui se rapportent à l’ouïe, c’est que les premières traversent le milieu commun, sans s’y mêler les unes avec les autres ; au lieu que les dernières s’y confondent. Car, si l’on promène ses regards dans l’espace, on y aperçoit une infinité d’étoiles, d’arbres, de montagnes, d’hommes, d’animaux ; or, ces objets, d’un seul regard, on les voit tous à la fois, et leurs images se peignent sans confusion au fond de l’œil ; au lieu que, si une telle multitude de sons venant de différens lieux, se faisoient entendre tous à la fois, il n’en résulteroit que des sons très confus ; ou le plus fort de ces sons effaçant tous les autres, seroit le seul qui se fit entendre. C’est ainsi que du concours de plusieurs sons fort différens et tempérés les uns par les autres, résulte l’harmonie qui ne laisse entendre aucun son distinct, mais un seul son composé de tous, Il n’en est pas de même des couleurs. Il est vrai néanmoins que de deux lumières inégales, la plus forte éteint la plus foible, au point que celle-ci échappe à la vue. Par exemple, celle d’un ver luisant est effacée par celle du soleil ; à peu près comme un son très foible est couvert par un son très fort. De plus, je me crois fondé à supposer que, si, ayant deux lanternes de verre coloré ; savoir : l’une de verre rouge, l’autre de verre blanc, et ayant mis une bougie dans chacune, on projette leur lumière sur un papier blanc, il en résultera une couleur de pourpre. Le mélange des couleurs affoiblit aussi la lumière : par exemple, des murs nouvellement blanchis rendent une chambre beaucoup plus claire que des murs noirs ou tapissés[15]. Or, si les sons se confondent ainsi, tandis que les images des objets visibles demeurent distinctes, la raison de cette différence est, que les rayons de lumière qui s’élancent des corps lumineux par eux-mêmes, ou éclairés par réflexion, suivent des lignes droites et forment différens cônes, dont les sommets tombant sur cette partie la plus sensible de l’œil, qui est le siège de la vision, y forment autant de points très distincts ; au lieu que les rayons sonores qui se meuvent dans toutes sortes de lignes, droites, courbes, brisées, etc. doivent nécessairement se croiser, se faire obstacle les ans aux autres, et se confondre.

225. L’harmonie la plus suave et la plus parfaite, c’est celle qui ne laisse entendre distinctement le son d’aucun instrument ou d’aucune voix ; mais un son unique, mixte et composé de tous les sons particuliers fondus ensemble et parfaitement d’accord ; en supposant de plus qu’on soit à une certaine distance de ces voix et de ces instrumens[16] : sensation, analogue à celle que produit la combinaison de parfums ou de fleurs de différentes espèces, dont les odeurs se répandent dans une même masse d’air, en se fondant les unes dans les autres.

226. La disposition de l’air n’influe sur tels ou tels sons, qu’autant qu’on y entend d’autres sons ; et l’influence de cette disposition, à tout autre égard, est tout-à-fait nulle. Que le temps soit serein ou nébuleux ; que l’air soit chaud ou froid, tranquille ou agité (en exceptant toujours cette espèce d’agitation qui est accompagnée de bruit), qu’il soit imprégné de bonnes ou de mauvaises odeurs, etc. c’est ce qui importe très peu, attendu qu’il ne peut résulter de ces différentes qualités de l’air, que de très légères altérations dans les sons.

227. Mais les sons peuvent se faire obstacle les uns aux autres, et s’altérer réciproquement ; lorsqu’ils sont discordans, leur combinaison ne produit que des sons confus ; il en est d’autres qui, en se combinant et se mariant ensemble, forment des accords, une harmonie.

228, Deux voix semblables et d’égale force étant réunies, ne se font point entendre à une distance double de celle où une seule seroit entendue, et deux flambeaux dont les lumières sont parfaitement égales, ne font pas non plus voir les objets clairement et distinctement à une distance double[17] : la raison de cette singularité est inconnue ; on peut dire seulement que les impressions de chaque espèce se joignent aux impressions de même nature, et les renforcent, quoique l’impression totale ne soit pas proportionnelle à la somme des impressions partielles, conne nous venons de l’observer. On pourroit soupçonner que la première impression résultante du passage de la privation à l’acte, (par exemple, du silence à un son quelconque, ou des ténèbres à la lumière) a proportionnellement plus d’effet, que l’impression résultante du passage d’un son foible à un son plus fort, ou d’une lumière foible à une lumière plus forte[18]. Enfin, ce défaut de proportion dans l’effet des impressions, vient peut-être de ce que l’air, après avoir reçu la première impression, ne reçoit pas la seconde avec autant d’appétit, d’avidité (de facilité), que cette première[19]. Mais, si l’on nous demande en général quelle est la loi, ou le rapport de l’accroissement de chaque vertu (qualité ou force), à l’accroissement de la matière, nous répondrons qu’une telle question ouvre à nos recherches le plus vaste champ, et que, pour en donner la solution, il ne faut pas moins qu’un traité ex-professo sur ce sujet[20].

Expériences et observations diverses sur les causes ou circonstances qui peuvent rendre les sons plus agréables.

229. La réflexion avec concours (le concours du son réfléchi avec le son direct) donne au son total plus de force et de volume. Mais lorsque le corps qui produit les sons primitifs ou réfléchis, est lisse et uni, ils en deviennent plus agréables. Ainsi, il faudroit faire l’essai d’un luth ou d’un violon, dont le corps fût de cuivre poli, au lieu d’être de bois. Nous voyons que, même dans l’air libre, le son des cordes de métal est plus doux et plus agréable que celui des cordes de boyaux. L’eau a aussi éminemment la propriété de réfléchir les sons, comme on le voit par les grands effets de la musique dans le voisinage des eaux, et par les échos qu’elles produisent.

230. L’expérience prouve qu’une flûte dont le corps est un peu humecté, et lorsqu’on a secoué toutes les gouttes sensibles qui se sont attachées à sa surface, rend des sons plus clairs et plus doux, que lorsqu’elle est sèche ; sons accompagnés d’un certain sifflement ou tremblement assez agréable ; comme nous l’avons observé dans l’article qui traite de l’inégalité des sons. La raison de cette différence de son est que la surface d’un corps poreux, lorsqu’elle est légèrement humectée, et se trouve, pour ainsi dire, sur la limite du sec et de l’humide, acquiert alors un certain degré de poli et d’égalité. Quant à ce sifflement ou à cette trépidation dont nous parlions, et qui doit avoir pour cause quelque inégalité, je présume qu’il est produit par l’action réciproque de la surface intérieure de l’instrument, que l’humidité a rendue lisse, et de cette partie plus intérieure du bois, où l’humidité n’a pas encore pénétré.

231. Durant la gelée, la musique qu’on exécute dans l’intérieur des édifices, paroît plus agréable qu’en tout autre temps. La véritable cause de cette différence, n’est pas la disposition de l’air, mais celle du bois et des cordes des instrumens ; ces matières, qui alors se crispent davantage, devenant en conséquence plus poreuses, plus caves. On sait aussi qu’un luth, ou un violon un peu vieux, est plus sonore qu’un neuf ; il en est de même des vieilles cordes ; deux effets qu’il faut encore attribuer à la même cause que le précédent.

232. Le mélange d’un air libre avec un air comprimé contribue à l’amélioration du son. Mais, pour s’en mieux assurer, il faudroit construire un luth ou un violon à deux concavités, c’est-à-dire, en en plaçant une seconde avec son ouverture, au-dessus des cordes ; de manière pourtant qu’on laissât au-dessous assez de place pour ces cordes, et pour jouer. Faites aussi l’essai d’une harpe d’Irlande qui, au lieu de n’avoir qu’une seule cavité à l’une de ses extrémités, en ait deux, une à chaque extrémité ; les cordes se trouvant alors entre deux. Mais peut-être un instrument de cette espèce seroit-il si sonore, que les sons anticiperoient l’un sur l’antre, et deviendroient confus.

233. Si une personne chantant seule, tient sa bouche appliquée à l’orifice d’un tambour, la modulation en devient plus agréable. Je présume qu’il en seroit de même d’un concert de voix, si chaque partie chantoit de cette manière. Mais alors, pour épargner aux auditeurs ce qu’une telle nouveauté auroit d’étrange, il faudroit mettre une toile entr’eux et les chanteurs.

234. Quoique, dans les instrumens à vent, le son s’engendre entre l’air et le souffle de celui qui en joue ; cependant, lorsque le mouvement qui constitue le son se communique à un corps d’instrument dont la surface est lisse et unie, le son y gagne d’autant. Par exemple, il n’est pas douteux que le son d’une trompette ou d’une flûte de bois ne doive être très différent de celui d’une trompette ou d’une flûte de cuivre. Il faudroit aussi faire l’essai de cors-de-chasse et de flûtes en cuivres afin de voir quelle différence produiroit dans le son, celle de la matière.

235. Enfin, l’attention contribue aussi à rendre les sons plus agréables dans les circonstances où le principe commun du sentiment se concentre dans le sens particulier de l’ouïe, et où l’action de celui de la vue est suspendue. Aussi les sons paroissent-ils beaucoup plus doux et plus forts la nuit que le jour. Je soupçonne également qu’un aveugle est plus sensible à la musique qu’une personne qui voit. Enfin, dans cet état moyen entre la veille et le sommeil, état où tous les ressorts sont comme détendus, et la plupart des sens comme liés, la musique fait plus d’impression que lorsqu’on est tout-à-fait éveillé.

Expériences et observations diverses sur la faculté d’imiter les sons.

236. S’il est dans la nature un sujet fait pour exciter l’étonnement et pour fixer l’attention du philosophe ; c’est, sans contredit, cette faculté qu’ont les enfans et certains oiseaux d’imiter les sons qu’ils entendent, et d’apprendre à parler ; mais il ne faut pas croire que, pour parvenir à cette imitation, ils commencent par considérer attentivement les mouvemens de la bouche du maître, attendu que les oiseaux mêmes apprennent aussi-bien dans l’obscurité qu’au grand jour. Cependant, parmi les sons articulés, dont le langage humain est composé, il en est dont les différences sont très fines, très délicates et difficiles à imiter. Il est vrai qu’ils n’y réussissent que peu à peu, à force de temps et d’essais, Mais enfin, ils y réussissent, et la lenteur de leur succès ne détruit point ce qu’il a d’étonnant. Tout considéré, s’il nous est permis de hazarder une conjecture qui, à la première vue, semblera étrange, nous serions portés à croire qu’il y a ici quelque action d’esprit à esprit ; je veux dire que les esprits du maître agissant sur ceux du disciple, y produisont une certaine disposition, qui d’abord excite le dernier à imiter son modèle, puis à faire des efforts réitérés pour limiter de mieux en mieux. Mais les opérations qui sont une conséquence de l’action d’esprit à esprit, sont un sujet que nous nous proposons de traiter dans le lieu convenable, et principalement dans la recherche qui aura pour objet la force de l’imagination ; c’est un des plus profonds mystères de la nature. Quant à ce qui regarde la faculté d’imiter, l’observation prouve assez que l’homme et quelques autres animaux en sont doués. On sait avec quelle exactitude et quelle facilité le singe et la guenon imitent les mouvemens de l’homme ; et dans la chasse aux dottrebs[21], nous voyons combien cet oiseau niais ressemble au singe par sa faculté d’imiter les mouvemens. Et il n’est point d’homme qui, dans un commerce fréquent avec d’autres hommes, n’imite involontairement leurs gestes, leurs voix, ou leurs manières.

237. Une preuve qu’il n’est pas nécessaire, pour que certains animaux soient capables d’imiter les sons, que l’homme leur serve de maître, c’est l’exemple des oiseaux qui se donnent réciproquement des espèces de leçons, sans que le disciple soit invité à l’imitation par l’espoir de quelque récompense, comme alimens ou autres semblables ; on voit aussi des perroquets qui imitent non-seulement la voix humaine, mais même le rire, le son qui naît du choc des corps, le bruit d’une porte qui roule sur ses gonds, celui d’un charriot, ou tout autre son qu’ils ont entendu.

238. Les seuls animaux qui aient la faculté d’imiter le langage humain, ce sont les oiseaux. Le singe imite bien les gestes et les mouvemens de l’homme, mais il n’a point la faculté d’imiter la parole. J’ai cependant vu un chien qui, lorsqu’on hurloit dans son oreille, imitoit ensuite ce hurlement pendant quelque temps[22]. Nous demande-t-on actuellement en quoi consiste, de quelle cause dépend cette plus grande aptitude des oiseaux (comparés aux animaux terrestres) pour imiter le langage humain ? La solution d’une telle question exigerait des connoissances que nous n’avons pas, et par conséquent de nouvelles recherches sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, dans les animaux terrestres, la conformation de certaines parties, telles que les lèvres, les dents, etc. a beaucoup plus d’analogie avec les parties correspondantes dans l’homme, qu’avec celles qui, dans Les oiseaux, en tiennent lieu. Quant au col, partie où se trouve compris le gosier, dans certains animaux terrestres, cette partie a autant de longueur que dans les oiseaux. Mais il faudroit pousser plus loin les recherches anatomiques sur ce sujet, pour savoir en quoi précisément consiste cette supériorité de conformation du gosier, et des autres instrumens de la voix, à laquelle Les oiseaux doivent cette faculté d’imiter les sons. Au reste, dans cette classe d’animaux, les espèces qui apprennent le mieux à parler, sont le perroquet, la pie, le geai, la corneille, le corbeau ; oiseaux parmi lesquels le perroquet est le seul qui ait le bec recourbé[23].

239. Mais au fond, cette faculté qu’ont les oiseaux d’imiter les sons, dépend beaucoup moins de la conformation de leurs organes vocaux, que de l’attention dont ils sont capables relativement aux sons. Car il faut de l’attention pour apprendre, c’est-à-dire, pour écouter et pour répéter ce qu’on a entendu. Or, les oiseaux prêtent plus d’attention aux sons que les autres animaux, et les remarquent plus souvent, parce qu’ils y prennent naturellement plus de plaisir, et s’y exercent davantage. On voit de plus que les gens qui font métier de les instruire, ou qui s’en font un amusement, leur donnent leçon durant la nuit (ou en couvrant leur cage), afin qu’ils soient plus attentifs. On sait aussi que, parmi les oiseaux chantans, les mâles ont, à cet égard, un avantage marqué sur les femelles, ce qui vient probablement de ce qu’ayant plus de vie et d’activité, ils se passionnent davantage et sont plus capables d’attention.

240. Il n’est pas douteux que le goût et l’ardeur soutenue avec laquelle on s’attache à l’imitation du langage, ou de tout autre son, ne rende plus capable de l’imiter. Aussi voit-on des pantomimes imiter si parfaitement la voix de certains comédiens, que, si l’on ne voyoit les imitateurs, on croiroit entendre ces comédiens mêmes. Il en est de même de la voix de toute autre classe d’hommes qu’ils imitent aussi-bien.

241.11 est des hommes qui savent, en affoiblissant leur voix, la rendre semblable à une voix qui viendroit de fort loin (ce qui au fond n’est, par rapport à l’ouïe, qu’un objet secondaire), et l’illusion est si grande, qu’une personne qui, étant auprès de vous, parle de cette manière, vous semble être à une lieue, ce qui ne laisse pas d’être effrayant[24]. Il faut chercher aussi la cause de cette singularité. Après tout, je ne vois pas qu’un pareil talent puisse être d’une grande utilité ; sinon pour imposer à des hommes simples, et leur faire croire qu’ils entendent parler des esprits.

Expériences et observations sur la réflexion des sons.

242. On peut distinguer dans les sons trois espèces de réflexions ; savoir : la réflexion concourante (le concours des rayons réfléchis avec les rayons directs) ; celle d’où naît la réitération du son (et qu’on appelle un écho) ; enfin, la réflexion des rayons réfléchis ; ou réflexion de réflexion, ou écho d’écho. Nous avons traité le premier de ces trois points dans l’article qui a pour objet la force et le volume des sons ; reste à parler des deux autres.

On peut, à l’aide des miroirs, réfléchir à volonté les rayons qui s’élancent des objets visibles ; et comme ces rayons jaillissent par des lignes droites qu’ils continuent de suivre, on porte où l’on veut l’image des objets, Mais on ne dispose pas aussi aisément des sons réfléchis ; parce que les sons remplissant de plus grands espaces, et se portant aussi-bien en ligne courbe qu’en ligne droite, ne sont pas susceptibles de directions si précises[25]. Aussi n’a-t-on pas encore découvert le moyen de produire à volonté des échos artificiels[26], et ne connoît-on encore aucun écho qui se fasse entendre dans un lieu fort étroit[27].

243. Les échos naturels sont produits par des murs, des bois, des rochers, des montagnes, des falaises, des rivages élevés, etc. Quant à l’eau, lorsqu’elle est fort proche, elle produit un écho concourant ; et lorsqu’elle est éloignée, un écho répétant. Car toute la différence que je vois entre ces deux espèces d’écho, est que, dans l’un, le retour du son primitif est plus prompt ; et dans l’autre, plus lent. Mais il est hors de doute que l’eau, qui facilite la propagation ou transmission du son originel, facilite également celle du son réfléchi qui forme l’écho.

244. Nous avons dit, dans un des nos. précédens, que, si l’on parle, en appliquant sa bouche à l’extrémité d’un tuyau, fermé à son autre extrémité, le retour du souffle se fait sentir à la bouche, mais qu’alors on n’entend point de son (réfléchi). Ce qui vient de ce que cette propriété qu’a un tuyau, une cavité quelconque, de conserver le son originel, ne suffit pas pour conserver (pour faire entendre) le son réfléchi, sans compter qu’il ne peut y avoir d’écho, si le son n’a une certaine force et une certaine netteté ; ce qui semble ôter toute espérance de pouvoir produire un écho artificiel, en comprimant l’air dans une concavité étroite[28]. Cependant on s’est assuré que, si une personne s’appuyant sur le bord d’un puits de vingt-cinq brasses de profondeur, parle un peu bas ; pas si bas toutefois qu’il n’en résulte qu’un chuchotement, la surface de l’eau produit alors un écho assez sensible et assez distinct[29]. Il faudroit de plus s’assurer si, en parlant à l’orifice de ces cavités ou la voix ne peut revenir que par l’ouverture même d’où elle est partie, on auroit un écho comme dans ce puits.

245. L’écho, ainsi que le son originel, se propage circulairement dans l’air (selon tous les rayons de la sphère, dont le corps sonore occupe le centre). Mais il faudroit faire quelques observations pour savoir si la répercussion du son par un corps qui feroit un angle par exemple, par cette partie d’un mur qui se trouve près de son angle rentrant, produiroit un écho ; comme, dans cette réflexion qui est l’effet d’un miroir, l’angle d’incidence, formé par un rayon qui va de l’objet au miroir, et l’angle de réflexion, formé par le rayon qui vient de ce même point de la glace à l’œil, sont parfaitement égaux ; où comme une balle qui frappe un mur obliquement, ou qu’une raquette frappe de cette manière, fait son angle de réflexion à peu près égal à l’angle d’incidence ou de percussion. Ainsi, il faudroit voir si cette circonstance suffiroit pour prodnire un écho ; je veux dire, si une personne placée latéralement, ou dans la ligne du son réfléchi, entendroit mieux la voix qu’en se plaçant aux différens points d’une ligne située entre cette dernière et celle du son direct. Il faudroit aussi se tenir alternativement tantôt plus près, tantôt plus loin du point[30] où se fait la répercussion, que la personne qui parle, afin de voir si les échos sont, ainsi que Les sons originels, plus forts, quand on est plus près de l’endroit où ils se forment.

246. Il y a des lieux où l’on entend plusieurs échos qui répètent successivement les mêmes paroles ; phénomène qui est l’effet d’une suite de montagnes, de bois, d’édifices, etc. placés à différentes distances du point où l’on entend ces échos ; car alors les retours des sons réfléchis par des corps de plus en plus éloignés, devant être de plus en plus lents, ils doivent aussi être entendus de plus en plus tard.

247. De même que le son direct se porte en avant, en arrière, à côté, en un mot, dans toutes les directions possibles, l’écho se porte aussi dans tous les sens, comme le prouvent certains échos qui se font entendre derrière la personne qui parle.

248. Pour qu’un écho puisse répéter trois, quatre ou cinq syllabes distinctement, il faut que le corps répercutant soit à une certaine distance ; car lorsque ce corps est trop proche, sans même l’être assez pour produire un écho concourant, les sons réfléchis revenant trop tôt à l’oreille, se confondent ainsi avec les sons directs. Il faut aussi que l’air qui transmet et les sons directs et les sons réfléchis, ne soit pas trop comprimé ; car un air resserré, dans les cas des grandes distances, produit le même effet que les petites distances dans les cas où l’air est libre. Aussi lorsqu’on parle à l’ouverture d’un puits, même très profond, le voix revient-elle aussi-tôt, et l’écho ne répète-t-il que deux syllabes.

249. Quant aux échos d’échos (c’est-à-dire produits par la réflexion des rayons déjà réfléchis), nous en trouvons un exemple frappant, dans un lieu dont nous allons donner la description. À quatre ou cinq milles de Paris, assez près d’un village appelé le Pont de Charenton, et à une portée d’arc de la Seine, est une chapelle ou petite église presque ruinée. Il n’y reste plus que les quatre murs et deux rangs de piliers, semblables à ceux qui forment les bas-côtés d’une église ; la voûte est totalement à jour, et il ne reste presque plus rien du ceintre. Près de chaque pilier étoit une pile de bois, que les bateliers qui le conduisent à Paris, non par bateaux, mais par trains, avoient sans doute mis là pour s’en débarrasser. Lorsque, me plaçant à une extrémité de cette chapelle, je parlois un peu haut, ma voix étoit répétée treize fois distinctement ; on m’a dit depuis que, durant la nuit, cet écho répète jusqu’à seize fois : j’étois là vers les trois heures après midi ; mais le temps le plus propre pour faire l’essai de cet écho, ainsi que de tous les autres, c’est le soir. Il est clair que celui-ci n’est pas l’effet d’une suite d’obstacles placés à différentes distances les unes des autres, mais que la voix est envoyée et renvoyée comme une balle par les deux murailles opposées, et à peu près comme deux miroirs opposés et parallèles s’envoient et se renvoient l’image d’un objet placé entre deux. Car, si, ayant une glace devant vous, vous en placez une autre derrière vous, vous verrez dans la glace antérieure l’image de la glace postérieure, dans celle-ci l’image de la glace antérieure (chacune avec l’image de la partie de votre corps qui est tournée vers elle), et ainsi de suite, par une multitude de réflexions d’images déjà réfléchies, qui seront de plus en plus petites et de plus en plus foibles, jusqu’à ce qu’elles s’affoiblissent au point d’échapper à la vue. C’est ainsi que, dans cet écho, la voix étant poussée contre l’une des deux murailles opposées et réfléchie vers l’autre muraille qui la réfléchit à son tour vers la première qui la réfléchit encore, d’une réflexion naît une autre réflexion ; du son, un autre son, chacun étant plus foible que le précédent et plus fort que le suivant, jusqu’à ce que le son, qui va en mourant peu à peu, devienne trop foible pour être entendu. En sorte que si vous prononcez trois syllabes, l’écho pourra peut-être les répéter d’abord toutes les trois distinctement un certain nombre de fois ; puis le temps que dure chaque répétition étant diminué, il répétera les deux dernières syllabes un certain nombre de fois aussi ; ensuite la dernière syllabe plusieurs fois ; enfin, la diminution ne pouvant plus avoir lieu, il sera muet. Lorsqu’un écho ne répète qu’une seule fois, s’il répète quatre ou cinq syllabes, c’est beaucoup ; mais, dans celui-ci qui répète un si grand nombre de fois, pour trois syllabes que vous avez prononcées, vous en entendez plus de vingt.

250. On entendra un semblable écho d’écho, mais avec deux répétitions seulement, si, ayant pris poste entre une maison et une colline, on jette un cri, la bouche tournée vers la colline ; car alors la maison produira un écho, qui semblera venir de derrière vous ; le son étant renvoyé de l’une à l’autre, et le dernier étant le plus foible.

251. Il y a des lettres que l’écho semble ne prononcer qu’avec peine ; par exemple, l’s, sur-tout l’s initiale. Lorsque j’allai au Pont de Charenton, j’y trouvai un Parisien, homme déjà sur l’âge, qui prétendoit que cette difficulté de prononciation étoit une obligation de plus qu’on avoit aux bons anges ; car, ajoutoit-il, quand vous criez satan, l’écho ne répond pas précisément ce que vous avez dit, mais va-t’en. Quant à moi, mon sentiment est que, si un écho ne répète pas la lettre s, c’est parce que l’espèce de son qui constitue cette lettre, n’est qu’une sorte de sifflement ou de son intérieur.

252. Quelquefois l’écho répète promptement et se fait entendre aussi-tôt après le son direct. Il en est d’autres qui semblent se faire attendre, et qui laissent un plus long silence entre le son direct et le son réfléchi. Il en est qui allongent les mots en les répétant ; d’autres dont la prononciation est plus brève. Dans certains échos, le son est clair et fort, souvent d’une force égale à celle du son direct, et quelquefois même plus grande ; dans d’autres, il est plus foible et plus sourd.

253. Lorsque le son est réfléchi par plusieurs obstacles placés circulairement et à des distances égales, il en doit résulter une espèce de chorus d’échos ; et non-seulement les sons réfléchis doivent être plus forts, mais ils doivent aussi durer plus lons-temps, et former un écho continu ; et c’est ce qu’on pourra observer dans un lieu environné de collines, et formant une enceinte semblable à celle d’un théâtre.

254, D’après les observations connues, il ne paroît pas que les rayons sonores soient susceptibles de réfraction, comme les rayons lumineux ; et je pense que, si un son passoit successivement à travers des milieux de différentes espèces, tels que l’air, l’eau, le drap, le bois, il ne changeroit pas pour cela de direction, et ne seroit pas porté à un lieu différent de celui auquel il tendoit d’abord ; déviation qui est l’effet propre de la réfraction. Quant à son accroissement, qui est aussi un des effets de la réfraction, ce genre de changement a manifestement lieu dans le son, comme on l’a assez prouvé ; mais il n’est rien moins que l’effet de la différence des milieux.

Expériences et observations sur les analogies et les différences qui existent entre les choses visibles et les choses sensibles à l’ouïe.

Dans les articles précédens, nous avons semé quelques exemples tirés des faits relatifs à la vue et aux objets visibles, pour répandre plus de jour sur la nature des sons ; mais il nous paroît nécessaire d’insister un peu sur ces observations comparatives ; et elles feront le sujet des deux articles suivans.

Analogies
Entre les choses visibles[31] et les choses sensibles à l’ouïe[32].

255. Les unes et les autres se portent du centre à la circonférence, selon toutes les directions des rayons de la sphère dont le corps sonore ou lumineux occupe le centre (mais non au-delà de certaines limites fixes et déterminées), s’affoiblissant par degrés, mourant, pour ainsi dire, peu à peu, et à raison de la distance des objets au sensorium.

256. Les unes et les autres insinuent et conservent leurs espèces[33] respectives (leurs modes respectifs) dans les plus petites parties de l’air et de leur milieu, quel qu’il puisse être : elles passent en entier et sans confusion par les fentes les plus étroites, comme le prouvent l’exemple des pinules d’un niveau, et celui d’un trou extrêmement petit, qui livre passage aux articulations les plus distinctes.

257. La génération et la propagation des unes et des autres est aussi soudaine que facile ; et elles s’évanouissent avec une égale célérité, dès qu’on ôte l’objet visible, ou qu’on touche le corps sonore.

258. Les unes et les autres reçoivent et propagent les différences les plus précises, les nuances les plus légères et les plus délicates : par exemple, celles des couleurs, des figures, des mouvemens et des distances, quant aux objets visibles ; et celles des voix articulées, des tons, des chants, des cadences, etc. quant aux objets sensibles à l’ouïe.

259. Il paroît que ni les unes ni les autres ne répandent dans leurs milieux respectifs aucun effluve corporel qui puisse remplir leur orbe ou sphère d’activité ; qu’elles ne communiquent à ce milieu qu’elles traversent, aucun mouvement local et manifeste ; mais qu’elles y transmettent seulement certaines espèces immatérielles[34]. Et comme la cause de ces deux genres de phénomènes a jusqu’ici échappé à la sagacité des observateurs les plus attentifs, elle sera, dans le lieu convenable, l’objet d’une recherche ex-professo.

260. Les unes et les autres paroissent ne produire d’autres effets que ceux qui appartiennent proprement à leurs objets et à leurs sens respectifs ; ces effets exceptés, elles sont tout-à-fait stériles et inactives[35].

261. Mais les unes et les autres, en vertu de l’action qui leur est propre, produisent trois effets manifestes : 1°. l’espèce dont l’impression est la plus forte, étouffe, pour ainsi dire, celle qui agit plus foiblement ; par exemple, la lumière du soleil efface celle d’un ver-luisant, et le bruit du canon couvre la voix humaine. 2°. Tout objet dont l’impression est excessivement forte, détruit le sentiment et l’organe même. Tel est l’effet que produit sur l’œil l’éclat du soleil, et sur l’oreille, un son excessivement fort et entendu de trop près. 3. Les unes et les autres sont susceptibles de répercussion (ou de réflexion}, comme on le voit par le double exemple des échos et des miroirs.

262. Les espèces de l’un de ces deux genres ne détruisent point celles de l’autre, et ne leur font point obstacle, quoique les unes et les autres se rencontrent dans le même milieu ; par exemple, la lumière ou les couleurs ne font point obstacle aux sons, ou réciproquement.

263. Les unes et les autres affectent les êtres animés, en ébranlant leurs sens respectifs de différentes manières, selon que les objets qui produisent les impressions, sont agréables ou déplaisanss ; objets toutefois qui, pour peu qu’on approfondisse ce sujet, paroissent affecter aussi, jusqu’à un certain point, les êtres inanimés qui ont quelque analogie ou conformité avec l’organe de l’un ou l’autre sens. C’est ainsi que les objets visibles agissent sur les miroirs, qui ressemblent assez à la prunelle de l’œil[36] ; et que les objets sensibles à l’ouïe agissent sur ces corps qui, en réfléchissant les sons, produisent des échos, et qui ont aussi quelque analogie avec la concavité et la structure de l’oreille.

264. Les actions des unes et des autres varient à raison de la disposition des milieux respectifs : par exemple, un milieu, tel que la fumée, qui a un mouvement de trépidation, fait paroître l’objet comme tremblotant ; et un milieu susceptible d’intension et de rémission alternatives, comme le vent, fait que les sons se renforcent et s’affoiblissent aussi alternativement.

265. L’air est pour les unes et les autres le milieu le plus convenable ; milieu auquel l’eau et le verre ne sont nullement comparables.

266. Lorsque l’objet relatif aux unes ou aux autres est très fin et très délié, il exige dans l’organe du sens un plus grand degré de tension, et une sorte d’érection (ou d’éréthisme) : par exemple, lorsqu’on veut voir distinctement, on contracte l’œil ; et lorsqu’un animal veut écouter attentivement[37], il dresse les oreilles ; érection plus sensible dans ceux qui ont les oreilles mobiles[38].

267. Les rayons lumineux, renforcés par leur réunion, engendrent la chaleur ; genre d’action très différent de celui d’où dépend la vision[39]. De même, les sons renforcés aussi par leur réunion, occasionnent dans l’air une extrême raréfaction (action toute matérielle et tout-à-fait différente de celle d’où résulte la production des sons) ; du moins s’il faut en croire ces auteurs anciens qui rapportent que les cris d’une multitude rassemblée dans un même lieu, ont fait tomber des oiseaux.

Différences
Entre les choses visibles et les choses sensibles à l’ouïe.

268. Les espèces émanées des objets visibles, semblent n’être que des émissions de rayons qui s’élancent de ces objets, et avoir, à cet égard, de l’analogie avec celles qui constituent les odeurs ; avec cette différence toutefois que les premières sont plus incorporelles[40]. Mais les espèces relatives à l’ouïe participent davantage du mouvement local. Ainsi, tout corps pouvant exercer son action de deux manières ; savoir : ou en communiquant sa propre nature (substance), où en communiquant son mouvement, le premier genre d’action semble devoir être attribué aux choses visibles, et le dernier, aux choses sensibles à l’ouïe.

269. La transmission et la propagation des espèces visuelles dans l’air, est moins sensible et moins marquée que celle des espèces sensibles à l’ouïe ; car notre sentiment est qu’un vent contraire ne nuit pas beaucoup aux premières, au lieu qu’il fait visiblement obstacle aux dernières.

270. La différence principale et caractéristique entre les impressions des objets visibles et celles des objets sensibles à l’ouïe ; différence essentielle et source de toutes les autres, est que les premières (en exceptant toutefois celles des corps lumineux) se font par des lignes droites, au lieu que les dernières se font par des lignes courbes. Aussi voit-on que les impressions du premier genre ne se mêlent et ne se confondent point les unes avec les autres, comme celles du second genre. C’est par la même raison que des corps solides, mais transparens, et dont les pores sont rangés en ligne droite, comme le verre, le crystal, le diamant, l’eau, etc. ne font point ou presque point obstacle à la vision ; et qu’une écharpe très fine, on un mouchoir très mince, corps qui ne sont rien moins que solides, suffisent pour cacher un objet visible : au lieu que ces corps minces et poreux interceptent peu les sons, tandis que ces corps solides les arrêtent tout-à-fait, ou du moins les atténuent et les affoiblissent. C’est encore par cette raison que le plus petit miroir suffit pour réfléchir l’image des objets visibles ; au lieu que la réflexion des sons exige de plus grands espaces, comme nous l’avons observé dans les numéros précédens.

271. Les objets visibles peuvent être aperçus à des distances beaucoup plus grandes que celles où les sons peuvent être entendus ; pourvu toutefois que la première de ces distances ne soit pas excessive ; car un son très fort peut être entendu à telle distance, d’où un très petit objet visible ne seroit pas aperçu.

272. Les objets visibles ne sont aisés à voir que lorsqu’il y a entre l’œil et l’objet une certaine distance ; mais plus le corps sonore est près de l’oreille, plus le son est aisé à entendre. Cependant il est sur ce point deux espèces d’erreurs où l’on peut tomber aisément. Voici la source de la première : la lumière étant absolument nécessaire à la vision, lorsqu’un objet touche la prunelle au point de la couvrir tout-à-fait, comme alors il intercepte la lumière, la vision ne peut avoir lieu. Or, j’ai ouï dire à un personnage digne de foi, dont un œil avoit été affligé d’une cataracte, qu’il avoit vu très clairement et très distinctement cette aiguille d’argent qui servoit à l’opération, au moment où on l’introduisoit dans son œil pour abattre la membrane de la cataracte. Or, s’il put ainsi la voir, ce fut parce que cette aiguille, qui étoit beaucoup plus petite que la prunelle, n’interceptoit que fort peu la lumière. L’autre erreur a pour principe cette différence entre les actions des deux sens que nous comparons. Les rayons qui viennent de l’objet visible, frappent l’œil presque immédiatement, et sans l’interposition d’aucune distance ; an lieu que la cavité de l’oreille met un intervalle entre le son et cette partie de l’organe qui est le siège propre de l’ouïe. Quoi qu’il en soit, il paroît que ces deux espèces de sensation exigent une certaine distance entre l’objet et la partie sensible de l’organe.

273. Les objets visibles affectent plus promptement leur sens respectif, que les objets sensibles à l’ouïe ; par exemple, dans un coup de tonnerre, on voit l’éclair avant d’entendre le bruit ; dans un coup de canon, on voit la flamme avant d’entendre le bruit de l’explosion ; et lorsqu’un homme fend du bois, avant d’entendre le bruit du premier coup, on le voit relever le bras pour donner le second. Ces exemples que nous proposons, nous les avions déjà allégués ; mais c’est ici leur véritable lieu.

274. Mon sentiment est que les sons transmis à l’ouïe subsistent plus longtemps dans l’air que les images transmises à l’œil ; lesquelles pourtant demeurent aussi quelque temps suspendues dans le milieu ; comme le prouve l’exemple d’un anneau tournant rapidement, qui paroît une sphère ; celui d’une corde de violon, qui, lorsqu’on la pince avec force, paroît se multiplier ; et celui d’un flambeau transporté dans l’éloignement, qui paroît laisser après lui une traînée de lumière ; enfin, celui du crépuscule, et une infinité d’autres phénomènes de même nature, Mais nous ne balançons pas à attribuer aux sons une plus longue durée qu’aux impressions des objets visibles, les vents portant les premiers soit vers le haut, soit vers le bas ; sentiment où nous sommes confirmés par la considération de cet intervalle de temps qui s’écoule entre le son et le coup qui le produit ; comme on l’observe dans un coup de canon entendu à la distance de vingt milles.

275. Les objets visibles n’ont en eux-mêmes rien de déplaisant, de choquant ; mais on n’en peut dire autant des objets de l’ouïe. Car si la vue d’un objet indécent nous choque, c’est moins par l’effet propre et direct de son impression sur l’organe, que par les idées d’obscénité que nous y avons attachées, et que cette vue nous rappelle. Aussi des peintures obscènes blessent-elles beaucoup moins la vue, que le bruit perçant d’une scie qu’on aiguise, ne blesse l’oreille ; et ce genre de son va même jusqu’à agacer les dents. En musique, dès qu’on entend des sons contraires aux loix de l’harmonie, l’oreille les repousse.

276. Lorsqu’on passe des ténèbres à une lumière vive, ou au contraire, le sens de la vue s’émousse, et la vision est confuse. Mais éprouve-t-on quelque chose de semblable, lorsqu’après un profond silence, on entend des sons très forts, ou au contraire ? C’est une question dont la solution exigeroit des observations plus multipliées et plus exactes sur ce sujet. Les anciens croyoient assez généralement que les peuples qui habitoient près des cataractes du Nil, étoient sourds. Cependant on n’observe rien de semblable dans les canonniers, dans les meuniers, ni dans ceux qui habitent sur les ponts.

277. L’impression des couleurs est tellement foible, qu’elles n’agissent que par des lignes droites, et par des rayons convergens, formant un cône dont la base est la surface de l’objet, et dont le sommet est dans l’œil[41]. En sorte que la vision, par rapport aux couleurs, paroît être l’effet de la simple réunion, du simple concours des rayons ; lesquels, suivant toujours la ligne directe, ne produisent point de rayons secondaires, sinon par la réflexion, dont il n’est pas question ici ; car ces rayons, en traversant le milieu qui les transmet, ne teignent que très foiblement l’air voisin de la ligne de leur passage ; autrement l’on vorroit les couleurs hors de cette ligne droite. Mais, si telle est la marche des rayons qui viennent d’un objet coloré, on observe le contraire dans ceux que lance un corps lumineux. Car, lorsqu’on met un garde-vue entre l’œil et la flamme d’une bougie ou d’une lampe, la lumière ne laisse pas de tomber sur le papier, et d’éclairer suffisamment une personne qui lit ou qui écrit[42], quoiqu’elle ne puisse voir cette flamme. Mais, si on substituoit à cette lampe ou à cette bougie un objet coloré, sa couleur ne parviendroit point à l’œil. Notre sentiment est que le son a du moins, à cet égard, quelque analogie avec la lumière, Car, lorsqu’une personne étant d’un côté, et fort près d’un mur, parle à une autre personne qui est de l’autre côté, si cette dernière entend la voix, ce n’est pas seulement parce que le son originel, en suivant une ligne courbe, parvient ainsi à son oreille ; c’est aussi parce que cette partie du son qui file, pour ainsi dire, en ligne droite le long de la muraille, et passe au-dessus, ébranle tout l’air circonvoisin, et y produit, selon toutes les directions de la sphère, un mouvement semblable à celui qui accompagne le premier son, mais plus foible et moins sensible.

Expériences et observations diverses concernant la sympathie et l’antipathie réciproque des sons.

278. Toute consonance ou dissonance, en musique, est l’effet de la sympathie ou de l’antipathie réciproque des sons, comme le prouvent les effets de ce genre de musique connu sous le nom de musique concertante, ou de symphonie. Du concours des sons de certains instrumens résulte une symphonie plus ou moins agréables ; sujet vraiment intéressant, mais vers lequel les observateurs ne tournent pas assez leur attention. Par exemple, la harpe d’Irlande se marie très bien avec la basse, la viole, ou autres semblables instrumens ; la flûte, avec les instrumens à cordes ; l’orgue, avec les voix chantantes, etc. Mais le clavecin se marie difficilement avec le luth ou le violon ; la harpe d’Irlande, avec la harpe galloise ; et une voix seule, avec des flûtes. Quoi qu’il en soit, il reste bien des expériences et des observations à faire sur cet art de combiner, de la manière la plus parfaite, les différentes espèces d’instrumens ; art dont l’avantage seroit de porter la musique au plus haut degré de perfection.

279. Une observation devenue triviale nous a appris que si, ayant mis une paille sur une des cordes d’un violon ou d’un luth posé à plat, et ayant placé tout au-prés un autre instrument semblable, dont une corde soit à l’unisson de la première, on fait résonner celle-ci, la corde correspondante du premier instrument se met en vibration ; ce qui est d’autant plus sensible à l’œil, que le mouvement de cette dernière se communiquant au brin de paille, le fait tomber. On observera le même phénomène, si l’on touche une corde qui soit à l’octave d’une autre corde, montée sur le même instrument ou sur un autre, mais placé fort près du premier. Cependant on n’aperçoit, dans ces deux expériences, aucun degré sensible de répercussion ou de réflexion du son, mais seulement une communication de mouvement.

280. On pourroit garnir une viole de la manière suivante : après y avoir mis un rang de cordes de métal, et fort près du corps de l’instrument, comme dans un luth, on y établiroit un rang de cordes de boyaux, exhaussées par le moyen d’un chevalet, comme elles le sont sur un violon. Il se pourroit qu’à l’aide d’une telle disposition, les cordes supérieures, lorsqu’on les toucheroit, affectant, par sympathie, les cordes inférieures, le son total en devint plus fort et plus agréable. Si le résultat de cette expérience répondoit à notre but, alors ce genre de sympathie, qui dépend de la répercussion du son, deviendroit aussi sensible que l’étoit, dans la précédente, le genre de sympathie qui résulte de la simple communication du mouvement. Mais, selon toute apparence, notre idée ne pourroit être réalisée par l’exécution ; car les cordes supérieures, qui rendroient des sons très variés lorsqu’on les toucheroit, ne pourroient, par cela même, être toujours à l’unisson ou à l’octave des cordes inférieures qu’on ne toucheroit pas. Ainsi, il faudroit tenter cette expérience sur les instrumens où une même corde rend toujours le même son, qui ne peut être varié par la touche ; par exemple, sur un clavecin, ou sur une harpe, y mettre, dis-je, deux rangs de cordes, l’un au-dessus de l’autre, et entre lesquels on laisseroit un certain intervalle.

281. Ces expériences sur la sympathie des sons seroient peut-être susceptibles d’être transportées des instrumens à cordes aux instrumens composés de corps qui rendent des sons par eux-mêmes. Par exemple, soient quatre cloches A, B, C, D ; que la seconde B, soit à l’unisson de la première A ; la troisième à la tierce ; la quatrième à la quinte, etc. Frappez sur cette cloche A, et voyez si le mouvement qui accompagne le son, se communique plus aisément à la cloche B, qu’aux cloches C, D, etc. De même, soient deux flûtes parfaitement égales, et qui donnent précisément les mêmes tons ; placez un brin de paille ou une plume sur l’une, et jouez de l’autre (à vuide), afin de voir si le son de celle-ci produit quelque mouvement dans ce corps léger.

282. Un fait également constaté par le témoignage des yeux et par celui des oreilles, est qu’il existe une certaine sympathie, une certaine analogie ou conformité entre les organes des sens, et ce qui produit la réflexion ; comme nous l’avons déja observé. Car, de même que la lumière de l’œil[43] ressemble assez à du crystal, à du verre, ou à de l’eau, de même aussi dans la cavité sinueuse de l’oreille se trouve un osselet assez dur et destiné à arrêter ou à répercuter les sons ; ce qui a quelque analogie avec ces lieux et ces corps qui produisent des échos.

Expériences et observations diverses concernant les obstacles et les secours relatifs à l’ouïe.

283, Le bâillement diminue pour le moment la finesse de l’ouïe : on peut regarder comme la cause de ce phénomène l’extension d’une certaine membrane dans l’intérieur de l’oreille, qui alors repousse le son plutôt qu’elle ne l’admet.

284. En retenant son haleine, on entend mieux qu’en respirant librement ; aussi, lorsqu’on veut écouter attentivement des sons qui viennent de fort loin, commence-t-on par la retenir. Car l’expiration est un mouvement de l’intérieur à l’extérieur ; mouvement d’où résulte plutôt une répulsion qu’une attraction, par rapport aux sons qu’on veut entendre. Quand on veut s’occuper fortement de quelque chose, travailler avec contention, on retient encore son haleine ; or, cet effort qu’il faut faire pour écouter attentivement, est une espèce de travail.

285. Il est tel instrument à l’aide du quel on pourroit, jusqu’à un certain point, remédier à la surdité, Donnez-lui à peu près la forme d’un entonnoir. Que le diamètre de sa partie la plus étroite soit un peu moindre que celui de l’ouverture de l’oreille, la partie extérieure étant beaucoup plus large, et ayant un évasement semblable à celui d’une cloche. Que l’instrument ait à peu près la longueur d’un demi-pied. Cela posé, il est probable qu’en approchant de son oreille la partie étroite, on entendra beaucoup mieux des sons venant d’un lieu fort éloigné, et, en général, des sons très foibles, qu’on ne le pourroit sans le secours d’un tel instrument. Il seroit pour l’oreille ce que les lunettes sont pour les yeux. J’ai ouï dire qu’en Espagne on a imaginé un instrument de cette espèce qui est de quelque utilité aux personnes qui ont l’oreille dure.

286. Quand la bouche est exactement fermée, on ne laisse pas de pouvoir encore produire un certain murmure qui vient du palais, et ressemble à celui que font entendre les muets ; mais si de plus on se bouche les narines, ce murmure ne peut plus avoir lieu, sinon dans la partie inférieure du palais et vers le gosier ce qui prouve évidemment que, la bouche étant exactement fermée, tous les sons qu’on peut encore produire (à l’exception toutefois de celui dont nous venons de parler), viennent du palais, et sortent par les narines[44].

Expériences et observations diverses sur la nature immatérielle et subtile des sons.

287. Je ne connois point de preuve plus forte de la nature immatérielle des sons, que leur répercussion (réflexion), d’où résulte ce qu’on appelle un écho. Car, si cette nature étoit corporelle, la génération du son secondaire ou réfléchi seroit, et quant à la manière et quant à l’instrument, tout-à-fait semblable à celle du son originel et primitif. Cependant nous voyons que la prononciation des mots exige un appareil très compliqué d’instrumens de différentes formes, et d’une structure fort délicate ; au lieu que la répercussion des sons n’exige rien de semblable, mais seulement un corps quelconque qui puisse les réfléchir[45].

288. Cette propriété qu’a l’air de transmettre les différences les plus délicates des sons articulés, prouve assez que les sons en général n’ont pas pour cause de simples impressions dans ce fluide. Pour faire de telles empreintes, il faudroit un sceau ou un cachet ; et l’on peut même, si l’on veut, supposer quelque chose de semblable dans la première génération du son ; mais, comme leur transmission et leur continuation n’exigent pas une nouvelle empreinte, on ne doit pas la regarder comme l’effet d’une impression.

289. Tout son naît et meurt presque en un instant ; mais ni cela même, ni ces différences délicates dont il est susceptible, ne doivent exciter l’étonnement. Car ces cadences qu’on fait sur la flûte ou sur le violon, sont d’une rapidité au moins égale à cette génération ou à cette destruction du son. Et la langue, qui n’est rien moins qu’un instrument fort délié ne laisse pas de faire avec assez de facilité autant de mouvemens qu’en exige la prononciation des différentes lettres dont les mots sont composés. Mais cette génération si prompte du son est cent fois moins étonnante que cette rapidité avec laquelle il se porte aux plus grandes distances et dans toutes les directions. Par exemple, si une personne, étant dans une plaine, prononce quelques mots à voix haute, sa voix remplit tout l’espace qui l’environne ; aux extrémités de cet espace on distingue les articulations les plus délicates d’où résultent ces mots, et dont chacune se trouve toute entière dans les plus petites parties de l’air environnant ; le tout en moins d’une minute[46].

290. La génération et l’extinction subite du son doivent être attribuées à l’une ou à l’autre des deux causes suivantes. Ou l’air, souffrant de la part du son qui s’y introduit, une sorte de violence, se rétablit aussi-tôt à peu près comme l’eau qui, étant frappée et divisée par un corps, forme différens cercles, jusqu’à ce que le mouvement imprimé aux parties de sa surface soit totalement détruit : ou l’air, peut-on dire encore, se pénètre, s’imbibe aisément du son ; mais il ne peut le retenir ; ce fluide ayant d’abord une tendance, une disposition secrète à recevoir le son, qui ensuite est comme suffoqué par les qualités plus grossières et plus matérielles de ce même fluide[47]. C’est ainsi qu’une flamme qui s’est formée tout-à-coup, est presqu’aussi-tôt éteinte par l’air, ou par tout autre corps environnant avec lequel elle n’a point d’affinité.

Les différences qui peuvent servir de base à une division des sons, se réduisent aux suivantes. Ils peuvent être, 1°. musicaux ou non musicaux ; 2°. graves ou aigus ; 3°. sourds ou perçans ; 4°. forts ou foibles ; 5°. extérieurs ou intérieurs ; 6°. purs et coulans ; ou rauques, accompagnés d’un sifflement de trépidation, etc. 7°. articulés ou non articulés[48].

On voit que nous avons beaucoup insisté sur cette recherche relative aux sons, prenant peine à envisager ce sujet par toutes ses faces : deux motifs principaux nous y ont déterminés. 1°. C’est avec fondement qu’on le regarde comme un des plus importans et des plus profonds mystères de la nature, observation que nous avons faite dès le commencement ; sans compter qu’il est peu de propriétés aussi incorporelles et aussi dégagées de la matière que celle-ci. En second lieu, notre dessein étoit d’offrir dans les premières centuries un modèle de recherche analytique et complète ; une méthode que pourront suivre les personnes qui entreprendront des recherches de même nature, et que nous suivrons nous-mêmes désormais, en traitant les sujets qui exigent autant d’attention et d’exactitude que celui-ci. Car notre principal but est de faire sentir aux hommes qu’une étude méthodique de la nature, une étude philosophique et vraiment digne de ce nom, exige une circonspection et une sévérité proportionnée à son importance et à sa dignité. Nous souhaiterions de plus qu’éclairés par cette lumière vive qu’un certain nombre de faits choisis avec soin et suffisamment variés, répandent sur une multitude immense d’objets, ils apprissent ainsi à étendre peu à peu leurs conceptions, pour égaler la capacité de leur esprit à la vaste étendue de ce grand tout qui est le véritable sujet de leurs recherches ; an lieu de vouloir, comme ils le font ordinairement, circonscrire et resserrer, pour ainsi dire, l’univers même dans les étroites limites de leur entendement.

Observation sur Les couleurs vives et éclatantes que présentent les dissolutions de certains métaux.

291. Certains métaux, dans leurs dissolutions, présentent des couleurs vives et pures : par exemple, l’or donne un beau jaune ; le mercure, un verd éclatant, l’étain, un bleu très foncé. Il en est d’autres qui se tirent de leurs rouilles ou de leurs chaux, tels que le minium, le verd-de-gris, la céruse, etc. et ces substances, lorsqu’elles sont vitrifiées, présentent aussi des couleurs assez vives. La cause de ces belles couleurs est la densité et la solidité de ces substances métalliques, qui les met en état de résister à l’action du feu et des autres agens chymiques, d’acquérir une texture uniforme, et de retenir une partie de leurs esprits les plus actifs. Car ces deux choses, l’uniformité de la texture et des esprits très actifs, sont les deux conditions les plus nécessaires pour la production de ces couleurs vives et éclatantes.

Observation relative à la prolongation de la vie.

292. Ce qui contribue le plus à la prolongation de la vie, en modérant les mouvemens des esprits et diminuant leur disposition à consumer les sucs du corps, c’est d’être entièrement maître de ses actions, de ne rien faire contre son naturel, et de n’obéir qu’à l’impulsion de son propre génie ; ou, au contraire, de circonscrire toutes ses actions dans les limites de certaines règles fixes, et de s’exercer à combattre ses passions. L’idée même de cette victoire qu’on remporte sur ses inclinations, et le sentiment bien fondé de ce pouvoir qu’on exerce continuellement sur soi-même, produit dans les esprits (vitaux) une excellente disposition, sur-tout si dans cette lutte on procède par degrés, ce qui rend le sentiment de la victoire plus vif et plus durable. Un exemple du premier genre de vie, c’est celui des personnes qui vivent à la campagne : on trouve un exemple du second dans les religieux, dans les vrais philosophes, et en général, dans tous ceux qu’une vie exempte d’ambition met à portée de jouir continuellement d’eux-mêmes[49].

Observation sur les différens degrés de la force de cohésion dans les corps.

293. Tous les corps tendent naturellement à s’unir et à éviter la solution de leur continuité. Cette tendance est susceptible de différens degrés ; mais il en est trois principaux qui méritent d’être observés, et qu’on peut marquer distinctement. Le premier est propre aux liquides ; le second, aux solides ; le troisième, aux corps glutineux ou visqueux.

Quant aux liquides, la tendance de leurs parties à s’unir et à rester unies, est très foible ; cependant elle ne laisse pas de devenir sensible par l’effet de cette cohérence en vertu de laquelle l’eau des gouttières, en tombant, prend la forme d’un filet délié ; elle l’est aussi dans cette forme arrondie qu’affectent les gouttes d’eau, ou de tout autre liquide (figure qui est l’effet de leur attraction réciproque qui tend à les rapprocher les unes des autres autant qu’il est possible) ; elle l’est encore dans cette forme de bulles sous laquelle paroissent certains fluides ; elle l’est enfin dans l’écume d’un liquide agité.

Le second degré de cette tendance dont nous parlons, degré beaucoup plus sensible et plus marqué que le premier, se trouve dans les corps solides, tels que le fer, la pierre, le buis, etc.

Le troisième, qui est comme limitrophe des deux premiers, et qui tient le milieu entre ces deux extrêmes, se manifeste dans les substances dont les parties étant mises en contact avec celles d’un autre corps, et s’y attachant à cause de leur viscosité, ne laissent pas de rester attachées les unes aux autres, en vertu de cette même qualité, évitant ainsi la solution de leur propre continuité ce qui leur permet de s’allonger et de se figurer en fils ; telles sont la colle, la poix, la glu, etc. Mais on doit observer que tous les corps solides ont plus ou moins de ténacité, et qu’ils préfèrent le contact d’un corps tangible à celui de l’air. Car l’eau, par exemple, lorsqu’elle est en très petite quantité reste adhérente à la surface des corps solides, et il en est de même des métaux en goutte, à moins que l’excès de leur pesanteur ne les détache du corps auquel ils adhéroient ; l’or : ou tout autre métal en feuilles, adhère également. Mais les parties des substances glutineuses ou visqueuses (qui sont le produit d’une mixtion moins parfaite, dans lesquelles, ni la sécheresse, ni l’humidité ne l’emportent sensiblement l’une sur l’autre, et où la tendance à s’unir semble avoir un caractère moins déterminé), étant de nature à adhérer à tout autre corps, ou les unes aux autres indifféremment, semblent pourtant s’attacher plus volontiers à un corps étranger, que les unes aux autres.

Observation sur l’analogie des effets du temps avec ceux de la chaleur.

294. Le temps[50] et la chaleur ont beaucoup d’effets communs. La chaleur dessèche les corps susceptibles d’une facile évaporation, tels que les membranes, les feuilles, les racines, le bois, etc. L’effet du temps est également de dessécher, comme on l’observe dans les substances dont nous venons de faire l’énumération. La chaleur dissout et rend liquides les substances qui retiennent leurs esprits, comme le prouve la liquéfaction d’une infinité de corps exposés à son action. Le temps produit le même effet dans les corps qui ont peu de consistance ; effet sensible dans le miel, qui à la longue devient plus liquide ; ainsi que dans le sucre et dans les vieilles huiles, qui, en se clarifiant de plus en plus, contractent peu à peu une certaine chaleur qui les rend plus propres pour les usages de la médecine. La chaleur dilate les esprits qui, ainsi dilatés, font effort pour s’exhaler, comme le prouve la volatilité de certains métaux[51], Le temps produit un semblable effet, comme on en voit un exemple dans la rouille des métaux[52]. Mais, en général, les effets du temps différent de ceux de la chaleur, en ce que les derniers sont fort prompts ; au lieu que les premiers sont extrêmement lents[53].

Observation sur les différences qui distinguent les effets du temps, de ceux de la chaleur.

295. Il est des substances qui, étant exposées à l’action du feu, s’amollissent, mais qu’ensuite le temps durcit ; telle est, par exemple, la mie de pain. Il en est d’autres que le feu durcit, et qu’ensuite le temps amollit ; telles sont la croûte de pain, le biscuit de mer, les sucreries, le sel, etc. Voici la raison de cette différence : l’action du feu sur les substances que le temps durcit, est une sorte de liquéfaction ; au lieu que son action sur celles que le temps amollit, est une sorte de coction ; car l’effet du temps sur coction, est de les dissoudre jusqu’à un certain point.

Observation sur les mouvemens qui sont l’effet de la faculté imitative.

296. Lorsque certains mouvemens se communiquent d’homme à homme, par voie d’imitation ; ce n’est pas que l’imagination du sujet passif soit excitée à cette invitation ; mais c’est le simple effet de la faculté imitative (faculté purement physique), et d’une espèce d’invitation machinale à les imiter, effet auquel contribue un peu une certaine aptitude, ou disposition antérieure à les faire[54]. Par exemple, on est naturellement porté à bâiller et à étendre ses membres à la vue d’une personne qui bâille et qui s’étend ; mouvemens qui, dans la dernière, ont pour cause une certaine pesantenr occasionnée par une vapeur assoupissante, ou autre chose semblable, et l’effort que font les esprits vitaux pour se débarrasser de ce qui fait obstacle à leur agilité naturelle. Aussi observe-t-on ces deux symptômes dans une personne qui a envie de dormir, ou dans un sujet fiévreux, quelque temps avant l’accès[55] ; symptômes accompagnés d’un certain son de voix particulier, et suivi d’un autre un peu différent, qui a lieu durant l’expiration ; toutes choses qu’une personne qui se trouve dans une disposition analogue, imite naturellement en les voyant ; à peu près comme en voyant rire une autre personne, on rit soi-même machinalement.

Observation sur les maladies contagieuses.

297. Parmi les maladies connues, il en est de contagieuses, et d’autres qui ne se communiquent point. Il paroît que les premières, ayant leur principal siège dans les esprits, affectent moins immédiatement les humeurs ;’et c’est par cette raison même qu’elles passent si aisément d’un corps à un autre : de ce genre sont les maladies pestilentielles, la chassie, etc.

2°. Il en est d’autres qui, affectant les organes le la respiration, se communiquent visiblement, attendu qu’elles sont plus faciles à observer que celles qui ont leur siège dans les esprits ; telles sont la pulmonie et toutes les maladies de cette nature.

3°. D’autres encore qui ont leur siège dans la peau, et qui s’y manifestent par des symptômes très sensibles, se communiquent par le véhicule de l’air aux corps adjacens[56], sur-tout aux sujets dont la substance étant grasse et onctueuse, ne se dissipe pas aisément ; telles sont la galle, la lèpre, etc.

4°. Enfin, il en est qui, n’ayant leur siège, ni dans les esprits, ni dans les organes de la respiration, ni dans les substances excrémentitielles auxquelles la peau livre passage, mais dans les humeurs, ne se communiquent que par le contact immédiat, par celui d’épiderme à épiderme, espèce de crible par lequel le virus s’insinue ; telles sont les maladies vénériennes[57], la rage, etc.

Observations sur la plus ou moins grande facilité avec laquelle les différentes espèces de liquides s’incorporent aux différentes espèces de substances pulvérisées.

298. La plupart des substances pulvérisées, telles que les farines, etc. s’incorporent mieux avec l’eau qu’avec l’huile ; et, dans le premier cas, elles ont plus de cohérence, quoique l’huile ait plus d’onctuosité que l’eau. La raison de cette différence, est le plus ou moins d’analogie et d’affinité de ces substances qu’on mêle ensemble ; plus cette affinité est grande, plus la pénétration réciproque et l’incorporation qui en résulte, sont complètes. Or, la plupart de ces substances, réduites en poudre, ont plus d’affinité avec l’eau qu’avec l’huile. Cependant les substances colorantes qu’emploient les peintres, et les cendres, ont plus d’affinité et s’incorporent mieux avec l’huile qu’avec l’eau.

Observations sur les exercices du corps.

299. Il est des sujets auxquels les exercices violens et fréquens sont salutaires, et d’autres à qui des mouvemens plus rares et plus doux conviennent mieux. Une violente agitation nuit aux sujets de complexion chaude et sèche ; et c’est un point sur lequel les médecins s’abusent étrangement ; car on sait qu’ils recommandent à toutes sortes de personnes, sans distinction, de faire beaucoup d’exercices. La véritable règle sur ce point, est qu’il faut proportionner la quantité des exercices à celle des alimens ; que les personnes qui mangent beaucoup, doivent aussi faire beaucoup d’exercices, et au contraire. Or, tels sont en général les avantages de ces exercices.

1. Ils déterminent avec plus de force la substance alimentaire vers les parties à nourrir[58].

2. Ils facilitent cette excrétion qui s’opère par le moyen des sueurs ou de la transpiration insensible ; ce qui dispose les parties à s’assimiler plus parfaitement les sucs alimentaires.

5. En rendant le corps plus solide et plus compact, ils le mettent en état de résister davantage à l’action des esprits qui tendent à consumer sa substance.

Et tels sont les inconvéniens des exercices dont la fréquence ou la violence n’est point proportionnée à la complexion ou au régime alimentaire du sujet.

1°. En augmentant la chaleur des esprits, ils augmentent leur action déprédatrice, et font ainsi qu’en atténuant excessivement la substance du corps, ils la consument et l’absorbent trop promptement.

2°. Ils ébranlent avec trop de violence les parties intérieures auxquelles un peu plus de repos, on des mouvemens plus doux, conviendroient mieux.

En général, les exercices qui pèchent par excès, nuisent à la prolongation de la vie ; et c’est par cette raison, que les femmes qui en font beaucoup moins que les hommes, vivent aussi plus longtemps[59].

Observation sur les alimens très rassasians.

300. Parmi les alimens, il en est, tels que le pain, la viande (lorsqu’elle n’est pas trop grasse ou trop avancée), dont on peut user souvent et long-temps, sans éprouver de satiété ; et il en est d’autres qui, bien qu’agréables en eux-mêmes, amènent promptement le dégoût ; tels sont les alimens fort doux ou fort gras. La raison de cette différence est que l’appétit peut avoir deux causes : l’une, est l’état d’inanition de l’orifice de l’estomac ; l’autre, l’action de quelque substance qui, étant astringente, est par conséquent froide et sèche. Or, les alimens trop gras, ou de saveur trop douce, remplissent et graissent excessivement ; ils demeurent trop long-temps attachés, suspendus, et comme flottans à l’orifice de l’estomac ; ils se précipitent trop lentement ; ils se convertissent trop aisément en bile, genre d’humeur de nature chaude et sèche, qui par conséquent doit ôter l’appétit. Une autre cause de ce prompt dégoût, c’est le fréquent usage d’un même genre d’alimens ; car la nouveauté d’un aliment étant une cause d’appétit, il s’ensuit, par la raison des contraires, que l’usage trop souvent réitéré d’un même aliment, doit faire naître la satiété. Mais, nous demande-t-on, quelle est la véritable source de ce plaisir que la nouveauté fait éprouver, et de ce dégoût, ou de cette satiété qui est l’effet naturel de la réitération trop fréquente des mêmes choses ? Faut-il de plus montrer, non-seulement parmi les alimens solides ou liquides, mais même parmi les exercices, les affections, les sociétés, les plaisirs, les études, les occupations de toute espèce, quelles sont les choses dont l’habitude est agréable, et celles dont la réitération amène promptement le dégoût ? Voilà certes deux questions qui ouvrent à l’observation et au raisonnement le plus vaste champ. Quant aux alimens, la véritable cause n’est autre que l’attraction qui est plus promptement et plus fortement excitée par un aliment nouveau, que par ceux dont la saveur, par un trop fréquent usage, demeure comme attachée au palais. Mais nous nous contenterons pour le moment, d’une observation générale qui peut servir de règle ; savoir : que l’habitude rend agréables les choses qui déplaisent d’abord[60] ; et qu’au contraire celles qui d’abord plaisent le plus, sont aussi celles qui amènent le plus promptement le dégoût et la satiété.

Fin du septième volume.

    l’autre extrémité, former, à l’aide d’une seule voix, une espèce de concert.

    lui feroit perdre du temps, il est plus simple qu’il montre son flambeau.

  1. Ils ont leur sphère d’activité, comme la chaleur, la lumière, l’attraction, la répulsion, les odeurs, la poudre qui s’enflamme, l’exemple, les discours, etc.
  2. C’est une vérité dont il n’est que trop aisé de se convaincre, lorsqu’on se trouve par le travers d’un vaisseau qui salue, même à une demi-portée de canon ; on sent alors une espèce de coup, non-seulement dans l’oreille, mais même dans tout le corps. Il paroît que le mouvement imprimé à la colonne d’air qui répond à l’embouchure du canon, s’étend fort loin.
  3. Il sera souvent question de ces espèces immatérielles auxquelles notre auteur fera faire bien des voyages ; mais il ne sera jamais question de ce qu’elles sont. Ce rêve a beaucoup d’analogie avec certaines opinions de quelques anciens, qui s’imaginoient qu’un petit spectre, figuré et coloré précisément comme l’objet visible, s’en détachoit et entroit dans l’œil ; qu’un petit spectre musical se détachoit du corps sonore, et entroit dans l’oreille, etc. Pour donner un sens physique à son expression, il faut dire avec lui ou pour lui, que les sensations relatives à la vue et à l’ouïe, sont l’effet de certains modes de mouvemens, sans aucune addition de substance ; ou, si l’on veut absolument mettre là une substance, c’est du moins une substance si subtile et si fine, que, ne sachant pas trop ce qu’elle est, on a droit de l’appeller un esprit, une âme, en un mot, un être très immatériel pour ceux qui ne le connoissent pas, et qui pourtant veulent en parler.
  4. C’est peut-être parce que, dans le second cas, l’objet est mieux éclairé ; ou n’est pas environné de grosses masses auxquelles on le compare. Mais ne seroit-ce pas aussi parce que l’air inférieur, qui est plus humide, plus vaporeux et plus dense que l’air supérieur, grossit les objets et fait loupe ? On sait que l’eau et le brouillard même amplifient les objets ; et qu’un navire de deux cents tonneaux qui est dans la brume, paroît un vaisseau de 64, sur-tout à ceux qui sont dans un air plus pur. En général, un objet plongé dans un fluide quelconque paroît amplifié au spectateur plongé dans un fluide plus rare ; à quoi l’on peut ajouter que le spectateur placé dans un air plus élevé et plus pur, possède à un plus haut degré la faculté de voir et d’être attentif.
  5. Il vaudroit mieux que la personne qui étoit dans la chambre, passe dans la cour ou dans la rue, et réciproquement ; car, pour que la voix initlale ait la même force dans les deux cas, et qu’on puisse comparer les deux sons, il faut que ce soit la même personne qui parle et la même personne qui écoute ; il faudroit de plus qu’on fit cette expérience la nuit et dans un lieu fort désert ; autrement le bruit de la cour ou de la rue jeteroit de l’équivoque dans le résultat.
  6. Environ 89 secondes après, si la distance est de 20 milles ; ce qui est un peu différent.
  7. L’original dit qu’il tire le rideau ; mais cela
  8. On a fait cette expérience, mais avec une pièce d’artillerie, et en prenant pour points de station, la terrasse de l’Observatoire de Paris et la tour de Montlhéry ; le résultat a été que le son, dans un temps calme, parcourt environ 1 120 pieds par seconde.
  9. Supposition très gratuites car, si les parties des deux fluides ne se rejoignoient qu’en vertu de leur pesanteur, comme l’eau a une pesanteur spécifique beaucoup plus grande que celle de l’air, ses parties se réuniroient aussi beaucoup plus vite ; mais cette réunion peut dépendre de l’élasticité du fluide ; et alors ce seroit l’air qui se rétabliroit le plus promptement.
  10. Car, dans le dernier cas, on ne saurait si le son est transmis au dehors, par le moyen des esprits renfermés dans l’épaisseur du corps extérieur, ou sil l’est, parce que le corps intérieur, en frappant Les parois de celui où il est renfermé, imprime à ses parties solides un mouvement de vibration qui se communique à l’air extérieur. Au reste, nous avons été obligés de changer totalement le texte de cet endroit, le principe qu’il pose et l’exemple qu’il allègue, étant diamétralement opposés.
  11. Le son parcourt aisément un arc, mais il ne faut pas que la courbure de cet arc soit trop brusque, ou que ses branches soient trop rapprochées l’une de l’autre ; ce qui auroit lieu, si une personné séparée d’une autre par un mur, s’en tenoit trop près en parlant, et l’autre aussi, de son côté, en écoutant ; le son alors parcourroit d’abord une ligne droite, puis un petit arc excessivement courbe, enfin une autre ligne droite.
  12. Cette assertion est peu conforme à l’expérience. Par un temps couvert et peu humide, on entend mieux ; mais un temps très humide rend tous Les sens plus obtus.
  13. Il semble que, dans un temps nébuleux, les nuages arrêtent la voix, et emboîtent, pour ainsi dire, le son ; on peut dire aussi qu’alors la lumière étant moins éclatante, le principe vital se porte d’autant plus dans l’organe de l’ouïe, qu’il se porte moins dans celui de la vue ; un temps couvert est une espèce de nuit commencée.
  14. L’orfèvre n’aurait-pas mis beaucoup de cuivre dans la clochette de notre philosophe qui n’en aura peut-être pas vérifié le titre ?
  15. Il regarde le noir comme l’effet du mélange confus de certaines couleurs. Selon Newton, le blanc est l’effet de la présence des sept couleurs primitives combinées ensemble dans certaines proportions ; et le noir est l’effet de leur absence.
  16. Par exemple, une harmonie très agréable, c’étoit celle que formoient les voix de cinq cents écoliers chantant le Magnificat dans la chapelle de leur collège ; voix qui se fondoient avec celles des professeurs, des principaux et sous-principaux, des domestiques, etc. sur-tout à Louis-le-Grand, où se trouvoient des étudians de tous les âges, jusqu’à 35 ans ; harmonie d’autant plus parfaite, qu’on n’y distinguoit point les quatre parties du grand accord ut, mi, sol, ut, sinon les deux extrêmes ut, ut, liés ensemble par une infinité de moyennes proportionnelles harmoniques ; et d’autant plus suave, qu’elle étoit sans art et sans apprêt.
  17. Ce problème semble rentrer dans celui de la duplication du cube, de la sphère, ou de tout autre solide régulier ; car il semble que, si l’effet de deux lumières ou de deux voix égales est double de celui d’une seule, une voix double, ou deux voix égales et réunies peuvent être entendues dans une sphère double de celle où une seule peut l’être, et qu’une lumière double, etc. Or, le rayon d’une sphère double n’est rien moins que double ; il n’est plus grand que d’environ un quart. Ainsi, en supposant qu’une des deux voix égales puisse être entendue à cent pas, les deux voix réunies ne devront l’être qu’à cent vingt-cinq pas. Actuellement l’effet de deux voix égales est-il double de celui d’une seule ? je l’ignore.
  18. Il semble que ce devroit être le contraire ; car il faut d’abord une certaine force pour vaincre l’inertie de l’organe du sens, et pour éveiller la sensibilité ; et tel degré qui n’eût pas été sensible avant qu’elle fût excitée, le devient, lorsque le sens a commencé à percevoir.
  19. Que de rêves, faute d’une notion géométrique !
  20. Voyez, dans le supplément de l’ouvrage précédent, nos observations sur les progressions naturelles et les progressions artificielles.
  21. Le guignard, c’est La troisième espèce de pluvier, dont l’histoire se trouve dans Buffon (tome XV, page 136) ; il y est fait mention de son instinct imitateur.
  22. Dans mon voyage de Chine, j’ai vu un chien qui faisoit beaucoup plus. Son maître (M. Suenon, supercargo des Danois, homme plein de connoissances et de talens de toute espèce), plaçoit une bouteille sur le milieu d’une table un peu élevée, et commandoit à son chien de la lui apporter ; le chien s’élançoit vers la bouteille ; et ne pouvant la saisir avec les dents, tâchoit de l’approcher avec ses pattes ; mais les pattes glissant aussi, il ne faisoit que l’éloigner ; après quelques efforts inutiles, il commencoit à se plaindre en hurlant ; alors M. Suenon, prenant le ton de l’animal, hurloit lui-même, mais ce hurlement était modulé, et on auroit pu le noter ; le chien, à son tour, suivoit la voix de son maître ; ce qui formoit une espèce de duo, mais à l’unisson. Je suis persuadé qu’en exerçant le chien avec plus de soin, on auroit pu porter cette imitation beaucoup plus loin. On prétend que Leibnitz en avoit un qui prononçoit quelques mots, Il paroît que le moyen de rendre un chien capable d’imiter quelques sons musicaux de la voix humaine, seroit d’imiter d’abord soi-même la voix de l’animal, d’y ajouter ensuite une seule note, puis une seconde, quand il auroit appris à imiter la première ; une troisième, quand il auroit appris à imiter les deux premières ; et ainsi de suite.
  23. Il faut y joindre la petite catau ou perruche des isles de la Sonde.
  24. Un curé de St. Germain-en-Laye ; qui avoit ce petit talent, s’amusoit à effrayer de vieux militaires avec lesquels il se promenoit le soir.
  25. On a prouvé depuis par de fort belles expériences, qu’à beaucoup d’égards, la marche des rayons sonores est semblable à celle des rayons lumineux, et que les premiers font, ainsi que les derniers, l’angle de réflexion égal à l’angle d’incidence.
  26. Il semble qu’une maison, un château, une église, un édifice quelconque, auquel aboutissent deux murs parallèles et fort longs, dont la distance est égale à la façade de l’édifice, devroit toujours produire un écho ; et cependant cela n’est point.
  27. Parce qu’il faut que l’excès de la somme de la distance du corps qui produit le son, au corps qui le réfléchit, de la distance de ce dernier à l’auditeur, sur la distance de l’auditeur au corps sonore, soit assez grand, pour que le son réfléchi, lorsqu’il se fait entendre, ne se confonde pas avec le son direct.
  28. Il devoit dire dans une concavité fort courte, et non dans une concavité fort étroite ; car il se pourroit qu’à l’aide d’un tuyau fort long, par exemple, de deux ou trois cents pieds, et fermé à l’extrémité opposée à celle où l’on appliqueroit la bouche, on produisit un écho. Mais si l’on n’avoit en vue que la simple répétition des sons, il suffiroit peut-être, pour parvenir à ce but, de placer dans un appartement fort long, un tuyau qui en occupât toute la longueur, et qui eût un grand nombre de replis. Comme il y auroit alors un grand intervalle de temps entre le son direct et le son réfléchi, on pourroit entendre la répétition de plusieurs syllabes ; si la dernière partie de ce tuyau étoit évasée comme un porte-voix, le son réfléchi seroit probablement plus fort que le son direct ; si cette dernière partie s’ébranchoit en plusieurs tuyaux, au moment de la répétition, on entendroit plusieurs voix. Enfin, si ces derniers tuyaux étoient de différentes grosseurs, on pourroit, en chantant
  29. J’ai fait ce même essai sur des puits beaucoup plus profonds, et je n’ai point entendu d’écho ; mais cela peut dépendra aussi de la largeur du puits.
  30. Cette manière de faire l’expérience indiquée ne rempliroit pas son objet ; il suffiroit, pour le remplir, de se tenir successivement à différentes distances du corps qui réfléchiroit la voix.
  31. La lumière et les couleurs.
  32. Les sons.
  33. Pour bien entendre ces deux articles, il faut distinguer ici cinq choses, que l’auteur ne distingue pas assez.

    1°. La substance et le mode du corps, soit sonore, soit lumineux.

    2°. Ce qui en émane, soit substance, soit mouvement, soit l’un et l’autre.

    3°. Le milieu qui transmet cette substance ou ce mouvement.

    4°. L’organe qui est frappé, touché par cette substance, ou auquel ce mouvement est communiqué.

    5°. La perception de cette substance ou de ce mouvement. Il faut entendre par espèce, sonore ou lumineuse, le mode de substance ou de mouvement, ou de l’un et de l’autre, qui, en faisant impression sur l’organe, en y occasionnant un ébranlement, produit la sensation.

  34. Certains modes de mouvemens oscillatoires très fins et très déliés ; car les substances corporelles et les mouvemens ôtés, il ne resteroit plus rien, du moins en physique. Ces deux articles sont un triple galimathias dont j’ai bien de La peine à tirer quelques lignes raisonnables.
  35. Elles n’agissent que sur les êtres animés qui ont la faculté de voir ou d’entendre, et non sur les corps inanimés.
  36. Ils ressemblent à la prunelle de l’œil précisément comme un mur ressemble à une fenêtre, et comme le tenon ressemble à la mortaise ; car les rayons lumineux passent par la prunelle et à travers les trois humeurs de l’œil ; au lieu qu’ils sont réfléchis par un miroir.
  37. Le mot attention signifie tension à ou vers un objet qu’on veut examiner.
  38. Par exemple, dans un âne et dans un lièvre.
  39. Dans un corps capable d’affecter plusieurs sens, chaque sens saisit ce qui lui est propre : par exemple, dans un feu clair et lumineux, l’organe du tact perçoit la chaleur ; et l’œil, la lumière.
  40. Puisqu’elles affectent aussi des corps.
  41. De chaque point lumineux ou éclairé d’un objet visible, partent des rayons divergens et formant un premier cône dont la base est la prunelle ; mais ensuite ces rayons réfractés par les trois humeurs de l’œil forment un second cône, qui a aussi pour base la prunelle, et dont le sommet tombe sur cette partie sensible de l’œil, qui est le siège propre et immédiat de la vision.
  42. Parce que cette lumière est réfléchie par la surface de ce papier. Cette lumière réfléchie n’est suffisante que dans les cas où la lumière directe a une certaine force. Or, la lumière qui s’élance d’un objet coloré, est plus foible que celle qui jaillit d’un corps lumineux par lui-mème. Et une preuve que cette réflexion de la lumière dépend de sa force, c’est que tout objet dont la couleur est très vive, reflète sur les objets voisins, et les teint plus ou moins de cette couleur.
  43. La partie la plus transparente de l’œil.
  44. Ils viennent et du palais et des autres parties qui forment la cavité de la bouche. Ils passent par les narines, parce qu’alors il n’y a plus d’autre ouverture, du moins dans le voisinage.
  45. Quoique la structure de la main qui fait une balle et qui la lance contre un mur, soit beaucoup plus composée que celle de ce mur, il ne s’ensuit point du tout que cette balle soit de nature immatérielle.
  46. Son assertion est fort au-dessous de la réalité ; la voix de cette personne, en moins d’une seconde, ébranle la masse d’air que pourroit contenir une sphère creuse de 1 120 pieds de rayon, et dont sa bouche occuperoit le centre.
  47. Quelle physique ! Le son paroit être l’effet d’un mouvement de vibration imprimé par le corps sonore aux parties de l’air ; ce mouvement se communique de proche en proche, et, comme tout autre mouvement de cette nature, s’affoiblit peu à peu en se communiquant.
  48. Il oublie cette division, gros ou grêles.
  49. La pire de toutes les maladies morales qui, à la longue, se convertissent toutes en maladies physiques, c’est la vanité humiliée, ou, ce qui est la même chose, le sentiment de son impuissance, source de l’envie, de la haine, du dépit, de tous les vices et de tous les maux. D’où il suit que le meilleur préservatif pour l’âme et pour le corps, est l’estime de soi-même fondée sur un mérite réel ; ou la sottise qui en tient lieu : car le sot engraisse de la bonne opinion qu’il a de lui-même, et digère mieux que l’homme spirituel, qui n’a pas l’esprit d’être bête à l’heure de la digestion.
  50. Le temps n’étant point un être physique et réel, mais un être purement idéal, ne peut par conséquent être une cause physique. Ainsi, on doit entendre par ce mot, de petites causes, dont la multitude, le concours et l’action continue ou réitérée compensent la foiblesse. Cependant nous permettons aux poëtes de personnifier encore le temps, pourvu que désormais à cette faux qu’ils lui donnent ordinairement pour attribut, ils aient soin de substituer une lime ; car le temps ne fauche point, mais il dégrade insensiblement ; il mine, il use.
  51. Par exemple, celle du mercure.
  52. Elle paroît être l’effet des agens extérieurs : par exemple ; des particules aqueuses et acides, disséminées dans l’air qui touche et lèche, pour ainsi dire, leur surface, Mais si l’on considère qu’un temps assez court suffit pour dessécher jusqu’au centre une pièce de bois fort grosse ; on se persuadera difficilement que cette prompte dessiccation puisse être opérée par la simple action de l’air, et que ce fluide puisse pénétrer si avants il est plus vraisemblable qu’elle dépend en partie de la force expansive d’un agent intérieur, d’un reste d’action végétative.
  53. Les effets du temps demandent beaucoup de temps ; tel est le pléonasme qui résulte de son exposé ; et telles sont, en physique, les absurdités auxquelles mène le défaut de justesse dans l’expression.
  54. Une preuve que l’imagination a quelque part à cette imitation, c’est qu’une personne qui ne voit ou n’entend pas ces mouvemens, ne les imite point : par exemple, une personne placée derrière une autre qui bâille sans bruit, ne bâillera pas. Tout homme a besoin de mouvement, aime à se mouvoir, et préfère naturellement les mouvemens les moins pénibles : or, il a moins de peine à imiter les mouvemens dont un autre lui donne l’idée, en les faisant à sa vue, qu’à en imaginer de nouveaux et à se mettro lui-mème en train : cette imitation ne demande pas beaucoup de réflexion, les suggestions de notre instinct paresseux étant extrémement prompte. Ainsi, la faculté imitative paroit être l’effet composé du double besoin d’action et de repos, dont les effets se combinent presque toujours dans l’individu.
  55. Le bâillement est un mouvement automatique par lequel le corps remédie au défaut d’action et à la pesanteur qu’il éprouve, en aspirant plus longuement et en plus grande quantité, le fluide qui est son principal stimulant ; savoir : l’air ; et cette action par laquelle un animal, après une longue inaction, étend ses membres, est un mouvement également automatique, tendant à déterminer vers les parties extérieures, et à distribuer plus également les esprits trop concentrés dans les parties intérieures par cette inaction. Ce qui appuie cette explication, c’est que le vrai remède à l’engourdissement, est d’étendre fortement la partie engourdie ; et qu’après avoir lu ou médité avec beaucoup d’attention ; en retenant en partie sa respiration, on est naturellement porté à respirer avec plus de force et par tenues plus longues, qu’un ne le fait dans tout autre cas.
  56. Quelques médecins prétendent qu’elles sont occasionnées par certains insectes qui piquent la peau, comme d’autres insectes piquent les feuilles des arbres ; la peau étant, à bien des égards, le feuillage de l’animal.
  57. J’ai l’expérience du contraire, ayant souvent été forcé de coucher avec des marins ou autres voyageurs qui en étoient atteints, et ne les ayant point gagnées, quoiqu’ils suassent beaucoup. Elles se gagnent par le contact du rouge au rouge. Le ton sérieux et sévère sur lequel nous parlons, nous permet de donner à l’âge des plus ardens désirs et de l’imprudence qui en est l’effet, cet important avertissement, sans violer les loix de la pudeur et de la décence.
  58. Les fluides du corps humain se portant naturellement avec plus de force et en plus grande quantité vers les parties frappées, frottées, mues, et en général irritées par un moyen quelconque.
  59. Il ne sera pas inutile d’ajouter que les exercices du corps doivent être en raison inverse des exercices de l’esprit ; car les derniers épuisent encore plus que les premiers ; et d’ailleurs un homme qui médite beaucoup, est habituellement au physique une sorte de convalescent, de valétudinaire, de femme, etc.
  60. Cette règle n’est rien moins que générale ; et tout lecteur judicieux voit, au premier coup d’œil, qu’elle a bien des exceptions ; par exemple, des coups de bâton et des critiques, deux choses que l’habitude n’apprend point du tout à digérer, et qui par conséquent s’emboîtent fort mal dans sa règle. Il faut donc la limiter en disant que ces choses qui, après avoir déplu pendant quelque temps, plaisent ensuite par degrés, sont celles qui peuvent augmenter nos avantages : tels que santé, beauté, force, adresse, courage, talens, réputation, fortune, puissance, etc, et auxquelles, par cette raison, fondée ou non, nous attachons une idée de bien, de perfection, etc.