Sabre et scalpel/07

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Chapitre VII.

LL y avait près de trois semaines que nos deux amis étaient installés chez Maximus. Le père Chagru faisait tranquillement sa petite besogne et passait inaperçu.

Gilles continuait à faire des progrès rapides dans l’estime de son patron et de sa sœur. La saison était avancée ; il faisait beaucoup de courses au dehors.

— Mon ami, lui disait Maximus, vous vous donnez trop de peine, ménagez donc un peu votre santé ; vous vous rendrez malade.

Comme pour donner raison aux craintes de Maximus, le soir, Gilles se plaignit d’un peu-de fièvre et demanda à se retirer de bonne heure.

Le lendemain, il ne parut pas au déjeuner. Maximus inquiet, monta à sa chambre, pour prendre de ses nouvelles.

— Ah ! mon ami, combien vous nous rendez inquiets ! Comment vous trouvez-vous.

— J’espère que ce ne sera rien, dit Gilles d’une petite voix faible, ce n’est qu’un peu de fièvre qui va se passer. Je me suis peut-être trop écouté, et je vais me lever.

— Non, non ; n’en faites rien ; ne vous exposez pas.

— Il n’y a toujours pas de danger à essayer.

Gilles se glissa péniblement hors du lit, fit quelques pas mal assurés dans la chambre et finit par tomber dans les bras de Maximus, qui le replaça sur son lit en disant tout essoufflé :

— Vous voyez bien que vous êtes trop faible. Allons ! je vous défends de vous lever et j’envoie chercher mon médecin. Les fièvres ne badinent pas à cette saison-ci.

— Je crois bien que cela ne sera rien, dit Gilles, dont la voix allait toujours s’affaiblissant ; cependant puisque vous avez la bonté de vouloir faire venir un médecin, je préfèrerais avoir le mien. Il connaît ma constitution et je suis habitué à ses soins. C’est un tout jeune homme, mais il est déjà sur le chemin de la célébrité ; le père Chagru le connaît bien ; si vous voulez l’envoyer chercher avec votre voiture, vous me rendrez service. Mon Dieu ! que d’embarras je vous cause ! Et mes livres qui vont être en arrière !

— Ta, ta ; ne vous occupez pas de cela ; je ne vous ai pas acheté comme un esclave. Tenez votre esprit en repos et rappelez-vous que je vous défends de faire des extravagances. Je vais maintenant donner des ordres pour qu’on aille chercher votre médecin.

Maximus descendit d’un air important.

Une heure après, le père Chagru était de retour et Giacomo Pétrini faisait son entrée chez Maximus.

Giacomo était mis simplement, mais avec un goût parfait. Ses cheveux et sa barbe étaient peignés avec un soin tout particulier. Il était vraiment magnifique.

— Quel bel homme, se dit Céleste, en le voyant descendre de voiture.

Ernestine jeta un simple regard de curiosité sur le jeune médecin ; mais elle ne put s’empêcher d’être frappée à l’aspect de sa mâle beauté.

Cependant, Pétrini se fit conduire à la chambre du malade, où on le laissa seul avec Gilles.

— Allons mon cher lui dit ce dernier, tout bas en le voyant entrer, nous voici dans la bergerie ; vous voyez que nos agneaux ne sont pas mal logés.

— Diable ! vous êtes un heureux coquin, fit Pétrini en jetant un coup d’œil autour de la chambre ; vous êtes logé comme un prince du sang. Saperlotte, l’affaire commence à m’intéresser. Mais voyons, êtes-vous vraiment malade, et qu’est-ce que vous avez ? Votre langue ?

Gilles montra sa langue qui était aussi peu chargée que possible.

Hum ! fit Pétrini, voyons le pouls ?

Gilles présenta son poignet gauche sur lequel Pétrini appliqua son index pendant quelque temps.

— Ah ! ça, dit-il, pourquoi diable m’avez-vous donc envoyé chercher ? Chagru m’a dit que vous aviez la fièvre ; mais, mon compère vous êtes aussi bien portant que moi.

— Vous connaissez votre métier ; mais vous n’êtes pas diplomate, monsieur le médecin. Ne voyez-vous pas qu’il est temps que votre rôle commence ? En dépit de votre savoir, je suis très-malade et je sais que mon état va empirer pendant huit jours ; vous viendrez me voir chaque jour une fois, deux fois s’il le faut, et vous serez très-inquiet sur mon état. C’est aujourd’hui, mardi ; eh ! bien, mardi prochain la maladie aura atteint son paroxysme, vous passerez la journée ici ; le soir vous ne pourrez pas me laisser. Dans la nuit, il se déclarera une crise qui, j’ai tout lieu de le croire, me fera doucement entrer en convalescence. Vous m’apportez beaucoup de fioles, d’eau rougie, ou de toutes les nuances qu’il vous plaira. Je ne vous défends pas même de m’affaiblir un peu. Mais prenez garde, ne commettez pas de ces petites erreurs innocentes, et Gilles souligna ce mot, qui envoient sournoisement un patient dans l’autre monde. Vous n’aimez pas l’éclat et vous savez qu’il y aurait une enquête. Je dis seulement cela parce que tout le monde est sujet à se tromper, et vous n’êtes pas plus infaillible que les autres. Vous avez huit jours pour travailler. Si, pendant ce temps vous ne trouvez pas moyen de vous rendre aimable, nécessaire même, autant vaut de suite renoncer à votre projet. Vous m’avez compris. Allez maintenant rendre compte de mon état à ce brave Maximus et ne manquez pas d’attribuer ma fièvre à un excès de travail. Je ne vous retiens plus, et prenez garde aux potions dangereuses.

— Vous êtes un grand coquin ; mais vous êtes un maître homme, dit Giacomo ; je vous comprends ; à demain.

Il prit sa canne et son chapeau et sortit de la chambre.

Au pied de l’escalier, il rencontra Maximus qui le fit entrer dans un petit boudoir où Céleste était assise avec une figure toute inquiète.

— Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, Monsieur, dit Maximus, et je vous parais peut-être indiscret ; je suis Monsieur Maximus Crépin, propriétaire de cette maison, et voici ma sœur. Vous comprenez de suite quel intérêt nous avons à connaître l’état de notre cher malade.

Giacomo salua Maximus et s’inclina profondément devant Céleste qui continuait à se répéter : « quel bel homme ! Son père a dû être au moins duc ou marquis ! »

— Vous êtes bien bon, Monsieur, dit Pétrini, et je vous assure que l’intérêt que vous montrez pour mon ami me touche profondément. Il n’est pas en danger mais sa maladie pourrait être plus sérieuse qu’il ne le pense. Dans tous les cas, je crois pouvoir en répondre.

— Ah ! vous me rassurez, dit Maximus avec un soupir de soulagement qui n’était pas feint. Et quelle est donc sa maladie ? Vous comprenez que cela pourra nous guider dans les soins que nous lui donnerons.

— Oh ! ce n’est qu’une fièvre causée par des imprudences, et un peu d’épuisement. Je n’ai pas pu lui faire avouer la vérité toute entière, mais je soupçonne fort que sa maladie a pour cause, un excès de travail et une trop forte tension d’esprit.

— Et moi j’en suis sûr, s’écria Maximus. Quand je vous le disais ma sœur, continua-t-il en se tournant vers Céleste.

— Oui, monsieur, dit celle-ci, nous l’avons averti, nous l’avons même grondé ; il s’est jeté sur son ouvrage comme si sa vie eût été au bout de la tâche. Rien n’a pu l’arrêter, et maintenant vous en voyez les suites. Le malheureux enfant ! Et Céleste essuya une larme.

— Mon cher monsieur dit Maximus, n’épargnez rien pour le guérir. Je vous promets que, lorsqu’il sera mieux, ce sera moi qui le ferai travailler à ma guise, et il ne prendra plus de fièvre,

Maintenant ma voiture est à votre disposition ; dites-moi à quelle heure il faudra vous envoyer chercher demain. Et n’oubliez pas de ne rien épargner. Morbleu ! il ne sera pas dit que les gens meurent de travail dans la maison de Maximus Crépin.

— Je vais envoyer une potion calmante, par votre domestique, dit Pétrini. Il suffira de lui en donner la moitié vers neuf heures ce soir, et le reste demain matin, à la même heure. Surtout ne lui permettez pas de se lever, je reviendrai demain dans le cours de l’après-midi. Je ne partirai pas, cependant, sans vous remercier encore de l’amitié que vous montrez à monsieur Perron, et sans vous assurer qu’il en est tout-à-fait digne.

Permettez maintenant que je me retire, j’ai d’autres malades qui m’attendent, et vous savez que la douleur n’est pas patiente.

Giacomo prit congé, et sauta dans la voiture qui l’entraîna rapidement vers la ville.

— Excellent jeune homme ! murmura Maximus, quand le docteur fut parti. Il faudra que nous cultivions cette nouvelle connaissance. Décidément, ma sœur, je crois que nous allons passer un hiver très-agréable.

Et le bonhomme monta lestement vers la chambre de Gilles en se frottant les mains.

Arrivé près de la porte, il se composa une figure grave et entra avec un maintien empesé, qu’il croyait rendre imposant.

— Eh ! bien, comment ça va-t-il ? et comment vous sentez-vous ?

— Pas trop mal, reprit Gilles d’une petite voix éteinte ; j’espère que cela ne sera rien.

— Hum ! Rien, rien ; le médecin pense le contraire, et il ne m’a pas caché que votre fièvre provient d’imprudences. Il m’a recommandé d’être sévère et je suis décidé à l’être. D’abord vous ne vous lèverez pas sans ma permission.

— Et mon travail qui est là.

— Votre travail ! il est bien question de cela ! Sacrebleu ! je veux qu’on m’obéisse. Vous allez vous laissez soigner, et si vous ne prenez pas les moyens de guérir, je me fâche.

Gilles poussa un soupir à fendre une âme plus dure que celle de Maximus.

— Voyons, reprit le bonhomme d’une voix plus douce, vous ne savez pas toute l’inquiétude que vous nous causez à ma sœur et à moi…

— Je sais que vos bontés n’ont pas de bornes, et ce qui me désole, c’est de ne pouvoir pas y correspondre dignement.

— Il ne faut pas vous inquiéter de cela ; le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire est de vous guérir et de plus commettre d’imprudences. Je vais maintenant vous laisser reposer ; si vous avez besoin de quelque chose, ne vous gênez pas. Le docteur doit envoyer des remèdes ce soir, je vous engage à bien suivre ses prescriptions. Allons, du courage, et ne vous troublez pas l’esprit.

Maximus sortit tout content de l’acte d’autorité qu’il croyait avoir fait.

Quant à Gilles, il prit une position moins gênante et se mit à rire dans sa barbe du succès de sa petite comédie.

Le lendemain Giacomo revint ainsi que les jours suivants. Chaque jour il s’attardait un peu et causait avec Maximus et Céleste. Il n’avait fait qu’entrevoir Ernestine ; mais sa beauté l’avait frappé.

— Après tout, se disait-il, ça ne sera pas un sacrifice par trop désagréable que d’épouser cette fillette ; et si je réussis, je suis franchement un heureux coquin.

Le huitième jour qui était le mercredi, Giacomo arriva de bonne heure dans l’après-midi.

L’état du malade était considérablement empiré. Toute la maison était bouleversée. Maximus errait de chambre en chambre et Céleste s’attristait dans un coin.

Giacomo fut reçu comme un envoyé du Ciel.

— Montez vite, dit Maximus, je le crois en danger.

Giacomo s’élança dans l’escalier ; quand il arriva auprès de Gilles ce dernier semblait à peine respirer, il ne bougeait plus et ne parlait plus.

Giacomo lui prit le pouls et se tourna vers Maximus qui l’avait suivi :

— Descendons, lui dit-il, en mettant un doigt sur sa bouche et prenant un air mystérieux.

Ils revinrent en silence vers la bibliothèque.

— Les choses se compliquent, poursuivit Giacomo, à voix basse. Ce sommeil léthargique ne m’annonce rien de bon. Vous pouvez lui faire frotter les tempes avec du vinaigre et lui donner un peu d’air.

Maximus se hâta de transmettre ces ordres à Céleste qui partit en toute hâte pour les exécuter.

— Je crains bien, reprit Giacomo, qu’une crise ne se déclare cette nuit même ; elle pourra être fatale, si une personne entendue, n’en guide pas les accidents ; je ne voudrais pas abandonner mon ami dans une circonstance aussi critique, et il va peut-être me falloir vous demander la permission de m’établir ici pour la nuit. C’est peut-être trop…

— Mais, comment donc ! mon cher docteur, la maison est à vous ; disposez-en comme vous l’entendrez. Je vais faire dresser un lit dans la chambre du malade.

— Pas du tout, un fauteuil me suffira. Je suis habitué à dormir ainsi, et je serai d’ailleurs plus prêt en cas de besoin.

— Comme vous voudrez, mais ne vous gênez pas.

— Oh ! quant à cela, ne craignez rien, je vais voir un peu ce qui se passe là-haut.

Sous les robustes frictions de Céleste, le malade était peu à peu revenu à lui-même.

Giacomo lui administra une potion calmante et au bout d’une dizaine de minutes, il parut s’endormir d’un profond sommeil.

Tout le monde se retira discrètement. Maximus et Giacomo retournèrent à la bibliothèque, où ils se mirent à causer en fumant jusqu’à l’heure du dîner. Maximus fut tout étourdi des connaissances du jeune médecin et de la facilité avec laquelle il exprimait ses idées.

— Vous êtes donc né au pays, dit-il, ou vous y êtes venu bien jeune que vous parlez si bien notre langue ?

— J’y suis venu bien jeune en effet ; mais cependant je n’ai pas oublié ma langue maternelle. Je me suis fait au contraire un point d’honneur de l’étudier et de la connaître mieux que toutes les autres.

— Décidément, pensa Maximus, c’est un génie que ce jeune homme.

— Au reste, ajouta Pétrini, je ne me glorifie pas du peu que je sais : l’étude a toujours été un besoin pour moi, et je me suis livré à un plaisir, là où les autres n’accomplissent ordinairement qu’un devoir.

— Et modeste, par dessus le marché, se dit Maximus.

— Monsieur, reprit-il, tout haut, je ne suis pas un homme brillant, mais je suis franc et je dis toujours ce que je pense. Je suis très-heureux de vous avoir rencontré, et j’espère que la guérison de votre ami ne sera pas pour nous le signal d’une séparation.

— Je suis infiniment honoré, monsieur, et je compte bien profiter de votre offre obligeante.

— Voici bientôt, l’heure du dîner, poursuivit Maximus en regardant à sa montre ; Allons trouver ces dames au salon. Je vous présenterai à ma pupille que vous ne connaissez pas encore.

Ils entrèrent tous deux au salon. Maximus présenta le Docteur, et commençait son éloge, lorsque Giacomo l’interrompit.

— De grâce, monsieur, dit-il, n’induisez pas ces dames en erreur ; elles seraient trop désappointées par la suite, si j’ai le plaisir de les rencontrer plus souvent.

Il accompagna ces paroles d’une inclination et d’un sourire vraiment gracieux à l’adresse d’Ernestine, qui ne put s’empêcher de remarquer sa beauté et l’élégance de sa personne.

Après quelques phrases courtoises de part et d’autre, le dîner fut annoncé, et on se mit à table. Pendant tout le repas, Giacomo fut étincelant de verve et pétillant d’esprit. Il eut des mots heureux à l’adresse de Céleste et d’Ernestine et ravit Maximus en discutant ses opinions pour se laisser convaincre ensuite et lui donner le plaisir d’une victoire en apparence chaudement disputée.

Maximus étouffait de bonheur à la pensée qu’il triomphait d’un adversaire de cette force.

Vers la fin du repas, quelques gémissements se firent entendre de la chambre du malade.

Giacomo se leva tout d’un trait.

— Pardon, mesdames, dit-il ; mais le devoir avant les convenances ; le médecin a une consigne comme le soldat ; je suis à vous dans un instant.

Il se dirigea rapidement vers la chambre de Gilles.

Quel dévouement dit Maximus. Ce jeune homme à toutes les qualités.

Au bout d’un instant, Pétrini revint.

— Je vous demande encore pardon mesdames, dit-il, mais j’ai mon excuse dans la gravité des circonstances.

— Vous n’avez pas d’excuses à faire, dit Céleste, et c’est plutôt à nous de vous remercier de votre dévouement, et de vos sacrifices.

— C’est en effet un dur sacrifice mesdames, que d’être obligé de vous quitter, même pour un moment ; mais le devoir devient chez nous une habitude qui triomphe de tout.

Le dîner se termina gaiement et Maximus causa longuement avec Pétrini en faisant sa sieste. Le soir toute la société se retrouva au salon où Giacomo fit de rapides progrès dans l’estime de Céleste et d’Ernestine.

— Vous qui savez tant de choses, dit Maximus, seriez-vous par hasard musicien ?

— Pas beaucoup, dit Pétrini, j’ai si peu de temps à sacrifier aux plaisirs.

— Tiens, je vois que vous allez encore nous surprendre ; voyons, essayez un peu.

— De grâce, monsieur, dit Ernestine en rougissant.

— Oh ! je ne me fais pas prier, dit Pétrini, et d’ailleurs, je n’ai pas d’amour propre.

Il se dirigea vers le piano et chanta d’une voix pleine et douce en même temps, cette belle romance de Niedermeyer intitulée « Le Lac. »

Maximus et Céleste pleuraient, et, quand il vint à chanter ces paroles :

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que tout ce qu’on entend, qu’on voit et qui respire,
Tout dise, ils ont aimé !

Ernestine sentit une émotion subite envahir son âme.

C’était un pas de plus que Giacomo venait de faire.

Aussitôt qu’il eût fini sa romance, il se leva, et sans vouloir écouter les paroles d’admiration que lui prodiguait Maximus :

— Je me suis oublié, dit-il, pendant que mon pauvre ami peut avoir besoin de moi là-haut ; pardon, si je m’y rends de suite.

Ernestine et Céleste s’étant retirées, il alla s’établir dans la chambre de Gilles, pendant que Maximus s’étendait dans l’un des fauteuils de sa bibliothèque, devant le feu de grille, prêt à offrir ses services, en cas de besoin.

Vers onze heures la crise prédite se déclara.

Maximus, averti par Céleste qui était restée aux écoutes, se précipita vers la chambre du malade. Gilles paraissait être en proie à un violent délire. Giacomo mélangeait des remèdes et multipliait les applications ; Maximus se mit à le seconder de son mieux. Le jeune médecin parlait bas avec cette intonation brève et solennelle qui indique une circonstance grave.

Enfin au bout d’une heure la crise parut diminuer ; Giacomo parvint à faire avaler une potion au malade qui se calma tout-à-coup ; et sembla tomber dans un profond sommeil.

Giacomo mit un doigt sur sa bouche, fit signe à Maximus de le suivre et sortit de la chambre.

Grâce à Dieu, dit-il, quand il se retrouvèrent dans la bibliothèque, tout danger est passé, et maintenant, je réponds de mon malade, Dans trois jours il sera sur pieds.

Maximus prit les mains du Docteur.

— Je ne puis pas dit-il, vous remercier comme je le voudrais ; mais croyez-moi, jeune homme, — à mon âge on n’est plus enthousiaste — cette guérison restera là comme un service de votre part que je n’oublierai jamais.

Et Maximus appuya la main sur son cœur avec un geste si vigoureusement pathétique, que Giacomo eut toutes les peines du monde à s’empêcher de sourire.

— Je vous crois, monsieur, fit-il, après s’être un peu recueilli ; je vous connais maintenant assez pour savoir ce que valent vos paroles, jusqu’où peuvent aller vos bons sentiments.

Mais il est un peu tard, ajouta-t-il, et vous avez besoin de repos. Il faut d’ailleurs que je parte moi-même de grand matin. Bonsoir, et soyez sans inquiétude.

Maximus se retira enchanté, et Giacomo alla se reposer sur un lit qui fut dressé dans la chambre de Gilles.

Le lendemain, quand Maximus se leva, le Docteur était parti depuis longtemps et Gilles avait une apparence qui promettait une prompte convalescence.

Maximus bénit Giacomo pour la dixième fois, et, dans la journée, se fit dicter par sa nièce, une lettre bien tournée, qu’il adressa au jeune médecin accompagnée d’un rouleau de vingt-cinq louis.

Il ne faut pas, pensait-il, qu’il me prenne pour un croquant.