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Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/1/2

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CHAPITRE II


Exhaussement de l’église en 1714.



§ I.
Mise en adjudication des Travaux.


En 1670 on avait exhaussé le bas de l’église pour la mise en place des orgues, et enfermé ainsi le petit clocher jusqu’aux galeries entre les deux nouveaux pans de mur. En 1714 la nef principale et l’abside reçurent l’élévation qu’elles ont actuellement et depuis cette époque aucun changement n’a été fait dans l’église.

Le 23 octobre 1713 les travaux furent mis en adjudication et Etienne Le Marchand architecte et entrepreneur en demeura adjudicataire. Il présenta lui-même un plan et devis qu’il devait exécuter pour la somme de 14,200 livres. La fabrique ne sut jamais d’où il était et elle ne lui confia les travaux que sur garantie sérieuse. Jean Elie Denis sieur de Trobriant, demeurant en son manoir du Gosquérou en Ploujean, évêché de Tréguier, et noble homme Jean-Baptiste de la Voye, demeurant à Morlaix, paroisse de Saint-Melaine, se présentèrent caution pour Etienne Le Marchand. D’après les conditions du marché, la fabrique devait payer à l’entrepreneur 11.000 livres en différents termes, c’est-à-dire, 1.000 livres au 1er janvier et 1.000 livres tous les deux mois jusqu’au paiement total de la somme de 11.000 livres. Les 3.000 livres qui restaient ne devaient lui être remboursées qu’après l’achèvement de l’ouvrage et si son travail était accepté, après expertise. Le Marchand fit pour la charpente un sous-marché avec Lazare Flutter.

Avant de commencer les travaux, il fallait obtenir l’autorisation des seigneurs prééminenciers de l’église, mais la fabrique, prévoyant de leur part certaines difficultés, fit mettre dans le contrat une clause qui interdisait à l’architecte de réclamer toute indemnité, si le mauvais vouloir des seigneurs venait à mettre obstacle à l’exécution de l’entreprise. D’après le plan de l’architecte, on devait reculer de deux à trois pieds une tombe de la famille du Herlan et prendre deux à trois pieds sur leur chapelle. Le recteur Maurice Joncour, accompagné de douze de ses principaux paroissiens, se rendit au château de Kéranroux en Ploujan pour demander l’autorisation par écrit de la dame de Lézerdot et Herlan ; mais il fut obligé de s’en retourner sans avoir obtenu de réponse favorable. Peu de jours après, Marchand vint se vanter d’avoir en sa possession un écrit de la dame de Lézerdot l’autorisant à exécuter son plan, mais il refusa de montrer cet écrit. Les fabriciens voulurent vérifier son affirmation. Ils se refusaient à croire que, là où ils avaient échoué, un autre et surtout un étranger à la paroisse eût pu réussir. C’était à eux et non à d’autres que l’autorisation devait être donnée. Ils déléguèrent l’un d’entr’eux, Jean Thoribé de Lannivinon, pour contrôler les dires de Marchand. Thoribé se fit accompagner au château de Kéranroux par Rannou, notaire royal à Morlaix. L’acte notarié rapporte ainsi la visite faite au château de Kéranroux :

« Nous, notaire, nous sommes de compagnie avec le dit Thoribé, transportés jusques au dit château de Kéranroux, où y estant rendus en parlant à la damoiselle de Lézerdot, fille de la dite dame de Lézerdot trouvée dans la cuisine de la dite maison, et lui ayant demandé où estoit la dame sa mère, elle nous a déclaré qu’elle estoit allé au bourg de Ploujan à la messe ; et comme elle auroit pu rester quelque temps, nous l’aurions priée de vouloir bien faire aller son garson l’avertir que nous estions venus luy faire sommation à requeste du dit Thoribé sy ou non elle auroit donné son consentement au dit Marchand comme il l’a soutenu pour la réédifition de l’esglise de Saint-Egonnec, et si elle n’a point reffusé aux dits paroissiens de donner son consentement tant au sieur recteur qu’aux paroissiens pour ladite réédification. Sur quoy elle auroit envoyé le garson vers le bourg, feignant de la chercher, et estant revenu tost après, il nous auroit dit que la dite dame estoit allé à Kergariou et qu’elle n’auroit pas été si tost à la maison ; sur quoy aïant fait lecture à la dite damoiselle des réquisitions cy-dessus, elle nous a déclaré que la dame sa mère n’a donné aucun consentement au dit Marchand, que bien est vray il le luy a demandé plusieurs fois et avoir offert dix pistolles pour l’avoir, sans l’avoir obtenu. »

Quant au refus essuyé par le recteur :

« Elle a dit qu’elle n’a aucune connoissance de ce fait, et avoir veü le dit sieur recteur plusieurs fois au dit manoir de Kéranroux, mais ne sçavoir pour quel sujet, et est sa réponse qu’elle a reffusé de signer quoi que de ce interpellé.

« Rannou, notaire royal. »


Après bien des pourparlers, la dame de Lézerdot finit par donner son consentement. À la fin de mai 1714, le recteur accompagné des deux marguilliers en charge, Jean Thoribé de Lannivinon et François Thoribé de Kérescars, se rendit à Morlaix chez Jean Floch notaire de la juridiction du Penhoat et y fit appeler Charlotte Rogon de Lézerdot, comme tutrice de ses enfants mineurs. Un accord fut conclu aux conditions suivantes : les seigneurs de Lézerdot conservaient leurs droits d’enfeu, de banc, d’accoudoirs, de voûte, d’arcade et de lisière. Le tout devait être rétabli aux frais de la fabrique.

Le 3 juin suivant au prône de la grand’messe, le recteur rendit compte à ses paroissiens du résultat de ses démarches. Il invita le Général, c’est-à-dire les fabriciens à se rendre à la sacristie à l’issue de la messe pour ratifier ou rejeter la convention conclue avec la dame de Lézerdot et du Herlan. Les douze notables suivants composaient en 1714 le Général de la paroisse : Yves Martin de Lannix inon, Hervé Pouliquen de la Ville neuve, Jean Thoribé de Parc Gouanec, Jacques Cottain du Cozlen, Jean Madec de Bougès, Yves Breton de Menhars, Hervé Croguennec, Yves Caro et Yves Pouliquen de Goazanlan, Yves Le Maguet de Cosquéric, Guillaume Le Maguet et François Breton de Menhars. Les deux marguilliers en charge étaient, comme nous l’avons dit,

Saint-Thégonnec. — La Chaire.
Saint-Thégonnec. — La Chaire.

Saint-Thégonnec. — La Chaire.
Jean Thoribé de Lannivinon et François Thoribé

de Kérescars. Le Général accepta les conditions proposées par la dame de Lézerdot.

Le prône de la grand’messe mettait toujours les paroissiens au courant des affaires de la fabrique. La plupart du temps, ils se contentaient d’approuver par un silence religieux les communications faites par leur recteur, mais d’autres fois, oubliant la dignité du saint lieu et le respect dû à leur pasteur, ils ne se gênaient pas pour protester bruyamment.

En 1651, le seigneur de Penfao reprocha à Louis de Kerhoaz, seigneur de Quélennec, d’avoir usurpé des droits honorifiques dans l’église de Saint-Thégonnec. Les paroissiens, gagnés par Louis de Kerhoaz, protestèrent au prône même de la messe et proférèrent des murmures et des menaces à l’adresse du seigneur de Penfao.

Dans les premiers temps, les affaires de la paroisse étaient traitées en public. Dans le cimetière qui servait parfois de salle de délibération, à l’issue de la grand’messe, chacun était autorisé à donner son avis. Mais ces discussions étaient souvent tumultueuses et sans résultat. Plus tard, différents règlements vinrent limiter ce nombre exagéré de délibérants. Les notables de la paroisse réunis sous forme de « corps politique » eurent seuls voix dans les discussions et surtout dans la solution des affaires. En 1656, le corps politique de Saint-Thégonnec se composait « d’honorables gens Yves Inizan de Kerdépré, Hervé Caroff, Guillaume Rannou, Hervé Pouliquen du Hellin, Yves Bretton, Olivier Bretton, Nicolas Mazé, Hervé Guillerm, Hervé Kéramblouch, Mathieu Inizan, François Crenn, Jacques et François Caro, Jean Bretton de Penfao, Guillaume Pichon, François Perros, Guillaume Mazé, Jean Plassart, Alexandre Rioual et plusieurs autres manants et habitants de la dicte paroisse faisant la plus saine et meure voix et corps politique d’icelle. »

Vers cette époque, des arrêts du Parlement de Bretagne organisèrent dans chaque paroisse un corps régulier de délibérants, appelé « le Général ». Ce Général se composait de douze des notables de l’endroit. « Ses fonctions étaient des plus variées. Elles étaient tantôt civiles, tantôt religieuses. Plus souvent elles furent civiles et religieuses tout ensemble. Au titre ecclésiastique, il devait s’occuper du bon ordre des assemblées [1] » et empêcher tout empiétement sur les droits de l’église. Aussi dans tous les procès de la fabrique, et ils furent nombreux, voyons-nous le Général intervenir et prendre en main les intérêts de l’église. La gestion des deniers de la fabrique ne regardait cependant que le recteur et les deux marguilliers en charge.



§ II.
Expertise.


La fabrique vit qu’Etienne Le Marchand n’avait pas fidèlement rempli les conditions du marché ; elle fit une demande d’expertise qui eut lieu le 13 mars 1716. Elle choisit pour défendre ses intérêts Pierre Coussais, entrepreneur des ouvrages du roi ; Lazare Flatter, qui avait accepté de faire la charpente, prit pour expert Jacques Le Chapelain maître charpentier, et Le Marchand se fit représenter par Thomas Vaudrein, entrepreneur, Guy de Coëtlosquet, seigneur de Kérannot, assistait la fabrique comme conseiller. Il se fit prendre en litière à Brest et reconduire à son domicile aux frais de l’église. Ce voyage revint à 28 livres.

Le jugement des experts fut défavorable à Le Marchand. Ils lui reprochèrent d’avoir employé trop de moellons et du mortier de terre dans la construction des murailles, tandis que d’après le devis, les murs devaient être de pierres de taille et faits à chaux et à sable.

Quant aux piliers qui soutiennent les arcades de la nef, ils n’ont, disent-ils, ni la grosseur ni l’élévation voulues et ne sont pas également distants entre eux. « Ce qui porte plusieurs préjudices à la paroisse : 1° Si l’église demeurait en cet état, elle serait irrégulière, et on n’a démoli l’ancienne que pour cette raison ; 2° les chapelles des basses ailes ne seront pas égales entr’elles ; 3° les colonnes de la nef n’étant pas à égale distance les unes des autres, il en résulte que les arcades qui sont en plein cintre ne sont pas de même hauteur. »

Ces piliers devaient avoir 16 pieds au lieu de 13 pieds 2 pouces.

Les deux arcades qui donnent sur la nef du coté de la grosse tour sont si mal faites, qu’on a été obligé de mettre dans les murailles, au-dessus des clefs de ces arcades, une pièce de bois d’une longueur de 20 pieds. La première arcade du coté nord joignant le pilier des hautes ailes est trop étroite de 18 pouces. La seconde et la troisième sont conformes au plan, tandis que la quatrième est trop large de 4 pouces et la cinquième trop étroite de 2 pieds 6 pouces.

« C’est là une difformité, au lieu que l’exécution du plan eût été un agrément. »

Les fenêtres et les vitraux n’étaient guère mieux réussis. « La fenestre de la basse aile du côté du midy joignant la tour est plus étroite que celles qui sont subsistantes dans l’ancien ouvrage du côté nord. Elle a 1 pied 10 pouces de moins en largeur et 4 pieds 1/2 de moins en hauteur. »

Enfin les contreforts et les arcs-boutants nouvellement construits ne sont pas unis avec le corps de l’ouvrage.

La conclusion de l’expertise fut que les travaux exécutés par Le Marchand n’étaient pas acceptables. À part quelques piliers et quelques arcades, le tout était à refaire. Il restait sur les lieux assez de pierres de taille pour achever l’ouvrage tout en suivant le plan primitif. La grosse charpente faite par Lazare Flutter n’attendait que la construction des murailles pour être mise en place. Les deux cautions de Le Marchand devaient rendre à la fabrique 6.000 livres des 11.000 qu’elles avaient touchées. Elles devaient en outre payer 150 livres pour les frais de l’expertise. Tous les matériaux qui n’avaient pas été employés devenaient la propriété de la fabrique. Le paiement de la somme de 6150 livres devait se faire en espèces sonnantes et non en billets de l’État ou en quelqu’autre papier.

Sans cela la fabrique ne se contenterait pas de la somme de 6.150 livres. Elle gardait encore son recours contre Le Marchand pour le reste de la somme, et elle s’engageait à continuer les travaux à ses frais. Elle confia l’entreprise à Yan Plédran, maître maçon, payé 20 sols par jour. Les autres ouvriers furent : le fils de Yan Pledran qui touchait six sols par jour; Yves Le Roux et Guillaume Saliou, 18 sols ; Jean Gouzien et Yves Provost, payés 14 sols.

La fabrique aurait mieux fait de remettre sa dette à un entrepreneur insolvable au lieu de lui intenter un procès qui dura plusieurs années, et qui lui revint à elle-même à plus d’un millier de livres. C’est le cas de dire que le jeu n’en valait pas la chandelle.


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  1. Saint-Donatien et Saint-Rogatien de Nantes, par l’abbé Delanouc.