Saint Paul (Renan)/VII. Suite du deuxième voyage de Paul. Athenes

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Michel Lévy (p. 166-210).


CHAPITRE VII.


SUITE DU DEUXIÈME VOYAGE DE PAUL. — PAUL À ATHÈNES.


Paul, toujours accompagné des fidèles Béréens, fit voile vers Athènes[1]. Du fond du golfe Thermaïque à Phalère ou au Pirée, la route est de trois ou quatre journées de petite navigation. On passe au pied de l’Olympe, de l’Ossa, du Pélion ; on contourne les sinuosités de la mer intérieure que l’Eubée sépare du reste de la mer Égée[2] ; on franchit le singulier détroit de l’Euripe. À chaque bordée, on effleure cette terre vraiment sainte, où la perfection s’est une fois dévoilée, où l’idéal a réellement existé, cette terre qui a vu la plus noble des races fonder en même temps l’art, la science, la philosophie, la politique. Paul n’éprouva pas sans doute en y abordant l’espèce de sentiment filial que les hommes cultivés éprouvaient dès lors en touchant ce sol vénérable[3]. Il était d’un autre monde ; sa terre sainte était ailleurs.

La Grèce ne s’était pas relevée des coups terribles qui l’avaient frappée dans les derniers siècles. Comme les fils de la Terre, ces tribus aristocratiques s’étaient déchirées les unes les autres ; les Romains avaient achevé de les exterminer ; les anciennes familles avaient à peu près disparu. Les antiques villes de Thèbes, d’Argos étaient devenues de pauvres villages ; Olympie et Sparte étaient humiliées ; Athènes et Corinthe avaient seules survécu. La campagne était presque un désert : l’image de désolation qui résulte des peintures de Polybe, de Cicéron, de Strabon et de Pausanias est navrante[4]. Les apparences de liberté que les Romains avaient laissées aux villes, et qui ne devaient disparaître que sous Vespasien[5], n’étaient guère qu’une ironie. La mauvaise administration des Romains avait tout ruiné[6] ; les temples n’étaient plus entretenus ; à chaque pas, c’étaient des piédestaux dont les conquérants avaient volé les statues ou que l’adulation avait consacrés aux nouveaux dominateurs[7]. Le Péloponèse surtout était frappé de mort. Sparte l’avait tué ; brûlé par le voisinage de cette folle utopie, ce pauvre pays ne renaquit jamais[8]. À l’époque romaine, d’ailleurs, le régime des grandes villes absorbantes avait succédé aux petits centres multipliés ; Corinthe attirait toute la vie.

La race, si l’on excepte Corinthe, était restée assez pure cependant ; le nombre des juifs, hors de Corinthe, était peu considérable[9]. La Grèce ne reçut qu’une seule colonie romaine ; les envahissements de Slaves et d’Albanais, qui ont si profondément altéré le sang hellénique, n’eurent lieu que plus tard. Les vieux cultes étaient encore florissants[10]. Quelques femmes, à l’insu de leurs maris, pratiquaient bien en cachette, au fond du gynécée, des superstitions étrangères, surtout égyptiennes[11] ; mais les sages protestaient : « Quel dieu, disaient-ils, que celui qui se plaît aux hommages furtifs d’une femme mariée ! La femme ne doit avoir d’autres amis que ceux de son mari. Les dieux ne sont-ils pas nos premiers amis[12] ? »

Il semble que, soit durant la traversée, soit au moment de son arrivée à Athènes, Paul regretta d’avoir laissé ses compagnons en Macédoine. Peut-être ce monde nouveau l’étonna-t-il et s’y trouva-t-il trop isolé. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, congédiant les fidèles de Bérée, il les chargea de mander à Silas et à Timothée de venir le rejoindre le plus tôt possible[13].

Paul à Athènes se trouva donc seul quelques jours. Cela ne lui était point arrivé depuis fort longtemps ; sa vie avait été comme un tourbillon, et jamais il n’avait voyagé sans deux ou trois compagnons de route. Athènes était une chose unique au monde et en tout cas une chose totalement différente de ce que Paul avait vu jusqu’alors ; aussi son embarras fut-il extrême. En attendant ses compagnons, il se contenta de parcourir la ville dans tous les sens[14]. L’Acropole, avec ce nombre infini de statues qui la couvrait et en faisait un musée comme il n’y en eut jamais[15], dut surtout être l’objet de ses plus originales réflexions.

Athènes, bien qu’ayant beaucoup souffert de Sylla, bien que pillée comme toute la Grèce par les administrateurs romains[16] et déjà dépouillée en partie par l’avidité grossière de ses maîtres, se montrait encore ornée de presque tous ses chefs-d’œuvre. Les monuments de l’Acropole étaient intacts. Quelques maladroites additions de détail, d’assez nombreuses œuvres médiocres qui s’étaient déjà glissées dans le sanctuaire du grand art, d’impertinentes substitutions qui avaient placé des Romains sur les piédestaux des anciens Grecs[17], n’avaient pas altéré la sainteté de ce temple immaculé du beau. Le Pœcile, avec sa brillante décoration, était frais comme au premier jour. Les exploits de l’odieux Secundus Carinas, le pourvoyeur de statues pour la Maison dorée, ne commencèrent que quelques années après, et Athènes en souffrit moins que Delphes et Olympie[18]. Le faux goût des Romains pour les villes à colonnades n’avait point pénétré ici ; les maisons étaient pauvres et à peine commodes. Cette ville exquise était en même temps une ville irrégulière, à rues étroites, conservatrice de ses vieux monuments, préférant les souvenirs archaïques à des rues tirées au cordeau[19]. Tant de merveilles touchèrent peu l’apôtre ; il vit les seules choses parfaites qui aient jamais existé, qui existeront jamais, les Propylées, ce chef-d’œuvre de noblesse, le Parthénon, qui écrase toute autre grandeur que la sienne, le temple de la Victoire sans ailes, digne des batailles qu’il consacra, l’Érechthéum, prodige d’élégance et de finesse, les Errhéphores, ces divines jeunes filles, au port si plein de grâce ; il vit tout cela, et sa foi ne fut pas ébranlée ; il ne tressaillit pas. Les préjugés du juif iconoclaste, insensible aux beautés plastiques, l’aveuglèrent ; il prit ces incomparables images pour des idoles : « Son esprit, dit son biographe, s’aigrissait en lui-même, quand il voyait la ville remplie d’idoles[20]. » Ah ! belles et chastes images, vrais dieux et vraies déesses, tremblez ; voici celui qui lèvera contre vous le marteau. Le mot fatal est prononcé : vous êtes des idoles ; l’erreur de ce laid petit Juif sera votre arrêt de mort.

Entre tant de choses qu’il ne comprit pas, il y en eut deux qui frappèrent beaucoup l’apôtre : d’abord, le caractère très-religieux des Athéniens[21], qui se manifestait par une multitude de temples, d’autels, de sanctuaires de toute sorte[22], signes de l’éclectisme tolérant qu’ils portaient en religion ; en second lieu, certains autels anonymes ou élevés à des « dieux inconnus[23] ». Ces autels étaient assez nombreux à Athènes et dans les environs[24]. D’autres villes de la Grèce en avaient aussi[25]. Ceux du port de Phalère (Paul avait pu les voir en débarquant) étaient célèbres ; on les rattachait aux légendes de la guerre de Troie[26]. Ils portaient pour inscription :

ΑΓΝΩΣΤΟΙΣΘΕΩΣ


« À des dieux inconnus » ; quelques-uns même pouvaient porter :

ΑΓΝΩΣΤΩΙΘΕΩΙ


« À un dieu inconnu[27] ». Ces autels devaient leur existence au scrupule extrême des Athéniens en fait de choses religieuses et à leur habitude de voir en chaque objet la manifestation d’une puissance mystérieuse et spéciale. Craignant de blesser sans le savoir quelque dieu dont ils ignoraient le nom ou de négliger un dieu puissant, ou bien voulant obtenir une faveur qui pouvait dépendre de certaine divinité qu’ils ne connaissaient pas, ils érigeaient des autels anonymes ou avec les inscriptions susdites. Peut-être aussi ces inscriptions bizarres venaient-elles d’autels primitivement anonymes[28], auxquels, dans une opération générale de recensement, on aura mis une telle épigraphe faute de savoir à qui ils appartenaient. Paul fut très-surpris de ces dédicaces. Les interprétant avec son esprit juif, il leur supposa un sens qu’elles n’avaient pas. Il crut qu’il s’agissait d’un dieu appelé par excellence « le Dieu Inconnu[29] ». Il vit dans ce Dieu Inconnu le dieu des Juifs, le dieu unique, vers lequel le paganisme lui-même aurait eu quelque mystérieuse aspiration[30]. Cette idée était d’autant plus naturelle qu’aux yeux des païens ce qui caractérisait surtout le dieu des Juifs, c’est que c’était un dieu sans nom, un dieu incertain[31]. Peut-être fut-ce aussi dans quelque cérémonie religieuse ou dans quelque discussion philosophique que Paul entendit l’hémistiche

Τοῦ γὰρ καὶ γένος ἐσμέν,


emprunté à l’hymne de Cléanthe à Jupiter ou aux Phénomènes d’Aratus[32], et qui était d’un usage fréquent dans les hymnes religieux[33]. Il groupait dans son esprit ces traits de couleur locale, et cherchait à en composer un discours approprié à son nouvel auditoire, car il sentait qu’il faudrait ici modifier profondément sa prédication.

Certes, il s’en fallait beaucoup qu’Athènes fût alors ce qu’elle avait été durant des siècles, le centre du progrès humain, la capitale de la république des esprits. Fidèle à son ancien génie, cette mère divine de tout art fut un des derniers asiles du libéralisme et de l’esprit républicain. C’était ce qu’on peut appeler une ville d’opposition. Athènes fut toujours pour les causes perdues ; elle se déclara énergiquement pour l’indépendance de la Grèce et pour Mithridate contre les Romains, pour Pompée contre César, pour les républicains contre les triumvirs, pour Antoine contre Octave[34]. Elle éleva des statues à Brutus et à Cassius à côté de celles d’Harmodius et d’Aristogiton[35] ; elle honora Germanicus jusqu’à se compromettre ; elle mérita les injures de Pison[36]. Sylla la saccagea d’une atroce manière[37] et porta le dernier coup à sa constitution démocratique. Auguste, quoique clément pour elle, ne lui fut pas favorable. On ne lui ôta jamais son titre de ville libre[38] ; mais les privilèges des villes libres allèrent toujours diminuant sous les Césars et les Flaviens. Athènes fut ainsi à l’état de ville suspecte, disgraciée, mais ennoblie justement par sa disgrâce. À l’avènement de Nerva, commence pour elle une seconde vie[39]. Le monde, revenu à la raison et à la vertu, reconnaît sa mère. Nerva, Hérode Atticus, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle la restaurent, la dotent à l’envi de monuments et d’institutions nouvelles. Athènes redevient pour quatre siècles la ville des philosophes, des artistes, des beaux esprits, la ville sainte de toute âme libérale, le pèlerinage de ceux qui aiment le beau et le vrai[40].

Mais ne devançons pas les temps. Au triste moment où nous sommes, la vieille splendeur avait disparu, et la nouvelle n’avait pas commencé. Ce n’était plus « la ville de Thésée », et ce n’était pas encore « la ville d’Adrien ». Au ier siècle avant notre ère, l’école philosophique d’Athènes avait été fort brillante : Philon de Larisse, Antiochus d’Ascalon y avaient continué ou modifié l’Académie[41] ; Cratippe y enseigna le péripatétisme, et sut être à la fois l’ami, le maître, le consolateur ou le protégé de Pompée, de César, de Cicéron, de Brutus. Les Romains les plus célèbres et les plus affairés, entraînés en Orient par leur ambition, s’arrêtaient tous à Athènes pour y entendre les philosophes en vogue. Atticus, Crassus, Cicéron, Varron, Ovide, Horace, Agrippa, Virgile, y avaient étudié ou résidé en amateurs. Brutus y passa son dernier hiver, partageant son temps entre le péripatéticien Cratippe et l’académicien Théomneste[42]. Athènes fut, à la veille de la bataille de Philippes, un centre d’opinion de la plus haute importance. L’enseignement qui s’y donnait était tout philosophique[43] et bien supérieur à la fade éloquence de l’école de Rhodes. Ce qui nuisit vraiment à Athènes, ce fut l’avènement d’Auguste et la pacification universelle ; l’enseignement de la philosophie alors devint suspect[44] : les écoles perdirent de leur importance et de leur activité[45]. Rome, d’ailleurs, par la brillante évolution littéraire qu’elle achevait, devenait pour quelque temps à demi indépendante de la Grèce quant aux choses de l’esprit. D’autres centres s’étaient formés : comme école d’instruction variée, on préférait Marseille[46]. La philosophie originale des quatre grandes sectes était finie ; l’éclectisme, une sorte de façon molle de philosopher sans système, commençait. Si l’on excepte Ammonius d’Alexandrie, le maître de Plutarque[47], qui fondait vers ce temps à Athènes l’espèce de philosophie littéraire qui devait devenir à la mode à partir du règne d’Adrien, personne n’illustre, vers le milieu du ier siècle, la ville du monde qui a produit ou attiré le plus d’hommes célèbres. Les images que l’on consacre maintenant avec une déplorable prodigalité sur l’Acropole sont celles de consuls, de proconsuls, de magistrats romains, de membres de la famille impériale[48]. Les temples qu’on y élève sont dédiés à la déesse Rome et à Auguste[49] ; Néron même y eut ses statues[50]. Les artistes de talent ayant été attirés à Rome, les ouvrages athéniens du Ier siècle sont pour la plupart d’une médiocrité qui surprend[51]. Encore ces monuments, comme l’horloge d’Andronicus Cyrrheste, le portique d’Athéné Archégète, le temple de Rome et d’Auguste, le mausolée de Philopappus, sont-ils un peu antérieurs ou postérieurs au temps où Paul vit Athènes. Jamais la ville, dans sa longue histoire, n’avait été plus muette et plus silencieuse.

Elle gardait cependant encore une grande partie de sa noblesse ; elle était toujours placée en première ligne dans l’attention du monde. Malgré la dureté des temps, le respect pour Athènes était profond, et tous le subissaient[52]. Sylla, quoique si terrible pour sa rébellion, eut pitié d’elle[53]. Cicéron mettait sa vanité à y avoir une statue[54]. Pompée et César, avant la bataille de Pharsale, firent proclamer par un héraut que les Athéniens seraient tous épargnés, comme prêtres des déesses thesmophores[55]. Pompée donna une grande somme d’argent pour orner la ville[56] ; César refusa de se venger d’elle[57] et contribua à l’érection d’un de ses monuments[58]. Brutus et Cassius s’y comportèrent en personnes privées, reçus et choyés comme des héros. Antoine aimait Athènes et y demeurait volontiers[59]. Après la bataille d’Actium, Auguste pardonna pour la troisième fois ; son nom comme celui de César resta attaché à un monument considérable[60] ; sa famille et son entourage passèrent à Athènes pour des bienfaiteurs[61]. Les Romains tenaient beaucoup à constater qu’ils laissaient Athènes libre et honorée[62]. Enfants gâtés de la gloire, les Grecs vivaient dès lors des souvenirs de leur passé. Germanicus ne voulut, pendant qu’il demeura dans Athènes, être précédé que d’un seul licteur[63]. Néron, qui pourtant n’était pas superstitieux[64], n’osa point y entrer, par crainte des Furies qui demeuraient sous l’Aréopage, de ces terribles « Semnes », que les parricides redoutaient ; le souvenir d’Oreste le faisait trembler ; il n’osa pas non plus affronter les mystères d’Éleusis, au début desquels le héraut criait que les scélérats et les impies n’eussent garde d’approcher[65]. De nobles étrangers, des descendants de rois détrônés[66], venaient dépenser leur fortune à Athènes, et aimaient à se voir décorés des titres de choréges et d’agonothètes. Tous les petits rois barbares mettaient leur émulation à rendre service aux Athéniens, à restaurer leurs monuments[67].

La religion était une des causes de ces faveurs exceptionnelles. Essentiellement municipale et politique à son origine, ayant pour base les mythes relatifs à la fondation de la ville et à ses divins protecteurs, la religion d’Athènes ne fut d’abord que la consécration religieuse du patriotisme et des institutions de la cité. C’était le culte de l’Acropole ; « Aglaure » et le serment que prêtaient sur son autel les jeunes Athéniens n’ont pas d’autre sens ; à peu près comme si la religion consistait chez nous à tirer à la conscription, à faire l’exercice et à honorer le drapeau. Cela devait bientôt devenir assez fade ; cela n’avait rien d’infini, rien qui touchât l’homme par sa destinée, rien d’universel ; les railleries d’Aristophane contre ces dieux de l’Acropole[68] prouvent qu’à eux seuls ils n’auraient point captivé toutes les races. Les femmes se tournèrent de bonne heure vers de petites dévotions étrangères comme celle d’Adonis ; les mystères surtout firent fortune ; la philosophie, entre les mains de Platon, était à sa manière une délicieuse mythologie, tandis que l’art créait pour la foule des images vraiment adorables. Les dieux d’Athènes devinrent les dieux de la beauté. La vieille Athéné Poliade n’était qu’un mannequin sans bras apparents, emmaillotté d’un péplos, comme est la vierge de Lorette. La toreutique réalisa un miracle sans exemple : elle fit des statues réalistes à la façon des madones italiennes et byzantines, chargées d’ornements appliqués, qui furent en même temps de merveilleux chefs-d’œuvre. Athènes arriva de la sorte à posséder un des cultes les plus complets de l’antiquité. Ce culte subit une sorte d’éclipse lors des malheurs de la cité ; les Athéniens furent les premiers à souiller leur sanctuaire : Lacharès vola l’or de la statue d’Athéné ; Démétrius Poliorcète fut installé par les habitants eux-mêmes dans l’opisthodome du Parthénon ; il y logea ses courtisanes près de lui, et l’on plaisanta du scandale qu’un tel voisinage dut causer à la chaste déesse[69] ; Aristion, le dernier défenseur de l’indépendance d’Athènes, laissa s’éteindre la lampe immortelle d’Athéné Poliade[70]. Telle était cependant la gloire de cette ville unique, que l’univers sembla prendre à cœur d’adopter sa déesse, au moment où elle la délaissait. Le Parthénon, par le fait des étrangers, retrouva ses honneurs ; les mystères d’Athènes furent un attrait religieux pour le monde païen tout entier[71].

Mais c’était principalement comme ville d’école qu’Athènes exerçait un singulier prestige. Cette nouvelle destinée, qui par les soins d’Adrien et de Marc-Aurèle devait avoir un caractère si tranché, était commencée depuis deux siècles[72]. La ville de Miltiade et de Périclès s’était transformée en une ville d’université, une sorte d’Oxford, rendez-vous de toute la jeune noblesse, qui y répandait l’or à pleines mains[73]. Ce n’étaient que professeurs, philosophes, rhéteurs, pédagogues de tout genre, sophronistes, maîtres des éphèbes, gymnasiarques, pædotribes, hoplomaques, maîtres d’escrime et d’équitation[74]. Depuis Adrien, les cosmètes ou préfets des étudiants prennent dans une certaine mesure l’importance et la dignité des archontes ; on date par eux les années ; la vieille éducation grecque, destinée dans son principe à former le citoyen libre, devient la loi pédagogique du genre humain[75]. Hélas ! elle ne forme plus guère que des rhéteurs ; les exercices du corps, autrefois vraie occupation de héros sur les bords de l’Ilissus, sont maintenant une affaire de pose. Une grandeur de cirque, des allures de Franconi ont remplacé la solide grandeur[76]. Mais c’est le propre de la Grèce d’avoir ennobli toute chose ; même la besogne de l’homme d’école devint chez elle un ministère moral ; la dignité du professeur, malgré plus d’un abus, fut une de ses créations[77]. Cette jeunesse dorée savait parfois se souvenir des beaux discours de ses maîtres[78]. Elle était républicaine comme toute jeunesse : elle vola sur l’appel de Brutus ; elle se fit tuer à Philippes[79]. Le jour s’usait à déclamer sur le tyrannicide et la liberté, à célébrer la noble mort de Caton, à faire l’éloge de Brutus.

La population était toujours vive, spirituelle, curieuse. Chacun passait sa vie en plein air, en contact perpétuel avec le reste du monde, au sein d’un air léger, sous un ciel plein de sourires. Les étrangers, nombreux et avides de savoir, entretenaient une grande activité d’esprit. La publicité, le journalisme du monde antique, s’il est permis de se servir d’une telle expression, avait son centre à Athènes. La ville n’étant pas devenue commerçante, tout le monde n’avait qu’un souci, c’était d’apprendre des nouvelles, de se tenir au courant de ce qui se disait et se faisait dans l’univers[80]. Il est bien remarquable que le grand développement de la religion ne nuisait pas à la culture rationnelle. Athènes pouvait être à la fois la ville la plus religieuse du monde, le Panthéon de la Grèce, et la ville des philosophes. Quand on voit au théâtre de Dionysos les fauteuils de marbre qui entourent l’orchestre portant tous le nom du sacerdoce dont le titulaire devait y siéger, on dirait que ce fut ici une ville de prêtres ; et pourtant ce fut avant tout la ville des libres penseurs. Les cultes dont il s’agit n’avaient ni dogmes ni livres sacrés ; ils n’avaient pas pour la physique l’horreur que le christianisme a toujours eue et qui l’a porté à persécuter la recherche positive. Le prêtre et l’épicurien atomiste, sauf quelques brouilles[81], faisaient ensemble assez bon ménage. Les vrais Grecs se contentaient parfaitement de ces accords fondés non sur la logique, mais sur une tolérance mutuelle et sur de mutuels égards.

C’était là pour Paul un théâtre d’un genre tout nouveau. Les villes où il avait prêché jusqu’alors étaient pour la plupart des villes industrielles, des espèces de Livourne ou de Trieste, ayant de grandes juiveries, plutôt que des centres brillants, des villes de grand monde et de grande culture. Athènes était profondément païenne ; le paganisme y était lié à tous les plaisirs, à tous les intérêts, à toutes les gloires de la cité. Paul hésita beaucoup. Timothée arriva enfin de Macédoine ; Silas, pour des raisons qu’on ignore, n’avait pu venir[82]. Paul alors résolut d’agir.

Il y avait une synagogue à Athènes[83], et Paul y parla pour les juifs et les gens « craignant Dieu[84] » ; mais dans une telle ville des succès de synagogue étaient peu de chose. Cette brillante agora où se dépensait tant d’esprit, ce portique Pœcile, où s’agitaient toutes les questions du monde, le tentaient. Il y parla, non en prédicateur s’adressant à la foule assemblée, mais en étranger qui s’insinue, répand timidement son idée et cherche à se créer quelque point d’appui. Le succès fut médiocre. « Jésus et la résurrection » (anastasis) parurent des mots étranges, dénués de sens[85]. Plusieurs, à ce qu’il paraît, prirent anastasis pour un nom de déesse, et crurent que Jésus et Anastasis étaient quelque nouveau couple divin que ces rêveurs orientaux venaient prêcher[86]. Des philosophes épicuriens et stoïciens, dit-on, s’approchèrent et écoutèrent.

Ce premier contact du christianisme et de la philosophie grecque fut peu bienveillant. On ne vit jamais mieux combien les gens d’esprit doivent se défier d’eux-mêmes et se garder de rire d’une idée, quelque folle qu’elle leur paraisse. Le mauvais grec que parlait Paul, sa phrase incorrecte et haletante, n’étaient pas faits pour l’accréditer à Athènes. Les philosophes tournèrent le dos dédaigneusement à ces paroles barbares. « C’est un radoteur (spermologos[87]), » disaient les uns. — « C’est un prêcheur de nouveaux dieux, » disaient les autres. Nul ne se doutait que ce radoteur les supplanterait un jour, et que 474 ans après[88], on supprimerait leurs chaires tenues pour inutiles et nuisibles par suite de la prédication de Paul. Grande leçon ! Fiers de leur supériorité, les philosophes d’Athènes dédaignaient les questions de religion populaire. À côté d’eux, la superstition florissait ; Athènes égalait presque sous ce rapport les villes les plus religieuses de l’Asie Mineure. L’aristocratie des penseurs se souciait peu des besoins sociaux qui se faisaient jour sous le couvert de tant de cultes grossiers. Un tel divorce est toujours puni. Quand la philosophie déclare qu’elle ne s’occupe pas de religion, la religion lui répond en l’étouffant, et c’est justice, car la philosophie n’est quelque chose que si elle montre à l’humanité sa voie, si elle prend au sérieux le problème infini qui est le même pour tous.

L’esprit libéral qui régnait à Athènes assurait à Paul une pleine sécurité. Ni juifs ni païens ne tentèrent rien contre lui ; mais cette tolérance même était pire que la colère. Ailleurs, la doctrine nouvelle produisait une vive réaction, au moins dans la société juive ; ici, elle ne trouvait que des auditeurs curieux et blasés. Il paraît qu’un jour les auditeurs de Paul, voulant obtenir de lui une exposition en quelque sorte officielle de sa doctrine, le conduisirent à l’Aréopage, et, là, le sommèrent de dire quelle religion il prêchait. Certes, il est possible que ce soit ici une légende, et que la célébrité de l’Aréopage ait porté le narrateur des Actes, qui n’avait pas été témoin oculaire, à choisir cet auditoire illustre pour y faire prononcer à son héros un discours d’apparat, une harangue philosophique[89]. Cependant, cette hypothèse n’est pas nécessaire. L’Aréopage avait conservé sous les Romains son ancienne organisation[90]. Il avait même vu ses attributions s’accroître par suite de la politique qui porta les conquérants à supprimer en Grèce les anciennes institutions démocratiques et à les remplacer par des conseils de notables. L’Aréopage avait toujours été le corps aristocratique d’Athènes ; il gagna ce que perdit la démocratie. Ajoutons qu’on était à une époque de dilettantisme littéraire et que ce tribunal, par sa célébrité classique, exerçait un grand prestige. Son autorité morale était reconnue du monde entier[91]. L’Aréopage redevint ainsi, sous la domination romaine, ce qu’il avait été à diverses reprises dans l’histoire de la république athénienne, un corps politique, presque dégagé de fonctions judiciaires, le vrai sénat d’Athènes, n’intervenant qu’en certains cas et constituant une noblesse conservatrice de fonctionnaires retraités[92]. À partir du ier siècle de notre ère, l’Aréopage figure dans les inscriptions en tête des pouvoirs d’Athènes, supérieur au conseil des Six-Cents et au peuple. Les érections de statues, en particulier, se font par lui ou du moins avec son autorisation[93]. Dans les années mêmes où nous sommes, il venait de décerner une statue à la reine Bérénice, fille d’Agrippa Ier, avec lequel nous verrons bientôt Paul en rapport[94]. Il semble que l’Aréopage exerçait aussi une certaine intendance sur l’enseignement[95]. C’était un haut conseil de censure religieuse et morale, auquel ressortissait tout ce qui concernait les lois, les mœurs, la médecine, le luxe, l’édilité, les cultes de la cité[96] et il n’y a rien d’invraisemblable à ce qu’une doctrine nouvelle se produisant, on ait invité le prédicateur à venir en quelque sorte faire sa déclaration à un tel tribunal, ou du moins à l’endroit où il tenait ses séances[97]. Paul, dit-on, debout au milieu de l’assemblée, parla de la sorte[98] :

« Athéniens,

« En tout je vous trouve le plus religieux des peuples[99]. Passant, en effet, dans vos rues et regardant vos objets sacrés, j’ai trouvé un autel sur lequel était écrit : Au Dieu inconnu. Ce que vous honorez sans le connaître, moi, je viens vous le révéler.

« Le dieu qui a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment, étant le maître du ciel et de la terre, n’habite pas dans des temples faits de main d’homme, et ne saurait être honoré par des mains humaines, comme s’il avait besoin de rien, lui qui donne à tous la vie, le souffle et toute chose. C’est lui qui a tiré d’un seul homme toutes les nations et les a fait habiter sur la face de la terre, marquant à chacune d’elles la durée de son existence et les limites de ses domaines. [C’est lui qui a mis en elles l’instinct de] chercher Dieu, pour voir si elles sauraient le toucher et le trouver ; [ce qu’elles n’ont pas su faire,] quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous. Car c’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons, que nous existons, et, comme l’ont dit quelques-uns de vos poëtes :

…… De sa race nous sommes[100].

« Étant de la race de Dieu, nous ne devons point nous imaginer que le divin ressemble à l’or, à l’argent, à la pierre, sculptés par l’art et le génie de l’homme.

« Oubliant donc des siècles d’ignorance, Dieu maintenant ordonne partout à tous les hommes de venir à résipiscence ; car il a fixé le jour où il doit juger le monde avec justice par l’homme qu’il a désigné pour cela et qu’il a accrédité auprès de tous, en le ressuscitant d’entre les morts… »

À ces mots, selon le narrateur, Paul fut interrompu. Entendant parler de la résurrection des morts, les uns se mirent à plaisanter, les plus polis dirent : « Nous t’écouterons là-dessus une autre fois. »

Si le discours que nous venons de rapporter a été réellement prononcé, il dut causer en effet une impression bien singulière sur les esprits cultivés qui l’entendirent. Cette langue tantôt barbare, incorrecte, sans construction, tantôt pleine de justesse ; cette éloquence inégale, semée de traits heureux et de chutes désagréables ; cette philosophie profonde aboutissant aux croyances les plus étranges, durent sembler d’un autre monde. Immensément supérieure à la religion populaire de la Grèce, une telle doctrine restait en bien des choses au-dessous de la philosophie courante du siècle. Si, d’un côté, elle tendait la main à cette philosophie par la haute notion de la Divinité et la belle théorie qu’elle proclamait de l’unité morale de l’espèce humaine[101], de l’autre, elle enfermait une part de croyances surnaturelles qu’aucun esprit positif ne pouvait admettre. En tout cas, il n’est pas surprenant qu’elle n’ait eu aucun succès à Athènes. Les motifs qui devaient faire le succès du christianisme étaient ailleurs que dans des cercles de lettrés. Ils étaient dans le cœur de pieuses femmes, dans les aspirations intimes des pauvres, des esclaves, des patients de toute sorte. Avant que la philosophie se rapproche de la doctrine nouvelle, il faudra et que la philosophie se soit fort affaiblie, et que la doctrine nouvelle ait renoncé à la grande chimère du prochain jugement, c’est-à-dire aux imaginations concrètes qui furent l’enveloppe de sa première formation.

Qu’il soit de Paul ou d’un de ses disciples, ce discours, en tout cas, nous montre une tentative, à peu près unique au premier siècle, pour concilier le christianisme avec la philosophie et même, en un sens, avec le paganisme. Faisant preuve d’une largeur de vues très-remarquable chez un juif, l’auteur reconnaît dans toutes les races une sorte de sens intérieur du divin, un instinct secret de monothéisme qui aurait dû les porter à la connaissance du vrai Dieu. À l’en croire, le christianisme n’est pas autre chose que la religion naturelle, à laquelle on arrive en consultant simplement son cœur et en s’interrogeant de bonne foi : idée à double face qui devait tantôt rapprocher le christianisme du déisme, tantôt lui inspirer un orgueil déplacé. C’est ici le premier exemple de la tactique de certains apologistes du christianisme, faisant des avances à la philosophie, prenant ou feignant de prendre le langage scientifique, parlant avec complaisance ou politesse de la raison, qu’ils décrient d’un autre côté, voulant faire croire par des citations habilement groupées qu’au fond on peut s’entendre entre gens lettrés, mais amenés à d’inévitables malentendus dès qu’ils s’expliquent clairement et parlent de leurs dogmes surnaturels. On sent déjà l’effort pour traduire dans le langage de la philosophie grecque les idées juives et chrétiennes ; on entrevoit Clément d’Alexandrie et Origène. Les idées bibliques et celles de la philosophie grecque aspirent à s’embrasser ; mais elles auront pour cela bien des concessions à se faire ; car ce Dieu dans lequel nous vivons et nous nous mouvons est fort loin du Jéhovah des prophètes et du Père céleste de Jésus.

Il s’en faut que les temps soient déjà mûrs pour une telle alliance ; d’ailleurs, ce n’est pas à Athènes qu’elle se fera. Athènes, au point où l’avaient amenée les siècles, cette ville de grammairiens, de gymnastes et de maîtres d’armes, était aussi mal disposée qu’on pouvait l’être à recevoir le christianisme. La banalité, la sécheresse de cœur de l’homme d’école, sont des péchés irrémissibles aux yeux de la grâce. Le pédagogue est le moins convertissable des hommes ; car il a une religion à lui, qui est sa routine, la foi en ses vieux auteurs, le goût de ses exercices littéraires ; cela le contente et éteint chez lui tout autre besoin. On a trouvé à Athènes une série d’hermès-portraits de cosmètes[102] du second siècle. Ce sont de beaux hommes, graves, majestueux, à l’air noble et encore hellénique. Des inscriptions nous apprennent les honneurs et les pensions qui leur furent conférés[103] ; les vrais grands hommes de l’ancienne démocratie n’en eurent jamais autant. Certainement, si saint Paul rencontra quelqu’un des prédécesseurs de ces superbes pédants, il n’eut pas auprès de lui beaucoup plus de succès que n’en aurait eu du temps de l’Empire un romantique imbu de néo-catholicisme essayant de convertir à ses idées un universitaire attaché à la religion d’Horace, ou que n’en aurait de nos jours un socialiste humanitaire déclamant contre les préjugés anglais devant les fellows d’Oxford ou de Cambridge.

Dans une société aussi différente de celle où il avait vécu jusque-là, au milieu de rhéteurs et de professeurs d’escrime, Paul se trouvait bien dépaysé. Sa pensée se reportait sans cesse vers ses chères Églises de Macédoine et de Galatie, où il avait trouvé un sentiment religieux si exquis. Il songea plusieurs fois à repartir pour Thessalonique[104]. Un vif désir l’y portait, d’autant plus qu’il avait reçu la nouvelle que la foi de la jeune Église était soumise à beaucoup d’épreuves ; il craignait que ses néophytes n’eussent cédé aux tentations[105]. Des obstacles qu’il attribue à Satan l’empêchèrent de suivre ce projet. N’y tenant plus, comme il le dit lui-même, il se priva encore une fois de Timothée, l’envoya à Thessalonique pour confirmer, exhorter et consoler les fidèles, et resta de nouveau seul à Athènes[106].

Il y travailla derechef, mais le sol était trop ingrat. L’esprit éveillé des Athéniens était le contraire de cette disposition religieuse tendre et profonde qui faisait les conversions et prédestinait au christianisme. Les terres vraiment helléniques se prêtaient peu à la doctrine de Jésus. Plutarque, vivant dans une atmosphère purement grecque, n’en a pas encore le moindre vent dans la première moitié du iie siècle. Le patriotisme, l’attachement aux vieux souvenirs du pays, détournaient les Grecs des cultes exotiques. « L’hellénisme » devenait une religion organisée, presque raisonnable, admettant une large part de philosophie ; les « dieux de la Grèce » semblaient vouloir être des dieux universels pour l’humanité.

Ce qui caractérisait la religion du Grec autrefois, ce qui la caractérise encore de nos jours, c’est le manque d’infini, de vague, d’attendrissement, de mollesse féminine ; la profondeur du sentiment religieux allemand et celtique manque à la race des vrais Hellènes. La piété du Grec orthodoxe consiste en pratiques et en signes extérieurs. Les églises orthodoxes, parfois très-élégantes, n’ont rien des terreurs qu’on ressent dans une église gothique[107]. En ce christianisme oriental, point de larmes, de prières, de componction intérieure. Les enterrements y sont presque gais ; ils ont lieu le soir, au soleil couchant, quand les ombres sont déjà longues, avec des chants à mi-voix et un déploiement de couleurs voyantes. La gravité fanatique des Latins déplaît à ces races vives, sereines, légères. L’infirme n’y est pas abattu : il voit doucement venir la mort ; tout sourit autour de lui. Là est le secret de cette gaieté divine des poëmes homériques et de Platon : le récit de la mort de Socrate dans le Phédon montre à peine une teinte de tristesse. La vie, c’est donner sa fleur, puis son fruit ; quoi de plus ? Si, comme on peut le soutenir, la préoccupation de la mort est le trait le plus important du christianisme et du sentiment religieux moderne, la race grecque est la moins religieuse des races. C’est une race superficielle, prenant la vie comme une chose sans surnaturel ni arrière-plan. Une telle simplicité de conception tient en grande partie au climat, à la pureté de l’air, à l’étonnante joie qu’on respire, mais bien plus encore aux instincts de la race hellénique, adorablement idéaliste. Un rien, un arbre, une fleur, un lézard, une tortue, provoquant le souvenir de mille métamorphoses chantées par les poëtes ; un filet d’eau, un petit creux dans le rocher, qu’on qualifie d’antre des nymphes ; un puits avec une tasse sur la margelle, un pertuis de mer si étroit que les papillons le traversent et pourtant navigable aux plus grands vaisseaux, comme à Poros ; des orangers, des cyprès dont l’ombre s’étend sur la mer, un petit bois de pins au milieu des rochers, suffisent en Grèce pour produire le contentement qu’éveille la beauté. Se promener dans les jardins pendant la nuit, écouter les cigales, s’asseoir au clair de lune en jouant de la flûte ; aller boire de l’eau dans la montagne, apporter avec soi un petit pain, un poisson et un lécythe de vin qu’on boit en chantant ; aux fêtes de famille, suspendre une couronne de feuillage au-dessus de sa porte, aller avec des chapeaux de fleurs ; les jours de fêtes publiques, porter des thyrses garnis de feuillages ; passer des journées à danser, à jouer avec des chèvres apprivoisées, voilà les plaisirs grecs, plaisirs d’une race pauvre, économe, éternellement jeune, habitant un pays charmant, trouvant son bien en elle-même et dans les dons que les dieux lui ont faits[108]. La pastorale à la façon de Théocrite fut dans les pays helléniques une vérité ; la Grèce se plut toujours à ce petit genre de poésie fin et aimable, l’un des plus caractéristiques de sa littérature, miroir de sa propre vie, presque partout ailleurs niais et factice. La belle humeur, la joie de vivre sont les choses grecques par excellence. Cette race a toujours vingt ans : pour elle, indulgere genio n’est pas la pesante ivresse de l’Anglais, le grossier ébattement du Français ; c’est tout simplement penser que la nature est bonne, qu’on peut et qu’on doit y céder. Pour le Grec, en effet, la nature est une conseillère d’élégance, une maîtresse de droiture et de vertu ; la « concupiscence », cette idée que la nature nous induit à mal faire, est un non-sens pour lui. Le goût de la parure qui distingue le palicare, et qui se montre avec tant d’innocence dans la jeune Grecque, n’est pas la pompeuse vanité du barbare, la sotte prétention de la bourgeoise, bouffie de son ridicule orgueil de parvenue ; c’est le sentiment pur et fin de naïfs jouvenceaux, se sentant fils légitimes des vrais inventeurs de la beauté.

Une telle race, on le comprend, eût accueilli Jésus par un sourire. Il était une chose que ces enfants exquis ne pouvaient nous apprendre : le sérieux profond, l’honnêteté simple, le dévouement sans gloire, la bonté sans emphase. Socrate est un moraliste de premier ordre ; mais il n’a rien à faire dans l’histoire religieuse. Le Grec nous paraît toujours un peu sec et sans cœur : il a de l’esprit, du mouvement, de la subtilité ; il n’a rien de rêveur, de mélancolique. Nous autres, Celtes et Germains, la source de notre génie, c’est notre cœur. Au fond de nous est comme une fontaine de fées, une fontaine claire, verte et profonde, où se reflète l’infini. Chez le Grec, l’amour-propre, la vanité se mêlent à tout ; le sentiment vague lui est inconnu ; la réflexion sur sa propre destinée lui paraît fade. Poussée à la caricature, une façon si incomplète d’entendre la vie donne, à l’époque romaine, le græculus esuriens, grammairien, artiste, charlatan, acrobate, médecin, amuseur du monde entier, fort analogue à l’Italien des xvie et xviie siècles ; à l’époque byzantine, le théologien sophiste faisant dégénérer la religion en subtiles disputes ; de nos jours, le Grec moderne, quelquefois vaniteux et ingrat, le papas orthodoxe, avec sa religion égoïste et matérielle. Malheur à qui s’arrête à cette décadence ! Honte à celui qui, devant le Parthénon, songe à remarquer un ridicule ! Il faut le reconnaître pourtant : la Grèce ne fut jamais sérieusement chrétienne ; elle ne l’est pas encore. Aucune race ne fut moins romantique, plus dénuée du sentiment chevaleresque de notre moyen âge. Platon bâtit toute sa théorie de la beauté en se passant de la femme. Penser à une femme pour s’exciter à faire de grandes choses ! un Grec eût été bien surpris d’un pareil langage ; il pensait, lui, aux hommes réunis sur l’agora, il pensait à la patrie. Sous ce rapport, les Latins étaient plus près de nous. La poésie grecque, incomparable dans les grands genres tels que l’épopée, la tragédie, la poésie lyrique désintéressée, n’avait pas, ce semble, la douce note élégiaque de Tibulle, de Virgile, de Lucrèce, note si bien en harmonie avec nos sentiments, si voisine de ce que nous aimons.

La même différence se retrouve entre la piété de saint Bernard, de saint François d’Assise et celle des saints de l’Église grecque. Ces belles écoles de Cappadoce, de Syrie, d’Égypte, des Pères du désert, sont presque des écoles philosophiques. L’hagiographie populaire des Grecs est plus mythologique que celle des Latins. La plupart des saints qui figurent dans l’iconostase d’une maison grecque et devant lesquels brûle une lampe ne sont pas de grands fondateurs, de grands hommes, comme les saints de l’Occident ; ce sont souvent des êtres fantastiques, d’anciens dieux transfigurés, ou du moins des combinaisons de personnages historiques et de mythologie, comme saint Georges. Et cette admirable église de Sainte-Sophie ! c’est un temple arien ; le genre humain tout entier pourrait y faire sa prière. N’ayant pas eu de pape, d’inquisition, de scolastique, de moyen âge barbare, ayant toujours gardé un levain d’arianisme, la Grèce lâchera plus facilement qu’aucun autre pays le christianisme surnaturel, à peu près comme ces Athéniens d’autrefois étaient en même temps, grâce à une sorte de légèreté mille fois plus profonde que le sérieux de nos lourdes races, le plus superstitieux des peuples et le plus voisin du rationalisme. Les chants populaires grecs sont encore aujourd’hui pleins d’images et d’idées païennes[109]. À la grande différence de l’Occident, l’Orient garda durant tout le moyen âge et jusqu’aux temps modernes de vrais « hellénistes », au fond plus païens que chrétiens, vivant du culte de la vieille patrie grecque et des vieux auteurs[110]. Ces hellénistes sont, au xve siècle, les agents de la renaissance de l’Occident, auquel ils apportent les textes grecs, base de toute civilisation. Le même esprit a présidé[111] et présidera aux destinées de la Grèce nouvelle. Quand on a bien étudié ce qui fait de nos jours le fond d’un Hellène cultivé, on voit qu’il y a chez lui très-peu de christianisme : il est chrétien de forme, comme un Persan est musulman ; mais au fond il est « helléniste ». Sa religion, c’est l’adoration de l’ancien génie grec. Il pardonne toute hérésie au philhellène, à celui qui admire son passé ; il est bien moins disciple de Jésus et de saint Paul que de Plutarque et de Julien.

Fatigué de son peu de succès à Athènes, Paul, sans attendre le retour de Timothée[112], partit pour Corinthe. Il n’avait pas formé à Athènes d’Église considérable[113]. Quelques personnes isolées seulement, entre autres un certain Denys, qui faisait, dit-on, partie de l’Aréopage[114], et une femme nommée Damaris[115], avaient adhéré à ses doctrines. Ce fut là, dans sa carrière apostolique, son premier et presque son seul échec.

Même au second siècle, l’Église d’Athènes est peu solide[116]. Athènes fut une des villes qui se convertirent les dernières[117]. Après Constantin, elle est le centre de l’opposition contre le christianisme, le boulevard de la philosophie[118]. Par un rare privilège, elle garda ses temples intacts. Ces monuments prodigieux, conservés à travers les âges grâce à une sorte de respect instinctif, devaient venir jusqu’à nous comme une leçon éternelle de bon sens et d’honnêteté, donnée par des artistes de génie. Aujourd’hui encore, on sent que la couche chrétienne qui recouvre le vieux fond païen est là très-superficielle. À peine a-t-on besoin de modifier les noms actuels des églises d’Athènes pour retrouver les noms des temples antiques[119].

  1. Que Paul ait fait ce voyage par mer, c’est ce qui résulte de Act., xvii, 14, 15. Pour aller de Bérée à Athènes par terre, en effet, il n’était pas nécessaire de venir à la côte ; la route de terre ainsi entendue eût été pleine de détours et de difficultés ; de la sorte, d’ailleurs, il eût été plus naturel que Paul vînt à Corinthe avant d’aller à Athènes. Paul s’embarqua probablement vers Alorus ou Méthone. (Voir Strabon, VII, fragm. 20, 22 ; Leake, III, 435 et suiv.)
  2. C’est la route suivie aujourd’hui, mais il est fort possible que saint Paul ait passé au large de l’Eubée, ainsi que l’a voulu M. Kiepert.
  3. Cicéron, Epist. ad Quintum fratrem, I, 1 ; Sulpicius à Cic., Epist. fam., IV, 5 ; Ad Att., V, 10 ; VI, 1 ; Tacite, Ann., II, 53 ; Pline le Jeune, Epist., VIII, 24 ; Philostrate, Vie d’Apoll., V. 41 ; Vie des soph., II, i, 27 ; Spartien, Vie de Sept. Sév., 3.
  4. Polybe, XXXVII, 4 ; XL, 3 ; Cicéron, In Pisonem, 40 ; Lettre de Sulpicius à Cicéron, Ad fam., IV, 5 ; Strabon, VIII, viii, 1 ; IX, ii, 5, 25 ; iii, 8 ; v, 15 ; Plutarque, De def. orac., 5, 8 ; Pausanias, II, xviii, 3 ; xxxviii, 2 ; VII, xvii, 1 ; Jos., B. J., I, xxi, 11-12.
  5. Pour les traces postérieures, voir Tillemont, Hist. des emp., II, p. 317.
  6. Cicéron, In Pis., 40. Cf. Tacite, Ann., I, 76, 80.
  7. De telles mentions sont fréquentes dans Pausanias. Auguste fit enlever un grand nombre de statues, surtout pour le temple d’Apollon Palatin.
  8. Des ruines comme celles de Tirynthe, de Mycènes, d’Ithome, suffiraient pour le prouver. On ne voit de telles ruines que dans les pays qui, après un désastre ancien, n’ont pas eu de renaissance.
  9. Voir cependant Wescher et Foucart, Inscr. rec. à Delphes, nos 57 et 364 (inscriptions de l’an 180 avant J.-C. environ), et Philon, Leg., § 36.
  10. Plutarque, Traités moraux, en général ; Dion Cassius, LXXIII, 14. Cf. les Apôtres, p. 338-339.
  11. Corpus inscr. gr., no 120 ; Arch. des miss. scient., 2e série, t. IV, p. 485 et suiv., 514 ; Aug. Mommsen, Athenæ christianæ, p. 120 ; Pausanias, I, xviii, 4 ; Appien, Bell. Mithrid., 27.
  12. Plutarque, Conjugalia præc., 19.
  13. Act., xvii, 15.
  14. Act., xvii, 16, 23.
  15. Pausanias, I, xxii et suiv. ; Beulé, l’Acropole d’Athènes, I, p. 272 et suiv.
  16. Cic., In Verr., II, i, 17 ; In Pisonem, 40.
  17. Beulé, l’Acropole d’Ath., I, p. 135, 336 et suiv., 345 ; II, 28-29, 206 et suiv. Comp. Cicéron, Ad. Att., VI, 1.
  18. Dion Chrysostome, Orat., xxxi, p. 409-410 (Emperius). La description de Pausanias n’accuse pas de lacunes. Les enlèvements, du moins, ne portèrent pas, à Athènes, sur des statues d’un caractère religieux. Beulé, I, 320 et suiv., 337.
  19. Fragm. hist. græc. de Ch. Müller, II, p, 254 ; Philostrate, Apoll., II, 23.
  20. Act., xvii, 16. Sur le sens de κατείδωλος, voir Schleusner, s. h. v.
  21. Act., xvii, 22. Comp. les inscriptions du théâtre de Dionysos, et Isocrate, Panégyr., 33 ; Platon, Deuxième Alcib., 12 ; Thucydide, II, 38 ; Pausanias, I, xvii, 1 ; xxiv, 3 ; X, xxviii, 6 ; Strabon, IX, i, 16 ; X, iii, 18 ; Josèphe, Contra Apionem, II, 37 ; Denys d’Halic., De Thucydide, 40 ; Pline le Jeune, Epist., VIII, 24 ; Philostrate, Vie d’Apollonius, IV, xix ; VI, iii, 5 ; le même, Epist., 47 ; Élien, Variæ hist., V, 17 ; Julien, Misopogon, p. 348 (Spanheim) ; Himérius, dans Photius, cod. ccxliii, p. 356 (Bekker), p. 9, édit. Didot.
  22. Tite-Live, XLV, 27 ; Pétrone, Sat., c. 17.
  23. Act., xvii, 23.
  24. Pausanias, I, i, 4 ; Philostrate, Vie d’Apoll., VI, iii, 5 ; Diogène Laërte, I, x, 110 ; Œcuménius, In Act. apost. (Paris, 1631), p. 136-137 ; Isidore de Péluse, dans la Catena in Act. apost. de Cramer (Oxford, 1844), p. 292 ; saint Jérôme, In Tit., i, 12 (col. 420, Martianay). Les passages du faux Lucien, Philopatris, 9, 29, ne sont qu’une allusion au passage des Actes. On peut comparer les inscriptions de Rome : Sei deo, sei deæ (Orelli, nos 961, 1798, 2135, 2136, 2137, 2270, 2271, 5054, 5952). Cf. Aulu-Gelle, II, 28. La question qui s’éleva à la fin du xviie siècle sur le culte des saints inconnus répondait au même ordre de scrupules religieux.
  25. Pausanias, V, xiv, 8.
  26. Pausanias, I, i, 4 ; Pollux, Onom., VIII, 10 ; Hésychius, au mot Ἀγνῶτες θεοί.
  27. On n’a jamais trouvé d’inscription ainsi conçue. L’inscription au Dieu Inconnu que les capucins, vers 1670, déclarent avoir vue au Parthénon, est une imposture (Spon la chercha vainement en 1676 ; Voy., II, p. 88, édit. de La Haye, 1724), à moins qu’en effet les chrétiens n’aient mis une telle inscription à quelque chapelle. On sait que, depuis le xve siècle au moins, le Parthénon passa pour le temple du Dieu Inconnu. Voir Laborde, Athènes aux xve, xvie et xviie siècles, I, 24, notes, 50, note, 78, notes, 217, note, 233 et suiv., note ; II, 33 et suiv. ; Ross, Archæol. Aufsætze, I, 253, 273 et suiv. ; Aug. Mommsen, Athenæ christianæ, p. 33 et suiv.
  28. Voir le passage de Diogène Laërte, précité.
  29. Saint Justin, Apol. II, 10, paraît faire allusion à la même idée, et il est douteux qu’il la prenne dans les Actes. Cf. Irénée, Adv. hær., I, xx, 3. Si tel avait été le sens, l’inscription eût offert : Θεῷ ἀγνώστῳ, et non Ἀγνώστῳ θεῷ. Cf. saint Jérôme, In Tit., i, 12.
  30. Act., xvii, 27. Comparez Rom., i, 20 et suiv. ; Justin Apol. II, 10.
  31. Lucain, II, 592-93. Cf. Philon, Leg. ad Caium, § 44.
  32. Act., xvii, 23, 28. Voir ci-dessous, p. 196.
  33. Il est probable, en effet, que Cléanthe et Aratus l’empruntèrent eux-mêmes à des hymnes plus anciens, et qui étaient dans toutes les bouches.
  34. Tacite, Ann., II, 55.
  35. Dion Cassius, XLVII, 20 ; Plutarque, Brutus, 24.
  36. Tacite, Ann., II, 53 et 55. Voir Velleius Paterculus, II, 23.
  37. Appien, Bell. Mithrid., 38 et suiv. ; Plutarque, Vie de Sylla, 14 ; Velleius Paterculus, II, 23.
  38. Strabon, IX, i, 20 ; Cic., In Pis., 16 ; Tacite, Ann., II, 53 ; Pline, Hist. nat., IV, 11 ; Pline, Epist., VIII, 24 ; Dion Chrys., Orat., xxxi, p. 396 (Emperius) ; Ælius Aristide, Romæ encomium, p. 363-364 (Dindorf) ; Panathen., p. 298. L’an 66, Néron donna à tous les Grecs la liberté. L’an 73, Vespasien réduisit l’Achaïe en province romaine ; Athènes conserva néanmoins, ce semble, ses immunités de ville libre.
  39. Voir surtout la lettre de Pline le Jeune à Maximus, partant pour l’Achaïe (Epist., VIII, 24).
  40. Cf. Corpus inscr. gr., no 3831.
  41. Cic., De oratore, I, 11 ; Acad. priorum, ii entier.
  42. Plutarque, Vie de Brutus, 24.
  43. Horace, Epist., II, ii, 44-45 ; Cic., Ad fam., XVI, 21.
  44. Suétone, Néron, 52.
  45. Le recueil [encore inédit] d’inscriptions éphébiques formé par M. Wescher offre une lacune complète pour le premier siècle. Voir cependant le Φιλίστωρ, t. IV, p. 332.
  46. Strabon, IV, i, 5.
  47. Plut., De EI apud Delphos, 1 et suiv. ; Eunape, Vitæ soph., proœm., p. 5 (Boissonade).
  48. Beulé, I, 322, 340 et aux environs ; II, 206 et suiv., 301, 305. Cf. Corp. inscr. gr., 309 et suiv., 363 et suiv. ; Berichte der sæchs. Gesell., philol. Classe, XII, p. 218 et suiv.
  49. Beulé, II, p. 206 et suiv.
  50. Nos 99 et 381 de Pittakis, Ἐφημερὶς ἀρχαιολογική, 1838, p. 240, et 1840, p. 318.
  51. Beulé, II, p. 207.
  52. Un grand nombre d’offrandes et d’inscriptions de l’Acropole sont de ce temps. Beulé, I, 322, 339 et suiv. ; I, 206 et suiv., 301, 305.
  53. Strabon, IX, i, 20 ; Plut., Vie de Sylla, 14 ; Florus, Epitome, II, 39.
  54. Cicéron, Ad Att., VI, 1.
  55. Appien, Guerres civ., II, 70.
  56. Plut., Vie de Pompée, 42.
  57. Appien, Guerres civ., II, 88.
  58. Corp. inscr. gr., nos 312, 477
  59. Appien, Guerres civ., V, 7, 76 ; Plut., Vie d’Antoine, 33, 34.
  60. Corp. inscr. gr., nos 312, 477.
  61. Corp. inscr. gr., no 309 et suiv., 365 et suiv.
  62. Strabon, IX, i, 20.
  63. Tacite, Ann., II, 53.
  64. Suétone, Néron, 56.
  65. Suétone, Néron, 34 ; Dion Cassius, LXIII, 14. Cf. Pausanias, I, xxviii, 6.
  66. Corp. inscr. gr., no 362. Cf. Plut., Quæst. symp., I, x, 1.
  67. Corp. inscr. gr., nos 265, 357-362 ; Jos., B. J., I, xxi, 11 ; Vitruve, V, ix, 1 ; Suétone, Aug., 60.
  68. Voir surtout Lysistrata, 750 et suiv.
  69. Plutarque, Vie de Démétius, 23-24.
  70. Plut., Vie de Sylla, 13.
  71. Lettre de Marc-Aurèle à Fronton, III, 9 (Maï, p. 73) ; Dion Cassius, LXXII, 31 ; Jules Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, 27 ; Philostr., Vies des soph., II, x, 7 ; Spartien, Vie de Sept. Sév., 3.
  72. Plut., Vie de Sylla, 13 ; Cornélius Népos, Atticus, 2, 4 ; Horace, Epist., II, ii, 43 et suiv. ; Cicéron, In Cæcil., 12. Cf. Athénée, XII, 69 ; Wescher, dans le Moniteur universel, 13 avril 1861.
  73. Cicéron, Ad Att., XII, 32 ; Ad fam., XII, 16 ; XVI, 21 ; De off., I, 1 ; Dion Cassius, XLV, 15 ; Ovide, Trist., I, ii, 77.
  74. Cicéron, Ad fam., XVI, 21 ; Lucien, Nigrinus, 13 et suiv. ; Dialogues des morts, xx, 5 ; Philostrate, Apoll., IV, 17.
  75. Corp. inscr. gr., nos 246, 248, 254, 255, 258, 261, 262, 263, 265, 266, 268, 269, 270, 271, 272, 275, 276, 277, 279, 280, 281, 282, 286 ; Ἐφημερὶς ἀρχαιολογική de Pittakis, 1860, nos 4041 et suiv., 4097 et suiv. ; 1862 (nouv. série), nos 199-204, 214-217 ; Φιλίστωρ (journal littéraire d’Athènes), t. III, p. 60, 150, 277, 350, 444, 549 ; t. IV, p. 73, 164, 171, 265, 392, 458, 545 et suiv., surtout 332 et suiv. ; Wescher, aux Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 5 avril 1861, et au Moniteur univ., 13 avril 1861.
  76. Voir les bas-reliefs éphébiques du musée de la Société d’archéologie, dans les bâtiments de l’université d’Athènes.
  77. Cic., Ad fam., XVI, 21. Se rappeler le rôle de Polybe dans la société romaine de son temps.
  78. Par exemple, Cicéron fils. Voir Brut. ad Cic., II, 3.
  79. Plutarque, Vie de Brutus, 24 ; Horace, Carm., II, vii, 9-10 Epist., II, ii, 46 et suiv. ; Brut. ad Cic., II, 3.
  80. Act., xvii, 21. Comp. Démosth., I Phil., 4 ; XI Phil. (in epist. Phil.), 17 (Vœmel) ; Élien, V. H., V, 13 ; Scoliaste de Thucydide, III, 38 ; Scol. d’Aristophane, Plutus, 338.
  81. Himerius, Ecloga iii ex Photio, cod. ccxliii (p. 8-11, édit. Didot).
  82. Cela résulte de Act., xvii, 14 ; xviii, 5 ; I Thess., iii, 1-2.
  83. Act., xvii, 17. Cf. Philon, Leg., § 36 ; Corp. inscr. gr., no 9900.
  84. Act., xvii, 17.
  85. Act., xvii, 19-20. Au iie siècle, la résurrection est encore à Athènes la grosse objection contre le christianisme. Voir Athénagore (d’Athènes), De la résurrection des morts.
  86. C’est ainsi que les interprètes grecs, Chrysostome, Théophylacte, Œcuménius, ont entendu le verset 18.
  87. Cf. H. Étienne, Thes., à ce mot.
  88. Édit de Justinien.
  89. Voir ci-dessous, p. 526, 545.
  90. Val. Max., II, vi, 3 ; Tacite, Ann., II, 55 ; Aulu-Gelle, XII, 7 ; Ammien Marcellin, XXIX, ii, 19.
  91. Val. Max., VIII, i, amb., 2 ; Aulu-Gelle, XII, 7 ; Cic., Pro Balbo, 12 ; Ælius Aristide, Panathen., p. 314 (Dindorf).
  92. Cicéron, De nat. deorum, II, 29 ; Pausanias, I, xxviii, 5-8 ; Plutarque, An seni sit ger. resp., 20 ; Corp. inscr. gr., nos 480, 3831.
  93. Ἡ βουλὴ ἡ ἐξ Ἀρείου πάγου, ἡ βουλὴ τῶν ἑξακοσίων, ὁ δῆμος. Voir Corp. inscr. gr., nos 263, 313, 315, 316, 318, 320, 361, 370, 372, 377, 378, 379, 380, 381, 397, 400, 402, 406, 415, 416, 417, 420, 421, 422, 426, 427, 433, 438, 444, 445, 446, 480, 3831 ; les nos 84, 104, 146, 149, 333, 363, 726 et 729 (cf. 727 et 728), 1008, 1010, de Pittakis, dans l’Ἐφημερὶς ἀρχαιολογική d’Athènes, 1838, 1839, 1840, 1841, 1842. Le no 726 est antérieur à l’ère chrétienne ; l’Aréopage seul y érige la statue. Les nos 333 et 726 sont antérieurs à la domination romaine, et prouvent que l’Aréopage, dès une époque ancienne, eut le droit d’élever des statues. Voir aussi Rangabé, Antiquités helléniques, II, nos 1178 ; Ross, Demen, inscr. nos 141, 163, 165 ; Berichte der sächs. Gesellschaft der Wiss., philol. Cl., XII, p. 218 ; Φιλίστωρ, t. III, p. 60, 363, 364, 463, 564, 565 ; t. IV, p. 83, 171 ; Ann. de l’Inst. arch., t. XXXIV, p. 139, sans parler d’une ou deux inscriptions inédites.
  94. Corp. inscr. gr., no 361.
  95. Plutarque, Vie de Cic., 24 ; Himérius, dans Photius, cod. ccxliii, p. 365, 366, édit. Bekker ; Quintilien, V, ix, 13.
  96. Lysias, Areopagitica or. pro sacra olea entier ; Démosth.(?), Contre Néère, § 80 et suiv. ; Eschine, Contre Timarque, 81 et suiv., 92 ; Diogène Laërte, II, viii, 15 ; xi, 5 ; VII, v, 2 ; Xénophon, Mém., III, v, 20 ; Cic., Epist. ad fam., XIII, 1 ; Ad Att., V, 11 ; De divin., I, 25 ; Athénée, IV, 64, 65 ; VI, 46 ; XIII, 21 ; Plut., De plac. phil., I, vii, 2 ; Corp. inscr. gr., no 123 ; Ross, Demen, inscr. no 163.
  97. Comp. Josèphe, Contre Apion, II, 37, et Lysias, fragm. 175 (Orat. attici de Didot). Rien, dans le récit des Actes, n’indique que Paul ait été l’objet d’une action judiciaire devant le tribunal. Cependant, les mots ἐπιλαϐόμενοι… ἤγαγον du v. 19 indiquent bien que, dans l’intention du narrateur, la mention de l’Aréopage n’est pas une simple indication de lieu. Du reste, il est probable qu’à l’époque romaine, le nom d’ « Aréopage » n’avait plus de force topographique. L’étroit rocher en plein air qui portait ce nom dut sembler bien incommode ; on y substitua quelque édifice (Vitruve, II, i, 5), ou plutôt on transféra l’institution au Portique Royal, à la Basilique (Démosth. (?), I contre Aristog., § 23), située près de la colline. Malgré cette translation, le nom d’« Aréopage » put rester, comme il reste encore de nos jours à Athènes pour désigner un tribunal qui ne siège nullement sur la colline ; de même, les noms de « tribunal de la Rote », de « cour des Arches », etc., ont été autrefois justifiés, mais ne le sont plus.
  98. Luc, qui n’est pas étranger à toute rhétorique, a probablement disposé un peu la mise en scène et l’attitude de son orateur. Le discours ne peut être considéré comme authentique à la façon d’un discours sténographié par un auditeur ou écrit après coup par celui qui l’a prononcé. On sent chez le narrateur un juste sentiment d’Athènes, qui lui dicte quelques traits appropriés à l’auditoire ; mais, après tout, il n’est pas impossible que Paul lui-même ait obéi aux nécessités oratoires du moment. Le trait du « Dieu inconnu » et la citation d’Aratus pouvaient être familiers à l’apôtre. Timothée, d’ailleurs, était à Athènes avec Paul, et a pu garder la mémoire de tout ceci. Le style du morceau n’est pas sans analogie avec celui de Paul. Pour les idées, comparez Rom., i.
  99. Comp. Jos., Contre Apion, I, 12. Δεισιδαιμονεστέρους doit se prendre en bonne part, comme l’a bien vu saint Jean Chrysostome. Cf. Pollux, I, 21. Voir Schleusner, s. h. v.
  100. Cet hémistiche se trouve dans Aratus, Phænom., 5, et dans Cléanthe, Hymne à Jupiter, 5.
  101. Comparez Sénèque, Epist., xcv, 51 et suiv. ; De beneficiis, IV, 19 ; Dion Chrysostome, orat. xii, p. 231-232 (édit. Emperius) ; Porphyre, Ad Marcellam, ch. 11, 18.
  102. Maintenant déposée au musée de la Société d’archéologie, dans les bâtiments de l’université d’Athènes. Voir Ἀρχαιολογική ἐφημερὶς, 1862, pl. xxx, xxxi, xxxiii.
  103. Voir surtout le Φιλίστωρ, IV, p. 332 et suiv. Comp. d’autres inscriptions, ibid., et ci-dessus, p. 186, note 2.
  104. I Thess., ii, 17 et suiv.
  105. I Thess., iii, 3, 5.
  106. I Thess., iii, 1 et suiv.
  107. Se rappeler surtout les délicieuses petites églises byzantines d’Athènes.
  108. Voir, comme type de ceci, la description des fêtes du 1er mai, qui paraît annuellement dans les journaux d’Athènes ; par exemple, la Παλιγγενεσία et l’Ἐθνοφύλαξ de l’année 1865.
  109. Voir le recueil de Fauriel et celui de Passow. Notez en particulier le rôle de Charon, du Tartare, etc.
  110. Au xve siècle, Gémiste Pléthon ; de nos jours, Théophile Caïri.
  111. Se rappeler Coraï.
  112. I Thess., iii, 6.
  113. Il n’y a pas d’épître de Paul « aux Athéniens », ni de mention de l’Église d’Athènes dans les épîtres aux Corinthiens. Dans son troisième voyage, Paul ne touche pas à Athènes.
  114. Act., xvii, 34 ; Denys de Corinthe, dans Eusèbe, H. E., IV, 23. Le caractère un peu légendaire de ce que les Actes racontent sur le séjour de Paul à Athènes laisse planer des doutes sur tout ceci. Ἀρεοπαγείτης désigne toujours un membre du tribunal, un personnage de haute dignité. Areopagita était un titre considéré et recherché dans le monde entier (voir les textes précités, surtout Cic., Pro Balbo, 12 ; Trebellius Pollion, Gallienus, 11 ; Corpus inscr. gr., no 372). On a peine à croire qu’un personnage de ce rang se soit converti.
  115. Nom singulier, peut-être pour Δάμαλις, nom porté par des femmes athéniennes. Pape, Wœrt. der griech. Eigennamen, s. h v. Cf. Horace, Carm., I, xxxvi, 13 et suiv. ; Heuzey, Miss. de Macéd. p. 136. Peut-être aussi Damaris est-il un nom sémitique. On a trouvé plusieurs inscriptions phéniciennes à Athènes et au Pirée.
  116. Denys de Corinthe, l. c.
  117. Voir le discours de Julien Ad S. P. Q. Atheniensem, et le Misopogon, p. 348 (Spanheim).
  118. Saint Grégoire de Naz., Orat., xliii, 14, 15, 21, 23, 24 ; Carm., p. 634-636, 1072 (Caillau) ; Synesius, Epist., liv (p. 190, Petau) ; Marinus, Vie de Proclus, 10 ; Malala, XVIII, p. 451 (Bonn).
  119. Aïa Vasili est la Stoa Vasilios ; l’église des douze apôtres, le temple des douze dieux ; Aïa Paraskévi, le Pompéion. Rangabé, dans les Memorie dell’ Instituto di corr. arch., t. II (1865), p. 346 et suiv. ; Aug. Mommsen, Athenæ christianæ, p. 4-5, 50-51, 61, 99, 145. Comme contraste, comparez le Liban, où la destruction du paganisme fut violente et instantanée. Quoique les débris de temples antiques s’y rencontrent à chaque pas, on n’y trouve pas d’exemples de telles superpositions.