Siegfried (Wagner)/Acte II
Frappe le traître,
tue l’imposteur !
Vois, Mime, forgeron :
Tel doit frapper mon fer !
ACTE II.
Scène I.
Au bois, la nuit,
sur Neidhöl, là, je veille,
Prêtant l’oreille,
loin scrutant des yeux.
Triste jour,
Nais-tu déjà ?
Est-ce bien toi
qui de l’ombre sors ?
Quel éclat brille là bas ?
Prompt s’approche
l’embrasement.
Il court, fantastique coursier,
saute aux halliers,
fonce sur moi.
Est-ce le tueur de monstres
qui contre Fafner vient ?
Le feu s’enfuit.
L’éclat cesse aux regards.
Nuit encore.
Qui vient et brille dans l’ombre ?
Vers Neidhöl !
je vais dans la nuit.
Qui se cache au plus noir là-bas ?
C’est toi — qu’ici je vois ?
Qu’y cherches-tu ?
Pars, va t’en loin !
Arrière, honteux forban !
Noir Alberich,
toi rôdant !
Gardes-tu Fafner là ?[1]
Rêves-tu d’autres
actes félons ?
Point de retard !
Gagne le large !
Assez de fourbe
inonde ce lieu de malheur.
Donc, infâme.
Va ton chemin !
J’observe, j’erre
et je songe[2],
Qui peut arrêter mes pas ?
Haineux, tout aux intrigues,
tu voudrais me voir
ma sottise ancienne
quand tu me pris en piège.
Sans peine ainsi
de l’anneau tu serais le maître.
Tout beau ! Car ton art
m’est bien connu,
mais ta faiblesse
m’est aussi sans mystère.
Quand ma richesse
vint à tes dettes,
l’anneau fut
aux géants donné,
pour prix du burg qu’ils t’ont fait
Tu te lias jadis
par un pacte :
tes Runes sont gravées
sur l’épieu partout souverain.
Tu n’as droit
de reprendre aux géants
cet or, paiement de leur tâche.
Toi-même, alors,
violerais ta loi
et, dans ta main,
l’épieu sans rival,
en pièces soudain volerait.
De ses pactes saints les runes
n’ont point fait taire
ton cœur.
Il t’a courbé sous sa vigueur.
Pour vaincre il reste en ma main.
D’un fier défi
m’affronte ta force,
mais comme en ton cœur tu frémis !
Voué à la mort,
par moi maudit
est de l’or le maître. —
A qui l’héritage ?
L’enviable trésor
le Niblung va-t’il le reprendre ?
Tel l’âpre souci te rouge.
Car si je le tiens,
encor sous mon poing,
mieux qu’un géant inepte
dois-je par l’anneau régner.
Donc tremble le maître
céleste des braves !
Vers le Walhall
montent les forts de Hell.
Le monde est à moi seul !
Ton dessein m’est connu,
mais point n’ai-je peur.
De l’or est maître
qui le conquiert.
Langage trouble
où, pourtant, je vois clair !
Au jeune Wælsung
va ton espoir,
en qui ton vieux sang refleurit.
Comptes-tu pas qu’un jeune homme
pour toi du fruit s’empare
à toi seul défendu ?
Pour moi, non.
Veille sur Mime.
Ton frère fait ton péril.
Un garçon qui vient avec lui
à Fafner sera fatal.
Lui ne sait rien de moi,
Le Niblung veut s’en servir.
Comprends-moi donc, l’ami :
Fais ton œuvre à ton gré.
Ouvre les yeux,
garde-toi bien !
L’enfant ignore l’anneau,
mais Mime guide l’enfant.
Et ta main reste loin de l’or ?
Qui m’agrée[3]
libre accomplit son oeuvre.
Vainqueur ou vaincu,
son roi, c’est lui.
Tels héros seuls me secondent.
A Mime seul
je dispute l’anneau ?
Hormis toi, lui seul
recherche cet or.
Doit-il cependant m’échapper ?
Un brave vient
sauver le trésor.
Deux Niblungs aspirent à l’or.
Fafner meurt
sur l’anneau veillant.
Qui le prend en reste maître.
T’en faut- il plus ?
Le monstre est là.
Mis en garde de mort,
vois s’il renonce à l’anneau !
Moi-même veux l’éveiller.
Fafner ! Fafner !
Ecoute, monstre !
Est-ce en lui démence ?
Ou bienveillance ?[4]
Qui rompt mon repos ?
Quelqu’un vient te dire
sombres nouvelles.
Il peut sauver ta vie
si tu lui veux donner
les richesses que tu gardes.
Que veut-il ?
Vite, Fafner !
Vite, dragon !
Un fort héros me suit
qui vise tes jours sacrés.
J’ai faim de lui.
Fier est l’enfant, et fort.
Net tranche son fer.
Le clair anneau
seul est son but.
Livre le moi pour prix,
j’empêche l’assaut ;
tu gardes tout l’or
et vis heureux longtemps.
Je dors et je tiens. —
Qu’on me laisse !
Vois, Alberich ! Effort vain !
A moi ne t’en prends pas.
De cette règle
fais ton profit :
Toute chose suit sa loi :
Ces lois, nul ne les change.
Je quitte la place ;
Restes y bien.
Raisonne Mime, ton frère.
Ta ruse le peut mieux convaincre.
Le reste, enfin,
toi-même apprends le.
Il presse, là bas,
son clair coursier,
Et moi, tourmenté, j’ai peur.
Or, vous, riez,
parmi vos plaisirs,
o folles
puissances divines !
Dieux, tous,
Vous mourrez sous mes yeux.
Aussi longtemps que l’or luira
Moi, je sais et j’attends !
Ruine vous vient par moi !
Scène II.
Voici la place
Reste là.
Là dois-je apprendre à craindre ?
Loin m’as-tu fait te suivre ;
dans les bois, la nuit entière
nous fîmes route tous deux.
C’est l’heure, Mime, au large !
Si je n’apprends
en ce lieu la peur,
alors, seul je m’éloigne,
libre de toi désormais !
Sois tranquille.
Si ton cœur
n’apprend la crainte ici,
en d’autres lieux,
en d’autres temps,
rien n’en dois-tu savoir.
Vois, là-bas,
cet antre noir, béant,
là se tient
un monstre à faire horreur,
rage effroyable,
masse sans nom.
Sa gueule est un gouffre
énorme et hideux.
Ton corps entier
en un seul coup,
le monstre peut t’engloutir.
Il sied qu’on ferme sa gueule.
J’éviterai donc d’être pris.
Crains sa bave,
poison dévorant.
Si du venin il peut t’inonde)-,
c’est fait de ta chair jusqu’aux os.
Esquivant la bave brûlante,
j’offre la lutte de flanc.
La longue queue
traîne et se tord.
De qui en est atteint
et bien étreint
se brisent les os en éclats.
De sa queue je trompe l’approche ;
point ne le quittent mes yeux.
Pourtant, réponds-moi :
n’a-t’il pas un cœur ?
Un cœur cruel, sans pitié.
Ce cœur est-il
où les êtres l’ont,
tous, ou bêtes ou gens ?
Mais oui, Siegfried,
il l’a tout comme eux.
Eh bien ! Te prend-elle, la peur ?
Nothung va s’enfoncer
dans ce cœur.
C’est-il de la peur l’indice ?
Hé ! Vieux gnome,
de ta ruse
que puis-je encore apprendre ici ?
Va ton chemin bien vite.
La crainte point ne saurai.
Sois moins pressé.
Pour toi le monstre
n’est qu’une histoire en l’air.
Lui-même, là,
bientôt le voyant,
pour sûr, tu vas perdre l’esprit.
Ton regard s’éteint ;
ta jambe fléchit ;
l’angoisse horrible
au cœur t’étreint.
Soudain, tu penses à Mime,
ton guide, qui t’aime tant.
Défense qu’on m’aime !
N’est-ce donc clair ?
Loin de mes yeux va t’en ;
laisse-moi seul.
Colère me gonfle le cœur[5]
lorsque tendresse te prend !
Tes laides grimaces,
tes yeux qui clignent,
quand dois-je en être délivré ?
Quand dois-je être quitte de toi ?
Je veux partir.
Je vais là, près de l’eau.
Reste en ce lieu.
Quand le soleil montera,
veille au dragon.
Hors de l’antre Fafher viendra
pour boire à cette source.
Mime, si tu es là,
j’y veux laisser aller le monstre.
Nothung va
n’entamer son échine
sans que toi même
il ait pu te boire.
Aussi, suis mon conseil :
Fuis au plus loin cette eau.
Reste aussi loin
que tu pourras —
et va t’en pour toujours.
Après tel combat
soif nous échauffe.
Laisse qu’on t’offre à boire.
Crie et j’accours
pour t’être utile
ou si tu sens la peur te saisir.
Fafner et Siegfried,
Siegfried et Fafner,
oh ! qu’il s’égorgent tous deux !
N’avoir pour père ce nain,[6]
combien j’en suis donc joyeux !
C’est à présent que le bois me plait
où sourit l’allégresse du jour,
puisque l’être hideux m’a fui
pour ne plus revenir jamais !
Comment mon père était-il ?
Ah ! Bien sûr, comme moi.
Or, s’il naît de Mime un fils,
Doit-il pas être
Mime même,
juste aussi blême
gris et vilain,
grêle et tors,
jambe qui boîte,
pendantes oreilles,
rouges paupières ?
Quel cauchemar !
Enfin, ne plus le voir !
Mais ma mère
Comment la rêver ?
Ça, rien
ne m’en donne l’idée ! —
Les biches, je crois,
doivent avoir
ses yeux clairs et limpides,
mais bien moins tendres…
Naissant, j’ai fait sa peine.
Pourquoi donc sa mort aussi ?
Est-ce qu’ainsi les mères
à nos naissances
meurent toujours ?
Triste ce serait, oui !
Ah ! voir ma mère,
ma mère aimée !
Voir ma mère
humaine épouse !
Oiseau que j’aime,
ton chant m’est nouveau :
es-tu chez toi dans ce bois ? —
Ah ! si je pouvais comprendre !
Bien sûr, il m’a parlé…
qui sait ?… de ma douce mère ?
Un gnome hargneux
m’a raconté
qu’au frais langage
des oisillons
on se peut reconnaître.
Est-ce possible, vrai ?
Hé ! tentons le !
Par mon chant
au pipeau si je l’imite,
laissant les paroles,
tout à l’air même,
Si je chante sa langue,
du coup, je saurai ce qu’il dit.
Il cesse, il guette :
eh bien, parlons lui !
(Il souffle dans sa flûte de roseau qui rend un son aigre et faux. Il s’arrête, retaille le roseau et s’efforce de mieux faire. Il secoue la tête, essaye de perfectionner encore son œuvre, souffle de nouveau, s’ingénie. Impatient, il serre le pipeau dans ses mains, recommence à souffler. La flûte rend un son toujours aigre, Siegfried s’interrompt en riant.)
Ça sonne mal.
Au roseau grossier
la douce chanson ne va pas !
Oiseau, vois-tu,
je reste sot ;
ton art est malaisé !
J’ai honte, vraiment,
de le voir ainsi qui m’écoute.
Il guette et ne peut comprendre.
Hei da ! Entends
ce chant de mon cor.
Le niais roseau
m’a servi trop mal.
Une fanfare
comme j’en sais,
joyeuse, te doit bien mieux plaire.
Ainsi j’appelais
un bon compagnon,
mais seuls parurent
des loups, des ours…
Or, aujourd’hui,
Voyons qui viendra,
si c’est qui j’espère, — l’ami ?
Ah ! Ah ! Mon chant m’a valu
quelque chose d’aimable !
Tu fais un joli compagnon.
Qu’est-ce là ?
Hé ! puisqu’étant bête
tu sais parler,
peut-être vas- tu m’instruire ?
Quelqu’un ignore
ici la peur.
Peut-il de toi l’apprendre ?
As-tu trop d’ardeur ?
Trop ou bien juste assez,
qu’en sais-je ?
Mais toi, gare à ta panse
ou me révèle la peur.
Boire allais-je ;
on m’offre à manger.
Quelle gueule coquette
montres-tu là ?
Une mâchoire
friande y rit !
Il sied qu’on te bouche le mufle.
Ton gouffre s’ouvre un peu trop.
Paroles vaines
mal y vont,
mais large place
t’y attend.
Ho ! Ho ! Sauvage
et laid compagnon,
calmer ta faim
n’a rien qui m’aille.
Sage et bien vu, je crois,
que tu crèves, là, sans délai.
Prouh !… Viens,
jeune vantard !
A toi, monstre.
Vantard te joint.
Voilà, monstre haineux !
Nothung t’ouvre le ventre.
Quel es-tu, jeune brave ;
qui perças mon cœur ?
Qui donc excita l’enfant
à l’exploit meurtrier ?
Ton front n’a pas conçu
ce que tu fis.
Je sais peu de chose,
pas même qui je suis.
A ta mort par le glaive
tu m’as toi-même incité.
Enfant dont l’œil rayonne,
Cœur très ingénu,
de ta victime
sache tout…
Les rudes rois des géants,
Fasolt et Fafner,
les frères, tous les deux gisent.
Pour un or maudit
livré par les dieux
Fasolt est mort par moi.
Gardien de l’or,
dragon farouche,
Fafner, dernier de sa race,
cède au héros fleurissant.
Garde toi bien,
fleur de jeunesse,
car cet autre qui t’excita,
c’est lui qui médite ta mort
Vois l’issue.
Songe à moi !
Quelle est ma race,
dis le moi donc !
Bête, la mort
t’emplit de sagesse.
Sache comme on me nomme :
Siegfried — tel est mon nom.
Siegfried !…
Un mort ne peut rien dire.
Protège moi donc,
mon glaive vivant !
Ça brûle comme du feu !
Vrai, je croirais
ouïr les oiseaux me parler.
Est-ce d’avoir
goûté de ce sang ?
Le bel oiseau, là haut,
chut ! que me dit-il ?
Hei ! Siegfried possède
à présent le trésor.[8]
Oh ! Si, dans cet antre,
il découvre l’or !
S’il y veut ravir le heaume
propice aux exploits enivrants
et si de l’anneau il s’empare
qui doit lui donner l’univers !…
Oh ! cher oiseau,
du conseil merci.
Certes, j’y obéis.
Scène III.
Où donc glisses-tu,
si pressé,
drôle mauvais ?
Avide frère,
Maudit sois-tu !
Que cherches-tu ?
Penses-tu, gars,
ravir mon or ?
Tu guettes mon bien ?
Fuis de la place.
L’endroit est à moi.
Que restes-tu là ?
Oui, je viens mal,
muet artisan,
pour ton larcin !
Ce que me vaut
un long effort,
seul je le garde.
As-tu pris l’or
au Rhin pour faire l’anneau ?
Du charme tenace
as-tu chargé son métal ?
Qui fit ce heaume
par qui l’on est changé ?
L’utile objet
ton esprit l’a t’il conçu ?
Qu’eût donc ta bêtise
sans secours pu bien produire ?
L’anneau puissant
mit sous ma loi l’art du nain.
Où donc est l’anneau !
Facile aux géants fut la prise !
Tu l’as perdu,
mais ma ruse espère l’avoir.
Sur l’exploit d’autrui,
ainsi, ladre ; tu comptes ?
Le profit ne t’est dû,
gagné par ce fier enfant.
Je l’ai nourri.
De mes soins n’est-ce le prix ?
Depuis longtemps
j’attends le paiement que je veux.
Pour l’avoir nourri
cet avare,
ce triple valet
sans pudeur
se croit roi maintenant !
Au chien le plus laid,
certes, l’anneau
siérait mieux qu’à toi.
Drôle, à ton doigt
jamais ne luira son or !
Qu’il soit donc tien :
conserve-le
ce clair joyau.
Sois le chef,
mais, moi, nomme-moi : Frère !
Que mon seul tarnhelm,
jouet plaisant,
fasse mon lot.
Et quoi de mieux ?
Nous partageons le butin.
Moi, partager ?
Et ce heaume ? oui, dà !
Quel fin renard !
Mon sommeil jamais
ne serait paisible !
Quoi ! ni échange,
ni partage ?
Vides mes mains ?
Pas un profit ?
Pour moi rien que tu laisses ?
Rien au monde !
Pas une bribe[9]
qui te revienne !
Sur anneau ni tarnhelm,
lors, plus ne compte ;
Tout reste mon bien !
Contre toi j’appelle
Siegfried à l’aide
et son glaive fort !
L’ardent héros
va fondre, frère, sur toi !
Tourne les yeux !
Hors de l’antre vois le venir.
Quel jeu d’enfant
put-il bien choisir ?
Il a le heaume.
Oui — et l’anneau.
Malheur ! L’anneau !
Compte qu’il va te le rendre !
Moi j’en ferai la conquête.
Pourtant il faudra
qu’à son vrai maître il retombe.
Que valez-vous ?
Je ne sais.
Je vous ai pris,
cependant, au tas de l’or.
Un bon conseil m’y poussa.
Qu’au moins votre éclat
de ce jour témoigne.
Soyez les garants
que je fus de Fafner vainqueur,
mais qu’à craindre point n’ai-je appris.
Hé ! Siegfried possède
le heaume et l’anneau !
Ah ! qu’il craigne Mime,
le gnome pervers !
Fausse sonne la voix
sur les lèvres du fourbe flatteur :
mais il peut saisir
ce que Mime lui veut.
Tel don vient du sang du dragon.
Il songe et soupèse
son butin. —
Est-ce bien que l’Errant trop sage
vint par ici
séduire l’enfant
d’obscurs et louches dits ?
Deux fois fin
soit donc le nain !
Les pièges habiles
sont disposés.
Par de flatteuses paroles
vite je leurre l’enfant orgueilleux.
Louange, Siegfried !
Dis, ô brave :
Fafner t’apprit la frayeur ?
Nul maître ne me l’apprit
Mais l’affreux dragon
l’as-tu mis par terre ?
Hé, quel plus sinistre gaillard ?
Si rude et fauve qu’il fut
Sa mort me fâche un peu,
car maint drôle bien pire
vit encore à cette heure.
Qui me le fit tuer
me fait horreur plus que lui !
Sois calme ! Bientôt
plus rien entre-nous.
Sommeil sans fin
aura par moi fermé tes yeux.
Tu fis ton office
fort à mon gré ;
Il faut qu’à présent
ta prise me soit acquise ;
c’est clair, je dois tout te prendre :
à tromper tu es trop aisé.
Tu cherches donc à me nuire ?
Quoi ! Ai-je dit ça ?
Siegfried, viens ici, mon cher enfant !
Ton être et tes instincts
ont toujours eu ma haine ;
Tendresse ne t’a point
bercé dans mes bras.
Trésor gardé par le dragon,
c’est l’or qui fut mon seul souci.
Tu ne veux
m’en faire don franchement :[10]
Siegfried, mon fils,
toi-même le vois,
ton meurtre m’est nécessaire.
Tu me détestes !
Eh ! tant mieux.
Mais c’est la vie que tu veux me prendre ?
Disais-je cela ?
Comme mal tu m’entends !
Vois, tu es las
d’un si grand effort.
Rouge et fumant est ton corps ;
Pour te remettre
Voici la boisson
par moi brassée avec soin.
Nous faisions, toi, l’acier,
et moi, l’hydromel.
Bois, maintenant,
et j’aurai ton brave fer,
avec le heaume et l’or.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Tu veux mon épée
avec ma conquête.
Or et tarnhelm te tentent ?
Mais comme mal tu m’entends ?
Suis-je bègue ou bien fol ?
Ah ! quelle peine
ai-je, céans,
sur ma vraie pensée
pour mettre un voile :
et toi, sot garçon, tu fausses
tous mes propos !
Ouvre l’oreille !
Rends-toi compte mieux !
Sache quel est mon but.
Voyons, bois-moi cela vite !
Tu bus ainsi souvent.
Ton humeur dure
boude toujours
à mon présent.
Tu cries —
puis tu veux boire.
Un breuvage frais,
quoi de mieux ?
Comment fis-tu celui-ci ?
Hé ! Avale,
Crois en mon art !
En nuit et brume
laisse tes yeux s’obscurcir ;
Languissants, inertes,
lourds, plieront tes membres.
Toi gisant là,
sus ! j’ai ta conquête
et je la cache.
Mais, l’éveil survenant,
où pourrais-je fuir devant toi,
même ayant ton anneau ?
Donc cette épée
au tranchant si fin
te coupera
le cou d’abord.
Puis, je suis en paix : à moi l’anneau.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Dormant, tu veux, toi, m’occire ?
Voudrais-je ? Ai-je dit ça ?
Je veux, enfant,
couper net ton cou !
Si, même, pour toi
j’étais sans fiel,
et si tes mépris
et mon rôle de traître
moins haut criaient vengeance,
de ma route je devrais, pourtant,
te chasser en hâte.
Sans quoi comment saisir ta proie ?
Car Alberich la guette aussi.
Ça, mon Wælsung,
fils de Loup,
bois, absorbe la mort.
C’est ton dernier glou-glou !
Hi ! hi ! hi ! hi-hi-hi…
Goûte à l’épée,
sale vipère ![11]
Ha-ha-ha-ha-ha-ha…
Pour payer
l’envie
j’ai forgé cette lame !
Sous la terre, là,
gis près de l’or.
Ton âpre ruse
pensait le ravir,
qu’il fasse tes chères délices !
Un gardien fidèle
Vais-je t’offrir
pour te défendre des vols !
Là, dors aussi,
sombre ver !
A l’or décevant
sers de gardien
près de ton avide rival.[12]
Ainsi, tous deux soyez en paix !
Qu’il fait chaud
après tel labeur !
Tout en feu
bondit mon sang !
Ma main brûle mon front.
Au ciel midi monte.
Du clair azur
l’œil ardent du soleil
se fixe sur moi.
L’ombre fraîche
s’épand des branches de l’arbre.
Rechante, voix si douce.
Après un long
et rude effort
tels accents me sont un charme.
Aux ramures, Oiselet,
tu te berces.
Tout babillants, tout gais,
frères, sœurettes,
t’entourent d’un vol caressant.
Mais moi, je suis tout seul.
Ni sœurettes, ni frères.
Et mon père est mort,
ma mère aussi :
jamais ne les vis.
Mon seul compagnon
fut un vil avorton.
Rien de bon qui nous fît tendres.[13]
Il m’enlaçait
d’infâmes traîtrises.
Enfin, ai-je dû l’abattre.
Cher camarade[14]
Réponds à présent.
Si tu me savais
un bon ami ?
Veuille venir à mon aide.
Combien j’ai cherché
Sans jamais rien trouver !
Toi que j’aime,
touche plus juste.[15]
Si bien tu m’as conseillé !
Oh ! chante ! j’écoute ta chanson.
Hei ! Siegfried frappa
le plus lâche des nains.
Oh ! S’il connaissait
l’épouse sans prix !
Au roc altier elle dort,
dans une enceinte de feu.
Passant le brasier
s’il la réveille,
Brunnhilde, lors, est à lui.
Suave chant !
Souffle enchanté !
L’ardent espoir fait battre mon sein.
En quelle fièvre
flambe mon cœur !
Qui trouble ainsi
mon cœur et ma tête.
Dis le moi, doux ami.
Joie et douleur
d’amour je chante.
Doux et plaintif
passe mon chant.
Qui rêve et désire comprend.
Loin, vite !
Gai, faisons route
loin des grands bois jusqu-au roc !
Dis moi ceci, pourtant,
mon doux chantre :
dois-je en la flamme faire brèche ?
Puis-je éveiller telle vierge ?
De Brunnhild conquise
doit voir l’éveil,
un lâche jamais,
mais qui de Peur n’est instruit.[16]
Le simple enfant
qui de peur n’est instruit,
oiseau, je suis celui-là.
Encor ce jour
bien en vain j’ai voulu
connaître par Fafner la crainte.
Je n’ai d’autre vœu
que de Brunnhild l’apprendre.
Quel est le chemin vers le roc ?
Ainsi je saurai ma route.
Vole et me guide.
Siegfried te suit.
ACTE III.
Scène I.
Monte, Wala !
Wala, debout !
Du long sommeil,
Viens, je t’éveille aujourd’hui.
Entends mon appel.
Surgis ! surgis !
Du puits ténébreux,
du gouffre nocturne,
surgis !
Erda ! Erda !
Femme éternelle !
Des cryptes natales,
monte aux hauteurs !
Je clame vers toi ;
mon chant t’évoque ;[17]
- ↑ Var. : Gardes, tu de Fafner l’or.
- ↑ Var. : sans faire acte.
- ↑ Var. : Qui m’est cher.
- ↑ Var. : M’est il propice ?
- ↑ Var. : je ne suis plus maître de moi.
- ↑ Var. : Je n’eus pour père ce nain.
- ↑ La machine représentant le dragon a été portée, pendant le combat, plus près de l’avant scène. Une nouvelle trappe a été ouverte pour que l’interprète du rôle puisse chanter dans un porte-voix moins grand que le premier.
- ↑ Var. : du Niblung le bien.
- ↑ Var. : pas un clou même.
- ↑ Var : de bon gré.
- ↑ Var. : Bavard immonde !
- ↑ Var. : côte à côte avec ton rival.
- ↑ Var. : Rien de bon et rien de tendre.
- ↑ Var. : Voix gazouillante.
- ↑ Var. : en toi j’espère.
- ↑ Var. : seul qui de Peur.
- ↑ Var. : Je chante l’air d’appel — pour qu’il t’éveille.