Socrate chrestien/Discours 7

La bibliothèque libre.
Augustin Courbé (p. 109-132).

DE QUELQUES
PARAPHRASES
NOUVELLES.



SOcrate se connoissoit en vers, comme en tout le reste des choses honnestes. Mais il n’avoit plus de passion que pour les Muses chastes & Chrestiennes. Encore vouloit-il qu’elles fussent tristes & severes ; qu’elles armassent la chasteté de rigueur, ( d’ordinaire il se servoit de ces termes) que leur simplicité et leur modestie les distinguassent de leurs autres Sœurs, qui sont plus mondaines & plus enjoüées. Il vouloit que les Vers, conceus & nez dans l’Eglise se sentissent du lieu de leur extraction, & de l’avantage de leur naissance ; que les Ouvrages Chrestiens portassent la marque du Christianisme ; qu’ils fussent Chrestiens, tant en la forme qu’en la matiere. Vous le verrez par le iugement qu’il fit de la Paraphrase d’un Pseaume, qui m’avoit esté envoyée de Languedoc : Elle estoit de la façon d’un des beaux Esprits de ce païs-là, & on me mandoit que ce bel Esprit y avoit travaillé de toute sa force ; que douze Stances estoient le travail de douze mois ; & qu’encore ne croyoit-il pas en estre accouché à terme, tant il avoit de peine à se contenter. Socrate garda quelques iours cette Paraphrase sur la table de sa chambre, & ayant esté pressé de nous en dire ce qu’il en pensoit, son advis fut celuy-cy, qui fut la regle du nostre.

IL faloit suivre monsieur l’Evesque de Grasse, & ne pas faire effort pour passer devant. En matiere de paraphrases, il a porté les choses, où elles doivent s' arrester. L' eloquence qui entreprend d' aller plus loin, est à mon advis trop ambitieuse. La poësie qui cherche un autre chemin, court fortune de trouver un precipice. Vouloir encherir sur un si grand maistre, ne me semble pas estre de la modestie d' un apprenti. Celuy-cy ose tout, et hazarde tout : un poëte si prodigue d' abord n' est pas asseuré de pouvoir continuer : il doit devenir pauvre par sa premiere desbauche. Mais d' ailleurs, subtiliser davantage, et quintessencier les tex tes sacrez n' est pas une entreprise bien judicieuse, ni qui puisse mieux reüssir à nostre langue, qu' à son aisnée la langue latine. C' est faire le contraire de ce qu' ils pretendent. Ce n' est ni faciliter ni esclaircir la saincte escriture : c' est l' embarasser et la barbouïller. Au lieu de raffiner l' or de ses paroles, et de faire hausser les choses de prix, ils en alterent la substance, ils en corrompent la pureté. Le prophete qu' on m' a fait voir, dans la paraphrase qu' on m' a montrée, m' a fait compassion en l' estat où je l' ay veû. J' ay eu pitié de l' extravagance de son équipage, de sa ridicule galanterie, de son air de cour, et tout ensemble de ses marques de college. Les fleurs de rhetorique, la broderie du stile figuré, l' ostentation et la pompe de l' eschole pourroient estre bien en un autre lieu, mais icy elles ne sont pas en leur place. Celuy que j' ay veû est un chercheur de pointes et un faiseur d' antitheses. C' est un sophiste, c' est un declamateur, c' est toute autre chose qu' un prophete. Puisque vous voudriez sçavoir là-dessus, les sentimens des sages que j' ay pratiquez , cela s' appelle en la langue de la raison, friser et parfumer les prophetes. Quelle hardiesse et quelle licence, ou plûtost quelle effronterie et quelle profanation, de se jouër tantost d' un prophete, tantost d' un apostre, en les travestissant de la sorte ? De donner des habillemens de theatre à des personnes si graves et si serieuses ; de les enerver, de les effeminer, et si j' ose le dire, de les faire changer de sexe ? Car que pretend autre chose la foiblesse estudiée de ce langage forcé ; cette violente expression, qui met les autheurs à la torture, pour ne produire que de la molesse et de l' affeterie ; pour donner un spectacle de nos mysteres et de nos saincts à des cavaliers et à des dames ; pour leur faire voir une beauté artificielle, appliquée par le dehors, contraire à la veritable forme, soit du prophete, soit de l' apostre ? Le travail et la sueur du paraphraste se lisent avec ses pointes et ses antitheses. L' inquietude et le tourment qu' il se donne, me font de la peine, quoy que je n' en veuïlle point prendre. Les ciseaux, les marteaux, et les tenailles ; les dislocations et les ruptures, se voyent et se sentent dans chaque vers. Il n' y en a pas un qui ne gemisse, et ne semble crier misericorde, pour les divers coups qu' il a receûs. Le prophete persuadoit sans rhetorique ; le paraphraste est rhetoricien sans persuader. Tant a d' avantage la liberté de l' eloquence en sa source, sur la contrainte de l' art de parler ; le bien tout pur et tout simple, sur le bien meslé et falsifié ; la perfection de l' idée, sur les defauts du maistre, de la leçon, et de l' escholier ! Tant il est vray que Dieu est inimitable à l' homme, et la majesté à l' industrie ! Mais il faut le prendre d' un ton plus bas. Je vous parlay dernierement de ce beau portrait de Thesée, qu' avoit fait le peintre Parrhasius. Il estoit beau, mais il ne ressembloit pas à Thesée. Il fut dit par quelqu' un de ce temps-là, que le veritable Thesée avoit esté nourri de chair de bœuf, et que celuy de Parrhasius n' avoit mangé que des roses. On pourroit se servir du mesme mot, sur le sujet des paraphrases, si peintes et si fleuries. Ce sont de belles images, mais elles n' ont pas esté tirées apres le naturel ; mais elles n' ont pas esté faites pour ressembler ; mais ce qu' elles representent n' y est pas reconnoissable. Pareilles pieces sentent Paris, la cour et l' academie : mais elles n' ont rien de Hierusalem et de Sion ; rien du tabernacle et du sanctuaire. N' est-ce pas se moquer de l' ancien des jours, de le vouloir faire parler à la mode ; de luy apprendre le jargon des cercles et des cabinets ; de luy faire dire, quand il nous plaist, nostre ajuster , nostre esplucher , nostre se piquer de parfait, et se piquer de perfection , nostre de belle hauteur et de haut en bas ? Nous voudrions qu' il se servist aussi souvent que nous, de nos lumieres et de nos veuës, que nous employons à toutes occasions et à tous usages. Nous voudrions que le terrible, le tres-haut, et le tres-fort, que le dieu des armées, et le souverain des souverains s' accommodast, comme nous, à la coustume du lieu et au goust du temps ; qu' il se rendist complaisant à toutes les fantaisies des cavaliers et des dames ; qu' il prist aussi-tost que nous, les nouveautez qu' on nous apporte de la cour, et qui distinguent dans les provinces les honnestes gens d' avec le peuple. Pour ne rien dire de pis, ce seroit traiter bien familierement dans le commerce du langage, celuy qui d' une parole a fait le ciel et la terre ; celuy qui de tout temps a instruit et a depesché les anges, comme ses courriers et ses messagers, pour faire sçavoir au monde sa volonté. Mais quand il ne seroit que celuy qui a enseigné les patriarches, et qui a parlé par les prophetes, il me semble qu' il n' y a point d' apparence de ramener à l' eschole de la grammaire le plus vieux de tous les docteurs ; de vouloir polir et civiliser le Sainct Esprit ; d' entreprendre de reformer son stile et sa maniere d' escrire. Quand on n' auroit point de consideration pour une telle grandeur que celle de Dieu, il en faudroit avoir pour une telle vieillesse que celle de sa parole ; et reconnoistre le merite des choses anciennes, quand on ne pourroit pas comprendre la dignité des choses divines. On doit certes plus de respect à cette saincte antiquité, que de la desguiser, que de la masquer ainsi tous les jours ; que de luy faire porter toutes les marques de l' inconstance et de la legereté de la France. Les rides et la terre de son visage plaisent davantage aux yeux des sages, que nostre fard, et que nos couleurs. La bassesse de son expression vaut mieux que la magnificence de nos figures. ô rhetoricien, ô dialecticien, qui faites des paraphrases, si c' est vostre humeur que de changer à toute heure, qui vous a dit que les prophetes et les apostres soient de vostre humeur ? Ils sont ennemis des nouveautez et des modes, dont vous estes amateurs. Et ne pensez pas leur faire plaisir de leur prester si liberalement, et sans qu' ils en ayent besoin, vos epithetes et vos metaphores ; de les charger de vostre alchimie, et de vos diamans de verre, ou si vous voulez que j' en parle plus noblement, de vostre bon or, et de vos perles orientales. Ces ornemens les deshonorent : ces faveurs les desobligent. Vous pensez les parer pour la cour, et pour les jours de ceremonie, et vous les cachez comme des mariées de village, sous vos affiquets et sous vos bijous : vous les accablez de la multitude de vos richesses, ou fausses ou veritables. Vous voulez leur rendre le visage plus agreable, et vous leur ostez le cœur. Par l' addition de l' estranger et du superflu, vous effacez souvent le propre et l' essentiel. Escoutez un oracle, sorti de la bouche du cardinal Du Perron, que nous allions consulter à Bagnolet les dernieres années de sa vie. Deux choses, disoit-il, qui sont separées par tout ailleurs, se rencontrent et s' unissent dans la saincte escriture, la simplicité et la majesté. Il n' y a qu' elle seule qui sçache accorder deux characteres si differens. Mais ces characteres si differens, cette simplicité et cette majesté, se conservent dans les originaux, et non pas dans les copies. On ne les trouve que dans la langue maternelle de l' escriture, ou pour le moins dans des traductions si fideles, (la politesse de ce siecle aura de la peine à souffrir cecy) dans des traductions, dis-je, si fideles, si litterales, et qui approchent de si pres du texte hebreu, que ce soit encore de l' hebreu, en latin ou en françois. Les huiles vierges sont les veritables huiles. Le baume n' est baume que tel qu' il coule de l' arbre qui le produit : ce qui passe par les mains des distillateurs, par l' alambic des apoticaires, est quelque autre chose. Ce n' est plus cette premiere et precieuse liqueur ; ce sont des drogues sophistiquées : ce n' est plus l' ouvrage de la nature, ce sont les inventions et les changemens de l' art. Mais si faut-il adoucir ce qui est rude ; esclaircir ce qui est obscur ; desmesler ce qui est entortillé ; donner quelque liaison aux paroles pour faciliter le sens. Voilà les pretextes de messieurs les paraphrastes, qui feroient bien mieux d' employer sur un autre fonds, les soins et la culture qui ne reüssissent pas en celuy-cy. L' escriture saincte se contente de sa solidité et de sa force : qu' ils aillent porter ailleurs leur delicatesse et leur douceur ; leur proportion et leur regularité. Il n' y a rien de commun entre la musique et le tonnerre. Ce n' est pas dans ce bruit espouventable qu' on remarque des accords et des mesures : ce n' est pas aussi dans les mouvemens d' une ame agitée de Dieu, qu' il faut rechercher de l' art et de la methode. Cét ordre et cette suite si scrupuleuse sont peu dignes de la liberté de l' esprit de Dieu ; sont des marques de contrainte et de servitude, sont des chaisnes et des fers, que brise et met en pieces du premier coup cét esprit dominant et souverain : il ne s' enferme pas dans des bornes si estroites que sont celles de nostre maniere de concevoir et de dire : il n' est pas captif des regles et des preceptes. La poësie des pseaumes et des cantiques n' est pas un cours paisible, doux et naturel ; il est rapide et impetueux. Ce sont des desbordemens et des exces. L' effort et la violence ; le desordre mesme et le tumulte appartiennent à cette voix, qui arrache les cedres, et qui esbranle les fondemens des montagnes. Mais ne pensez pas que je sois tout seul de cét advis, et que je veuïlle faire passer mon chagrin dans la republique des lettres, pour une loy fondamentale de la mesme republique. Ne vous imaginez pas que j' aye dessein de donner cours à une nouvelle opinion, au desavantage de la nouveauté, et au prejudice des paraphrases. Mon opinion a esté publiée, cinquante ans avant que je fusse né, et je vous la veux montrer dans ce livre. C' estoit un livre escrit à la main, d' un des grands hommes du dernier siecle, et peut estre son propre original, qu' on avoit apporté sur la table du cabinet, pour le conferer avec les editions imprimées. Il y chercha ce passage qu' il nous leût. Hors mesme de l' enceinte des choses sainctes, et dans l' estenduë des lettres profanes, ce mesme grand homme, que nos amis de Hollande traitent quelquefois de prince, et quelquefois de heros, a esté peu favorable aux traductions si eloquentes. Et quoy que Muret l' appellast son pere ; quoy qu' il eust deffendu l' eloquence de Ciceron contre la malignité d' Erasme ; il n' estoit pas neantmoins d' advis qu' on traduisist les livres d' Aristote du stile de Ciceron. Voicy à peu pres ce qu' il en a escrit, dans une preface qui a esté sauvée du naufrage de ses autres œuvres, par un homme de ma connoissance. Je pense que je me pourray souvenir destermes.