Souvenirs d'un aveugle : voyage autour du monde/01/13b

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Texte établi par François Arago, ed. ; Jules Janin, préf., H. Lebrun (1p. 183-190).

XIII

BOURBON

Petit. — Hugues. — Esclaves.

Grave, non ; sérieux, oui. Bien des philosophes ne raisonnent pas plus sensément, qui se disent logiques et profonds quand ils ne sont que faux et creux. Bien des docteurs ne sont pas plus sensés que les deux interlocuteurs que je vais vous présenter et dont vous auriez tort de rire. Il est des livres pour toutes les intelligences, comme il est une morale pour tous les peuples. L’Europe touche à l’Asie, et pourtant il y a un monde entre les deux points les plus rapprochés de ces deux fractions de notre planète. J’ai souvent à ma droite une de ces puissances mortelles qui font marcher une époque, qui disent le coure des astres, qui annoncent leur apparition à jour fixe, à l’instant précis, qui lisent dans le grand livre de la nature comme vous et moi dans un Télémaque ; et j’ai à ma gauche une de ces cervelles épaisses qui ne comprennent rien, qui ne saisissent rien, qui acceptent le vrai avec autant de confiance que l’absurde, et qui ne seraient que médiocrement surpris que le soleil se levât aujourd’hui au couchant, dans la conviction de s’être trompés la veille. Qu’y a-t-il entre eux ? Moi, un atome, rien. N’est-ce donc pas là le monde ? Ici le génie, là le crétin ; ici l’homme qui dote son siècle d’une haute pensée, là l’homme qui donne un démenti à la grandeur divine ; ici le palmier ou le rima, là le mancenillier ou la ronce. Pour qui observe, partout des contrastes, à chaque pas un rude combat entre le bien et le mal, entre le fort et le faible, sans songer que ce qui est bien à mes pieds est mal à six mètres de distance, et que ce qui me paraît un colosse le matin est nain le soir.

En vérité, la vie est une fatigue, j’allais dire un fardeau, une dérision quand on se laisse aller à réfléchir aux soucis qu’elle donne à qui veut la comprendre et l’expliquer.

Savez-vous pourtant qui m’avait jeté dans ces graves pensées d’où il m’était impossible de m’arracher, tant j’étais pressé par elles ? Je vais vous le dire.

Il me prit envie, avant de franchir les belles rampes de M. de Labourdonnaie, de suivre vers sa source le torrent qui roule, au temps des orages, ses eaux terreuses et bouillonnantes au pied tranquille de Saint-Denis. Un matelot portait ma chambre obscure ; ce matelot, c’était Petit, mon brave et malheureux ami prêt à toute corvée utile ; vous le connaissez. Il était à ma droite : c’était l’homme de génie dans son espèce ; à ma gauche j’avais le nommé Hugues, que vous apprécierez plus tard ce qu’il vaut. Nous allions de l’avant, d’un pas assez boiteux, sur les galets roulés, et le soleil dardait sur nous ses feux croisés avec une rudesse à fatiguer notre constance. Hugues était la brute, mais une brute à double titre, parce qu’il voulait être homme supérieur : au surplus, fidèle et très-bon garçon.

— Chien de pays ! marmottait Petit entre ses dents en mâchant son énorme pincée de tabac.

— Pourquoi cela ? répliqua Hugues en clignotant comme un seigneur qui regarde un valet en pitié.

— V’là des galets ; à chaque orage, le torrent les pousse vers la mer. Il y a des millions d’années qu’on a inventé les orages ; il ne devrait donc plus y avoir de galets, et pourtant il y en a toujours autant que de blattes.

— Mais, gros bêta, les galets, la terre les fabrique comme elle fabrique les champignons ; ça pousse de même, n’est-ce pas, monsieur Arago ?

— Je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est que ces diables de galets usent terriblement mes bottes.

— Ils n’useront pas les miennes, dit Petit, qui marchait nu pieds. Dis donc, grand savant, poursuivit le matelot, et cet escogriffe de soleil qui nous brûle si fort et nous fait devenir rouges comme des écrevisses cuites, pourquoi donc qu’il ne rôtit pas les épaules sans chemise de ces pauvres noirs que nous voyons là et qui n’ont pas même un verre de vin par semaine pour se radouber ? Pourquoi ça ?

— Parce que ces gens-là ont été créés pour la chose. On leur a dit : Vous êtes noirs, donc vous serez esclaves ; et ils bèchent, et ils défrichent, et ils souffrent.

— Ça doit être ; je saisis à merveille ton raisonnement ; mais comment me feras-tu comprendre que nous marchons en ce moment la tête en bas ou à peu près, ainsi que je l’ai entendu dire ce matin sur le gaillard d’avant ? C’est diablement dur à avaler, car si ça était, la demi-bouteille de vin que j’ai là dans ma poche et que M. Arago va me permettre de boire, parce qu’elle me gêne, se viderait.

— Du tout, le ciel a voulu que la terre fût ronde, et il l’a imaginée ainsi afin qu’on pût faire le tour du monde. Si c’était plat, la chose serait impossible.

— C’est juste, pourtant. Cré coquin ! que c’est avantageux de voyager avec des savants de ce calibre-là !

Il n’est pas absolument exact de dire que c’est la paresse qui fait les hommes ignorants ; il est plus vrai de publier que c’est elle qui les maintient dans l’ignorance. Chacun de nous, soit vanité bien comprise, soit curiosité mal entendue, veut savoir. Il n’est point de petits secrets que nous ne cherchions à pénétrer ; il n’en est pas de grands que nous n’ayons eu la prétention de découvrir sans secours étrangers, et nous nous donnons mille fois plus de peine pour nous blottir dans l’erreur ou le mensonge que nous n’en aurions eu à accepter la vérité. Désapprendre est chose si difficile, qu’il vaut mieux tout ignorer que de trop savoir, alors que ce que l’on a appris est faux. Celui qui ne sait rien peut-être un esprit sans intelligence ; celui qui a tout admis est à coup sûr un esprit de travers. Un bâton crochu ne se redresse pas aisément.

Si j’avais laissé faire le moraliste Hugues, devenu, quelques jours après, mon domestique, il eût changé la nature simple et primitive du brave Petit, qui aurait été transformé en sot, de candide qu’il était toujours resté ; car Hugues, dans son incommensurable orgueil, lui inculquait les hérésies les plus ridicules et lui dévoilait même, je crois, les secrets de la digestion. Hugues était à la fois savant, moraliste, philosophe, astronome et médecin : il se croyait tout, puisqu’il n’était rien. Moins je parlais, plus l’impertinent élevait la voix ; plus j’écoutais, plus il devenait loquace. Il tenait à briller dans cette première entrevue et ne faisait que brailler. De son côté, le docile élève se disait en lui-mème : « Puisque M. Arago ne répond pas, c’est que M. Hugues a raison. » Avant d’arriver au but de notre course, le professeur s’était si puissamment emparé de son disciple, que celui-ci lui jetait à la face le mot de monsieur gros comme le bras : c’était à fouetter le pédagogue.

La large et sinueuse vallée que creuse le torrent se rétrécissait petit à petit vers sa source, et à droite surtout les montagnes prenaient un aspect grandiose. On voyait à leurs déchirements que l’influence des volcans se faisait sentir jusqu’ici ; on trouvait çà et là, loin de la cime où ils avaient longtemps plané, des blocs immenses de roches détachées par les violentes secousses des feux souterrains ; et Hugues, que ces bouleversements terribles n’étonnaient que faiblement, disait au pauvre matelot ébahi les éruptions autrement chaudes des volcans de la lune, qui nous envoient si fréquemment leurs rapides et dangereux aérolithes ; pour lui le fait était avéré. Petit n’en revenait pas, et Hugues triomphant lui expliqua la cause première et certaine des commotions volcaniques ; il pénétra dans le fond des eaux et en arracha le secret toujours caché des terribles raz-de-marée qui ont brisé tant de navires ; il prouva d’une manière victorieuse que les étoiles de l’hémisphère austral devaient être plus brillantes que celles de l’hémisphère boréal. Tout ce que la science ignore, tous les phénomènes météorologiques qui tiennent encore en suspens les hommes les plus avancés dans la géologie ou l’astronomie furent mis au jour avec cette lucidité que vous avez déjà appréciée ; de telle sorte que le pauvre Petit, vaincu par tant de bonnes raisons, fut prêt à changer de nature et à devenir Hugues comme mon voisin de gauche. Petit garda quelque temps le silence de la réflexion, qui dit l’irrésolution de l’esprit ; et, le rompant enfin, plutôt comme pour me prouver qu’il avait compris :

— Savez-vous bien, monsieur Arago, me dit-il, que la science est une bonne chose ?

Avant de répondre au crédule Petit, j’ordonnai une halte sous une charmante touffe de palmistes, au bord d’un admirable champ de cannes à sucre, à l’extrémité duquel pointaient les cases, basses et fétides, des noirs de l’habitation. D’abord Petit se tint debout par respect, moins pour moi, son supérieur, que pour Hugues, son égal ; je l’invitai à s’asseoir à mon côté.

— Allons, mon brave, assez de science comme cela ; mange un morceau maintenant.

— C’est drôle, je n’ai presque plus faim ; ce coquin-là m’a brouillé la cervelle.

— Pourquoi donc ?

— Il m’a appris des choses si savantes !

— Que t’a-t-il appris ?

— D’abord, que la terre était ronde, parce que si elle ne l’était pas, nul ne pourrait faire le tour du monde. J’ai compris ça du premier coup, ça est clair comme bonjour, et je n’y aurais pas pensé sans monsieur. (Petit ôta son chapeau.)

— Hugues se pavanait.

— Et si je te dis, moi, que celui que tu admires tant et qui te prive de ton appétit quotidien ne t’a débité que des sottises ?

— Si vous me prouvez ça, monsieur Arago, je vous jure, foi de Petit, que ce gredin-là ne donnera plus de leçons à personne.

— Je ne prétends pas que ton ressentiment aille si loin, mon brave ; mais en attendant, tâche d’oublier les sornettes que tu as entendues ; reste excellent matelot comme par le passé et ne sors pas du cercle que le destin a tracé autour de toi ; fais trêve à tes idées d’ambition si peu en harmonie avec tes fatigues de gabier, et bois ce verre de vin à la santé de ton ami Marchais.

— À sa santé… mais, foi d’homme, ça me fait plus de bien qu’à lui.

— Et vous, Hugues, je vous conseille de ne plus prêcher vos sottises à ces braves gens, vous vous attireriez de mauvaises affaires, et si vous savez lire, ce dont je ne doute pas, lisez-leur sur le gaillard d’avant les livres que je vous prêterai pour abréger les ennuis et la longueur du quart.

— Cependant, monsieur, ce que j’ai dit à Petit, je l’ai appris dans plusieurs ouvrages.

— Si vous aviez fait un meilleur choix, vous auriez la tête plus creuse et par conséquent moins lourde. En morale, rien ne pèse comme le vide ; croyez-moi, changez de vocation ou plutôt de nature, redevenez ignorant, quelque effort qu’il vous en coûte.

Hugues se tut ; Petit mordit avec une double joie dans une belle carcasse de dinde qu’il serrait de ses doigts goudronnés, et de temps à autre il me disait assez à voix basse pour être entendu du pauvre Hugues :

— Étais-je bête de croire que les galets poussaient comme des champignons ! Tenez, j’aime cent fois mieux avaler ce blanc de volatile et ce verre de vin que toutes les bêtises qu’il me débitait… J’aplatirai cet homme.

Hugues mangeait et ne parlait plus, l’aspect des mains calleuses du matelot lui avait serré le gosier et arrêté tout net ses élans de professorat. Après ce léger repas assaisonné par un appétit de piéton épuisé, je pris congé de mes deux camarades de route et je me dirigeai vers les cases des noirs que j’avais aperçues en arrivant à notre halte. Non loin, assise sur le sommet d’un monticule à pente douce, se développait gracieusement à l’œil une charmante habitation avec ses varangues où l’air se joue si pur et si bienfaisant, sa fraîche terrasse, ses volets verts et ses gracieuses plantations de bannaniers et de manguiers autour.

Ici, comme à l’Île-de-France, l’hospitalité devait être une douce pratique de chaque jour ; je résolus donc de pousser jusque-là et de visiter les maîtres avant les esclaves. Je ne suis pas fier.

L’accueil tout amical que je reçus me rappela Maurice, et l’on voulut à peine entendre mon nom. Cependant, après les premières politesses d’usage, je dis qui j’étais, et l’heureux hasard qui m’avait amené si loin dans ma promenade d’explorateur. Je sollicitai la permission de visiter l’espèce de camp où reposaient les noirs, et le planteur m’offrit le bras avec une courtoisie franche et empressée. Deux esclaves étaient au bloc, le pied droit et la main gauche dans le même anneau scellé à une grosse pierre au soleil ; je demandai grâce pour eux, elle me fut accordée à l’instant même, et je remerciai plus vivement encore le maître que ne me témoignèrent de gratitude les nègres amnistiés.

— Pourquoi donc des cases si basses, si fétides et si peu aérées ? dis-je au colon. Ne craignez-vous pas que cette lourde atmosphère ne pèse trop fort sur les poitrines déjà haletantes de vos noirs ?

— Mais quand nous les leur donnons, elles sont propres et saines. Ces gens-là, voyez-vous, aiment à se séquestrer du monde ; il leur faut une niche, un trou ; plus ils sont serrés, plus ils se croient libres, et cette forte odeur dont vous accusez notre insouciance, c’est celle qui s’exhale de leur corps. Ils la concentrent dans ces sortes de cages, ils se blottissent là comme dans les huttes des pays d’où on les a tirés ; et qui sait si dans leurs rêves de chaque nuit ils ne retrouvent pas leurs steppes, leurs déserts et leur liberté !

— Ne le leur avez-vous donc jamais demandé ?

— Non, non. Nous ne leur parlons que de farine de manioc, parce que nous ne les nourrissons que de cela, et nous leur disons quelques mots du fouet, parce qu’ils ne travaillent que dans la crainte des châtiments. Ce qu’il nous faudrait, à nous, planteurs, c’est qu’ils n’eussent pas une seule idée dans la tête. Tenez, en voici un qui passe près de nous en nous saluant avec une sorte de fierté que n’ont pas ses camarades. Eh bien ! c’est le plus dangereux coquin de mon habitation ; il improvise des chansons d’indépendance, il s’est déjà sauvé quatre fois, et je suis sûr qu’il médite une fuite prochaine.

— Avez-vous tenté de le soumettre par la douceur ?

— Dieu m’en garde ! je lui parle toujours le fouet à la main, afin qu’il ne me réponde pas avec le couteau. Si je faiblissais, il deviendrait redoutable.

— En ce cas, il faudrait mieux l’affranchir.

— C’est ce que j’eusse fait si j’avais pu le renvoyer à Angole, sa patrie. Remarquez comme les autres noirs s’approchent de lui avec empressement et respect : c’est qu’il va chanter.

— Une chanson d’Angole ?

— Je vous l’ai dit, une improvisation.

— Se taira-t-il si nous approchons de lui ?

— Il feindra de ne pas nous voir, voilà tout.

— Essayons.

Le noir fit d’abord un conte assez long à son auditoire attentif, puis d’une voix gutturale et sur un air qui n’avait que trois notes il psalmodia les paroles suivantes en mauvais créole assez passablement rimé.

Angole est mon pays,
Hi ! hi !
Mes pères et sœurs sont là
Ah ! ah !
Un beau jour je tuerai,
Eh ! eh !
Et j’y serai bientôt
Oh ! oh !
Moi, fatigué de labourer la terre.
Moi, fatigué de recevoir des coups,
Je ne veux pas attendre davantage,
Et quand mes frères auront autant de cœur que moi.
Je ne veux pas achever ma chanson,
Car maître est là qui m’écoute.
Et quand l’étranger sera parti,
Avec bon maître qui nous frappe si fort.
Moi vous dirai, mes camarades,
Ce qu’il faut faire pour ne plus être esclaves.

— Vous entendez ce misérable, dit le planteur en m’entraînant ; si les autres avaient autant d’énergie que lui, mon habitation serait bientôt au pillage.

— Cela a donc une âme ?

— La conséquence n’est pas juste.

— S’il souffre plus que les autres, il faut qu’il fasse plus aussi.

— Vous ne comprenez rien à l’éducation à donner aux noirs.

— Je comprends, au moins, qu’on brise les chaînes alors qu’elles sont trop lourdes. Ne l’oubliez pas, monsieur, le fer de l’esclave a deux bouts, il pèse par conséquent aussi à la main qui conduit. Ou l’émancipation, ou un code protecteur des noirs : le Brésil m’a dégoûté à tout jamais de la traite.

— Allons, allons, nous reverrons l’Europe, nous irons respirer son doux parfum de liberté… Ah ! pauvres libres que vous êtes !

Ma bouche resta close aux dernières paroles du colon, et mes yeux se baissèrent à son regard.

— Voici du monde qui nous est arrivé, poursuivit-il rapidement comme pour changer la conversation, vous m’avez porté bonheur.

Je trouvai, en effet, assis sous la large varangue à sveltes coloniles vertes, MM. Achille Bédier et Toussaint Boudin, pour qui j’avais reçu de M. Pitot des lettres de recommandation et qui eurent bien de la peine, me dirent-ils, à me pardonner ma discrétion européenne. Puis entrèrent d’un pas triste et grave trois fort belles personnes, madame D… et ses filles, dont le nom se rattache à la plus affreuse catastrophe qui ait jamais frappé une ville. C’est chez le mari de madame D…, avocat de probité et de talent, que le feu éclata d’abord, pour consumer en quelques heures les plus magnifiques quartiers du Port-Louis et qui réduisit à la misère tant de riches négociants. Victime lui-même du terrible fléau qui dévasta une colonie, M. D… vint s’établir à Bourbon, où il est considéré comme citoyen et comme homme de mérite.

Cependant le soleil penchait vers l’horizon et je songeai à la retraite, malgré les pressantes instances du planteur, qui me força d’accepter un palanquin. Déjà je disais adieu à ces hôtes si hospitaliers, quand nous vîmes accourir en toute hâte plusieurs noirs qui nous apprirent que, non loin de là, deux blancs se battaient à grands coups de poing. Nous doublâmes le pas et nous trouvâmes étendu sur l’herbe et fort rudement meurtri le professeur Hugues.

— Comment ! dis-je d’un ton sévère à Petit, vous vous êtes battus ?

— Non, monsieur, je l’ai battu.

— Et pourquoi ?

— Dame ! il m’a dit que vous étiez un sot et m’a toujours soutenu, malgré vous, que les galets poussaient comme des champignons ; alors…

— Mais, misérable, il ne fallait pas l’assommer !

— Je n’y ai touché que du pouce ; ça n’a pas pour deux liards d’énergie… quel fahi-chien !

— Comment partirons-nous d’ici ?

— C’est facile, allons-nous-en tous deux, laissons-le se reposer, et demain matin je viendrai le chercher, il sera tout radoubé.

— Oh ! qu’à cela ne tienne, dit le planteur, je vais vous donner un second palanquin et des noirs.

Hugues y fut dorloté comme un prince oriental ; mais Petit, furieux d’aller à pied quand son docte ennemi était doucement voituré, marmottait tout bas : Laisse faire, laisse faire, va, je te promets de te recommander à Marchais, et je te réponds que si tu cherches à lui faire avaler que les galets poussent comme des champignons, il te démontrera d’un seul geste comment on aplatit un requin sous une caronade avant de le mettre à la poêle.

Décidément, malgré ma vive amitié pour Petit, je sens qu’il faudra à l’avenir se priver de sa conversation par trop énergique. Hélas ! en aurai-je le courage ? on s’attache par les bienfaits.