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Et cependant, en dépit de ces interdictions et de ces contraintes, les maîtres qui ont accepté franchement les conditions du genre ont su tirer de sa pauvreté apparente une richesse infinie de combinaisons. Ce domaine de l’indéterminé, où la symphonie est confinée, ils l’ont trouvé assez vaste pour ne jamais songer à en franchir les limites. Nous sommes ici-bas entourés de mystères et d’interrogations qui nous pressent, et la vie, la mort, nos aspirations, nos douleurs, sont autant d’énigmes auxquelles nous ne pouvons de nous-mêmes trouver une réponse. A toutes ces questions qui se dressent devant nous, la musique prête un langage à la fois vague et puissant, comme les sentimens qu’elles éveillent dans nos âmes. Bien différente de l’architecture à laquelle on l’a souvent comparée, elle n’édifie que dans le vide, avec des matériaux impondérables et invisibles, des monumens qui n’ont même pas un semblant de fixité, puisque ses formes sont successives et mobiles. Par les élémens qu’elle emploie, par son inutilité pratique, elle est le plus idéal de tous les arts et cependant celui qui agit le plus fortement sur notre organisme. Elle sollicite, en effet, elle s’assure en nous la complicité de nos sensations et la collaboration de notre esprit. C’est comme un échange d’idées continu par lequel elle nous tient en communication avec l’auteur. Outre la satisfaction de pressentir parfois où il nous mène, elle nous réserve le plaisir supérieur encore de trouver les solutions qu’il imagine plus belles que nos prévisions. Le charme des rentrées qui ramènent d’une manière inattendue un motif déjà connu, les retards ou les facilités apportés à ces retours d’un thème dont les formes imitatives nous ont déjà présenté des acceptions diverses, les modifications que le rythme, la tonalité ou l’instrumentation lui font subir, les contrastes que ce thème peut offrir avec d’autres motifs accessoires, bien d’autres élémens encore concourent à l’inépuisable variété du langage musical. De la plus simple donnée, l’artiste de génie tire des effets puissans et imprévus. Chez lui, l’invention de l’idée et son élaboration s’appellent, se complètent mutuellement, et la forme qu’il donne à cette idée est d’autant plus parfaite qu’elle peut moins en être séparée et qu’elle constitue avec elle un tout indissoluble. De toutes ces voix réunies de l’orchestre, avec leurs timbres différens, leur signification particulière, il fait comme la voix d’un seul être qui chante sa pensée, et, par les aspects nuancés qu’il nous en offre, nous oblige à nous y intéresser et la fait pénétrer profondément en nous.

Dans ces créations où la fantaisie semble se jouer si librement, une volonté intelligente a prescrit avec soin le plan de l’ensemble et les proportions des parties, réglé tous les moyens en vue de