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« Les Plateaux de la balance/Le Sphinx » : différence entre les versions

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Version du 30 septembre 2011 à 17:07

Texte établi par Perrin et CiePerrin et C.ie Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 211-215).

grise, semble jeter sur toutes choses un manteau gris. Les hommes se ressemblent beaucoup en apparence. Le costume établit une dissemblance artificielle, l’usage en établit une autre, la timidité en établit une autre, la dissimulation en établit une autre, l’ignorance en établit une autre : on vit sur des apparences.

Une multitude innombrable de voiles cache les réalités. Les hommes ne disent pas leurs secrets, ils gardent leur uniforme.

L’homme qui verrait de sa fenêtre une rue très populeuse serait épouvanté, s’il réfléchissait aux réalités magnifiques ou affreuses qui passent devant lui, sans dire leur nom, déguisées, couvertes, dissimulées profondément, semblables les unes aux autres, si l’apparence est seule consultée. Mais son épouvante augmenterait, si ce spectateur intelligent d’une foule qui ne parle pas se disait : Ma vie dépend peut-être d’un des hommes qui passent ici, sous mes yeux : peut-être un homme que j’attends, peut-être un homme qui m’attend est là, devant ma porte. Mais il y a beaucoup d’hommes devant ma porte : si celui dont je parle se trouve ici, à quel signe le reconnaître ?

L’histoire de la vérité et l’histoire de l’erreur sont remplies toutes deux de rencontres, et d’événements qui semblent fortuits.

Le spectacle des choses qu’il faut deviner et qu’on ne devine pas a conduit l’antiquité sur le bord d’un abîme, et l’abîme a attiré sa proie. Cet abîme, c’est la fatalité.

Le spectateur dont je parlais tout à l’heure, celui qui voit passer les hommes, et se demande vaguement si l’homme qu’il cherche est au milieu d’eux, est sur la route de l’anxiété et du désespoir, s’il est livré à lui-même.

La vie privée des hommes, la vie publique des nations, l’instinct secret, la littérature, le roman, l’histoire, le souvenir du passé, les besoins du présent, l’attente de l’avenir, tout avertit l’homme qu’il peut avoir besoin de deviner, et il n’y a pas de règle pour bien deviner.

De là le sphinx.

Si la fatalité était vraie, toutes les questions seraient insolubles, et l’unique réponse qui leur conviendrait à toutes serait le désespoir.

Mais, en général, les questions qui semblent appeler une réponse désespérante sont des questions mal posées, et les réponses désespérantes sont souvent aussi superficielles qu’elles semblent profondes.

La vie est pleine d’obscurités et bien heureux celui qui devine !

Cependant il n’existe pas, pour deviner, un procédé connu comme pour faire une règle d’arithmétique.

Il y a souvent en ce monde une inconnue à dégager, un X, un grand X qui défie les ressources de l’algèbre.

Le sphinx antique voulait qu’il n’y eût pas de réponse.

Il y a une réponse, et nous pouvons tuer le sphinx.

Comment faire pour deviner ?

Un pauvre approche et demande l’hospitalité ?

Si c’était l’ange du Seigneur !

Mais aussi si c’était un assassin !

Comment faire pour deviner ? Faut-il faire un effort de pensée, un acte étonnant d’intelligence ?

Non, voici le secret.

Deviner, c’est aimer.

Demandez à tous ceux qui ont deviné comment ils ont fait, ils ont aimé, voilà tout.

L’intelligence, livrée à elle seule, s’embarque dans un océan de pensées. Le problème de la vie se dresse devant elle, et si l’aiguille aimantée a perdu la science du nord, si la boussole est affolée, l’intelligence peut très facilement parvenir, en pratique, au doute ; en théorie, à la fatalité.

L’amour sait mieux son chemin. Il arrive en pratique, à la lumière ; en théorie, à la justice.

Voici une vérité admirable : cette récompense décernée à qui devine, refusée à qui ne devine pas, récompense qui scandalisait tout à l’heure l’intelligence égarée du spectateur que je supposais à sa fenêtre cherchant quelqu’un, cette récompense, décernée ou refusée, contient une suprême justice, une justice supérieure à la justice qui dit ses règles.

Celui qui devine est récompensé, parce que celui qui devine est celui qui aime.

Celui qui ne devine pas n’est pas récompensé, parce que celui qui ne devine pas est celui qui n’aime pas.

Celui qui aime la grandeur et qui aime l’abandonné, quand il passera à côté de l’abandonné, reconnaître la grandeur, si la gradeur est là.

Celui qui passe à côté de l’homme qui a besoin, reconnaîtra le besoin s’il aime l’homme près de qui il passe. Celui qui passe près de l’homme dont il a besoin, reconnaîtra celui qu’il cherchait, s’il l’aime assez pour ne pas lui envier la place qu’il occupe, la place de celui qui donne et de celui qui pardonne.




LE COMIQUE



Parmi les phénomènes les plus bizarres et les moins étudiés de la nature humaine, il faut compter le rire. Le rire est inconnu dans sa cause, bizarre dans ses effets. Ce n'est pas au point de vue physiologique, mais au point de vue littéraire que je vais le regarder aujourd'hui.

Dans le temps où l’on divisait en genres les manifestations de la parodie et de l'art. on avait inventé le genre comique. L'association de ces deux mots est assez bonne pour faire comprendre la nature des pédants; mais, sans parler du genre comique, parlons du comique. Qu'est-ce que ce mot veut dire ?

Il y a une manière d'avoir de l'esprit (je prends ce dernier mot dans le sens le plus bas qu'il puisse avoir), il y a une manière d’avoir de l'esprit qui consiste à rapprocher inopinément deux idées qui ne semblent pas s’appeler l’une l’autre. C’est une aptitude à découvrir les rapports apparents, extérieurs, superficiels des choses entre elles. C’est assez bien là ce qu'on appelle quelquefois l'esprit français. M. Scribe possédait cet esprit-là : ses vaudevilles en fournissent de nombreux