« Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/954 » : différence entre les versions
→Page non corrigée : Page créée avec « 950 REVUE DES DEUX MONDES. bourgeoise, en rejetant toutefois les Cadets. Les autres, avec M. Tchernoff, signifiaient catégoriquement, brutalement : « Pas de conciliat... » |
|||
État de la page (Qualité des pages) | État de la page (Qualité des pages) | ||
- | + | Page corrigée | |
Contenu (par transclusion) : | Contenu (par transclusion) : | ||
Ligne 1 : | Ligne 1 : | ||
bourgeoise, en rejetant toutefois les Cadets. Les autres, avec M. Tchernoff, signifiaient catégoriquement, brutalement : « Pas de conciliation, pas de collaboration : tous les pouvoirs et tout le pouvoir aux Soviets. » Le duel de Korniloff et de Kerensky, qu’il ait été ou non un combat simulé, découvrait soudain les vrais adversaires : d’un côté, Kerensky, une patrie, une nation, un État, un gouvernement, une discipline, un ordre; au moins, un désir de tout cela, une aspiration à tout cela; de l’autre côté, Tchernoff, le partage des terres, l’autonomie des régions, l’anarchie, rien, personne, ''nitchevo''. |
|||
950 REVUE DES DEUX MONDES. |
|||
Naturellement, Kerensky, étant venu à la Conférence démocratique, y a parlé. Naturellement, il a été très éloquent et très habile, faisant de son discours deux parts : dans l’une, il a parlé comme chef du gouvernement provisoire ; dans l’autre, de beaucoup la plus longue, en son propre nom, comme pour un fait personnel. On devine avec quelle énergie il s’est obstiné à se disculper de tout grief d’avoir plus ou moins trempé dans l’aventure de Korniloff. Sur ce point particulier, soit qu’il y eût parti pris de l’auditoire, soit que l’évidence ne fût pas éclatante ou que certains faits fussent indéniables, quoi qu’il en soit, on dit, — et ce sont les récits contrôlés par la censure russe qui le disent, — que tout ce morceau, le gros morceau, a été froidement accueilli. |
|||
bourgeoise, en rejetant toutefois les Cadets. Les autres, avec M. Tchernoff, |
|||
signifiaient catégoriquement, brutalement : « Pas de conciliation, |
|||
pas de collaboration : tous les pouvoirs et tout le pouvoir aux |
|||
Soviets. » Le duel de Kornilofî et de Kerensky, qu’il ait été ou non |
|||
un combat simulé, découvrait soudain les vrais adversaires : d’un |
|||
côté, Kerensky, une patrie, une nation, un État, un gouvernement, |
|||
une discipline, un ordre; au moins, un désir de tout cela, une aspiration |
|||
à tout cela; de l’autre côté, Tchernoff, le partage des terres, |
|||
l’autonomie des régions, l’anarchie, rien, personne, nitckevo. |
|||
Naturellement, Kerensky, étant venu à la Conférence démocratique, |
|||
y a parlé. Naturellement, il a été très éloquent et très habile, |
|||
faisant de son discours deux parts : dans l’une, il a parlé comme chef |
|||
du gouvernement provisoire ; dans l’autre, de beaucoup la plus |
|||
longue, en son propre nom, comme pour un fait personnel. On devine |
|||
avec quelle énergie il s’est obstiné à se disculper de tout grief |
|||
d’avoir plus ou moins trempé dans l’aventure de Kornilofî. Sur ce |
|||
point particulier, soit qu’il y eût parti pris de l’auditoire, soit que |
|||
l’évidence ne fût pas éclatante ou que certains faits fussent indéniables, |
|||
quoi qu’il en soit, on dit,— et ce sont les récits contrôlés par |
|||
la censure russe qui le disent, - que tout ce morceau, le gros morceau, |
|||
a été froidement accueilli. |
|||
Kerensky, alors, a joué le grand jeu. Il a exercé sa maîtrise. C’est un charmeur et un dominateur de foules, c’est un chanteur d’assemblées populaires, tel peut-être que nous n’en aurions, cher nous, qu’un seul à lui comparer. Il saisit au vol une interruption ; comme il venait de dénoncer le refus, par les troupes de terre et de mer, en Finlande, de prêter main-forte aux décrets du gouvernement : « Elles ont bien fait ! » a crié quelqu’un. Et Kerensky : « Ah ! elles ont bien fait ! Voilà ce qu’on ose dire, à l’heure même (tirant de sa poche une dépêche) où la flotte ennemie entre dans le golfe de Finlande ! » Du coup, la salle fut soulevée, retournée, et Kerensky, orateur, compta une victoire de plus. Il est coutumier de ces mouvemens et de ces triomphes. Déjà, à l’Assemblée nationale de Moscou, il avait magistralement usé du même moyen, dont un journaliste français, qui ne lui veut point de mal, écrit que « les plus vieux et les plus madrés de nos avocats d’assises ne l’eussent pas désavoué. » Kerensky avait exposé pourquoi, par quelle nécessité, par quelle fatalité, il avait été contraint à consentir au rétablissement de la peine de mort dans le code militaire. Ses amis l’applaudissent. Aussitôt, il les apostrophe : « Comment peut-on applaudir quand il s’agit de la peine de mort ! |
|||
Kerensky, alors, a joué le grand jeu. Il a exercé sa maîtrise. |
|||
C’est un charmeur et un dominateur de foules, c’est un chanteur |
|||
d’assemblées populaires, tel peut-être que nous n’en aurions, chez |
|||
nous, qu’un seul à lui comparer. Il saisit au vol une interruption ; |
|||
comme il venait de dénoncer le refus, par les troupes de terre et de |
|||
mer, en Finlande, de prêter main- forte aux décrets du gouvernement : |
|||
« EUes ont bien fait ! » a crié quelqu’un. Et Kerensky : « Ah ! elles |
|||
ont bien fait ! Voilà ce qu’on ose dire, à l’heure même (tirant de sa |
|||
poche une dépêche) où la flotte ennemie entre dans le golfe de Finlande ! |
|||
» Du coup, la salle fut soulevée, retournée, et Kerensky, orateur, |
|||
compta une victoire de plus. Il est coutumier de ces mouvemens |
|||
et de ces triomphes. Déjà, à l’Assemblée nationale de Moscou, il avait |
|||
magistralement usé du même moyen, dont un journaUste français, |
|||
qui ne lui veut point de mal, écrit que « les plus vieux et les plus |
|||
madrés de nos avocats d’assises ne l’eussent pas désavoué. » Kerensky |
|||
avait exposé pourquoi, par quelle nécessité, par quelle fataUté, il avait |
|||
été contraint à consentir au rétablissement de la peine de mort dans |
|||
le code mih taire. Ses amis l’applaudissent. Aussitôt, il les apostrophe : |
|||
a Comment peut-on japplaudir quand il s’agit de la peine de mort! |
Version du 2 mai 2015 à 05:09
bourgeoise, en rejetant toutefois les Cadets. Les autres, avec M. Tchernoff, signifiaient catégoriquement, brutalement : « Pas de conciliation, pas de collaboration : tous les pouvoirs et tout le pouvoir aux Soviets. » Le duel de Korniloff et de Kerensky, qu’il ait été ou non un combat simulé, découvrait soudain les vrais adversaires : d’un côté, Kerensky, une patrie, une nation, un État, un gouvernement, une discipline, un ordre; au moins, un désir de tout cela, une aspiration à tout cela; de l’autre côté, Tchernoff, le partage des terres, l’autonomie des régions, l’anarchie, rien, personne, nitchevo.
Naturellement, Kerensky, étant venu à la Conférence démocratique, y a parlé. Naturellement, il a été très éloquent et très habile, faisant de son discours deux parts : dans l’une, il a parlé comme chef du gouvernement provisoire ; dans l’autre, de beaucoup la plus longue, en son propre nom, comme pour un fait personnel. On devine avec quelle énergie il s’est obstiné à se disculper de tout grief d’avoir plus ou moins trempé dans l’aventure de Korniloff. Sur ce point particulier, soit qu’il y eût parti pris de l’auditoire, soit que l’évidence ne fût pas éclatante ou que certains faits fussent indéniables, quoi qu’il en soit, on dit, — et ce sont les récits contrôlés par la censure russe qui le disent, — que tout ce morceau, le gros morceau, a été froidement accueilli.
Kerensky, alors, a joué le grand jeu. Il a exercé sa maîtrise. C’est un charmeur et un dominateur de foules, c’est un chanteur d’assemblées populaires, tel peut-être que nous n’en aurions, cher nous, qu’un seul à lui comparer. Il saisit au vol une interruption ; comme il venait de dénoncer le refus, par les troupes de terre et de mer, en Finlande, de prêter main-forte aux décrets du gouvernement : « Elles ont bien fait ! » a crié quelqu’un. Et Kerensky : « Ah ! elles ont bien fait ! Voilà ce qu’on ose dire, à l’heure même (tirant de sa poche une dépêche) où la flotte ennemie entre dans le golfe de Finlande ! » Du coup, la salle fut soulevée, retournée, et Kerensky, orateur, compta une victoire de plus. Il est coutumier de ces mouvemens et de ces triomphes. Déjà, à l’Assemblée nationale de Moscou, il avait magistralement usé du même moyen, dont un journaliste français, qui ne lui veut point de mal, écrit que « les plus vieux et les plus madrés de nos avocats d’assises ne l’eussent pas désavoué. » Kerensky avait exposé pourquoi, par quelle nécessité, par quelle fatalité, il avait été contraint à consentir au rétablissement de la peine de mort dans le code militaire. Ses amis l’applaudissent. Aussitôt, il les apostrophe : « Comment peut-on applaudir quand il s’agit de la peine de mort !