Système des Beaux-Arts/Livre deuxième/2

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Gallimard (p. 54-56).

CHAPITRE II

DE L’ART EQUESTRE
ET DE QUELQUES AUTRES

Il y a deux parties dans l’art équestre ; une d’utilité, qui vise à conduire la bête, à prévoir ses mouvements et à en garder la direction ; l’autre est de spectacle, aussi bien pour le cavalier. Et cette partie de l’art n’est pas vaine ; ce n’est pas peu de chose que de se sentir assuré, ce qui s’obtient par des jeux et exercices où l’on se plaît à changer l’animal aussi aisément que l’on change son propre corps. Et il n’y a certainement point d’action où les mouvements de l’instinct soient plus directement et continuellement menaçants, puisqu’ils dépendent des sursauts d’un animal puissant et maladroit. Ainsi l’animalité est à la fois séparée de l’homme et jointe étroitement à l’homme, ce qui propose la plus juste image de la volonté et des passions. Avec ce secours pourtant que l’animalité est d’abord sentie comme extérieure, sans cette préparation humiliante qui subordonne tous nos mouvements à une peur intime. Aussi l’improvisation est le propre de cet art, et la grâce y est toujours jointe à la surprise. Il y a donc un plaisir du dresseur, qui est esthétique. Et il y a aussi un plaisir du même genre pour le spectateur, pourvu qu’il soit averti ; autrement il ne connaîtrait ni la difficulté ni le danger de l’action, et il y verrait quelque chose d’artificiel et de laid. Il faut remarquer ici que la vraie élégance, qui est puissance, mais cachée, semble souvent gauche et laide au premier regard. Il s’en faut de beaucoup que l’œil saisisse aussitôt la liaison du cavalier à la bête. En tout art il y a ainsi un petit effort qu’il faut faire contre la première impression. La même difficulté se retrouvera dans la mimique et dans les danses étudiées, où il arrive que l’on reçoive d’abord une impression pénible. Et cela est propre à cette espèce d’art qui n’est spectacle que par accident, et où l’homme qui danse ou agit est le meilleur juge ; aussi ne faut-il jamais juger de la danse si on ne danse soi-même. Ce genre d’art a pour objet le corps humain, et pour spectateur celui-là même qui danse ou s’exerce.

Cette remarque s’applique à l’art de l’escrime, où l’on discerne aisément l’utile et le beau, quoiqu’ils doivent s’accorder finalement. Il est connu que la meilleure position d’escrimeur, j’entends la plus favorable au départ vif, à la parade, à la feinte a quelque chose de pénible pour le spectateur non éduqué. Il y a donc un art de plaire qui n’est pas l’art véritable, et une escrime de théâtre pour tout dire. Ainsi il y a une ambiguïté au sujet du naturel. Le naturel est changé par l’opinion vulgaire, je veux dire par ce genre de spectacle qui n’est pas confirmé par l’œuvre ; et tel est l’art du comédien, le plus flatteur, le plus facile, le plus faux, et qui veut régir tous les autres. Ainsi le dessin du faucheur, je dis le vrai et beau dessin, n’est pas toujours celui qui plaira au premier instant. On peut prendre pour conventionnelle l’attitude de l’escrimeur et celle du cavalier, comme aussi la pose du cheval, si l’on n’a pas assez regardé, et surtout si l’on n’a joué cette mimique soi-même. Mais distinguons ici deux mimiques, celle qui fait quelque chose, et celle qui ne fait rien qu’exprimer. Le dernier juge c’est la passion, qui doit être vaincue. Ainsi l’amour doit être apaisé après la danse, et la colère après l’escrime, et la peur après l’équitation. Ce qui tait bien voir que l’art n’exprime pas du tout les passions, mais les passions vaincues. Le beau a deux aspects, la puissance et la paix. Le beau cheval n’est fougueux qu’assez pour que la maîtrise se montre ; un peu de plus et l’art du cavalier périt. Il reste à savoir ce qui subsiste de l’art du peintre, soit qu’il copie un modèle ou l’autre.