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Système des Beaux-Arts/Livre deuxième/6

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 65-68).

CHAPITRE VI

DU COSTUME

Il est assez clair que le costume change les attitudes et les mouvements, toujours en les réglant et modérant. Cela est visible surtout dans les costumes d’apparat ; il suffit de citer les chapes, les manteaux de couronnement et l’ancien hausse-col des militaires. Le costume de religion vise à donner au corps l’immobilité sans contracture, ce qui se connaît principalement aux épaules, aux bras, à la tête ; la chape s’oppose à ces mouvements de tête en arrière, qui déplacent l’attention et permettent l’arrogance ; chacun comprend que la démarche et les moindres gestes dépendent de ces conditions imposées à la tête, aux épaules, aux bras. Observez que la messe diffère des vêpres ; l’officiant de la messe a plus de carrure, plus de mouvement et plus d’autorité ; c’est la prière du matin continuée. Les vêpres sont déjà prière du soir, retour sur soi, méditation vers soi et vers la terre, préparation au repos. Il y a certes un art de porter le costume ; mais le costume aussi porte l’homme.

Le manteau de cour, surtout royal, permet plus d’autorité, et une majesté plus active. Mais ici encore les mouvements brusques sont rendus impossibles, par ces draperies compliquées, lourdes, par cette queue et la suite des porteurs de queue. Un page est vêtu autrement ; son rôle est dans le simple, le vif, le silencieux. Il suffit d’indiquer, pour le militaire, que les costumes de tradition visent à le redresser, ce qui exclut la peur et la fuite ; et c’est assez de voir le costume guerrier de ces temps-ci pour comparer une guerre à l’autre. Encore est-il que le casque donne une assurance, et ramène les yeux à la terre. Pour terminer sur le costume masculin, disons que les parties qui importent sont la coiffure et le col, qui règlent les mouvements et le port de la tête ; les manches qui écartent ou rassemblent les épaules, en délivrant les bras plus ou moins ; la ceinture enfin, qui importe tant pour les pensées d’estomac ; on voudrait dessiner ici un homme qui respire du ventre, et le même homme, serré au ventre et respirant des épaules ; ce sont deux rôles, et de bonne foi. Nous dirons que le siège, le lit, un parquet ciré, peuvent régler les pensées en réglant les passions : mais le vêtement se plie mieux. On voit pourquoi l’homme s’habille, et que ce n’est pas seulement contre le froid ; ou bien, si c’est simplement contre le froid vous avez un autre homme, plus simple.

Il y a trop à dire sur le costume féminin. Il est plus compliqué et plus tyrannique, parce qu’ici les passions sont plus vives et plus changeantes. La première chose à remarquer est qu’il soutient d’abord ; et la deuxième est qu’il s’attache de plus près à la personne ; ce n’est pas tant la cérémonie que la mode qui règle le costume féminin ; mais la mode veut être considérée à part. En dehors de la mode, toute femme a ses heures et ses jours, qui sont définis par le costume. Ainsi la variété de l’expression animale, qui ferait naître des orages d’émotions indéterminés, fait place à des phases mieux définies. Il faut dire qu’une femme convenablement habillée ressemble déjà à un portrait ; et certes, on peut attendre beaucoup d’un portrait, et deviner presque sans fin, mais par un progrès assuré, et en quelque sorte dans une direction invariable, le type servant de cadre ou de repère, comme il faut toujours. Par exemple la frivolité à l’état libre étonne un moment, rompt et détourne ; c’est pourquoi les sentiments se développent peu, et toujours en sauvagerie, à l’égard d’une femme qui n’a qu’un costume ; car le naturel est trop riche, et simplifie trop, et noie ; il reste l’instinct et l’inquiétude ; au lieu que la frivolité en costume de bal prend de la forme et du style ; c’est un thème pour tous les sentiments. La beauté de l’expression est à ce prix. Les figures nues signifient peu, si elles ne sont soumises à quelque autre style. À bien regarder, le costume étudié et paré de la femme a pour effet principal de ramener l’attention sur le visage et sur les parties du corps qui traduisent les mouvements de la respiration et du cœur ; c’est prendre le désir à ses propres ruses et toujours le détourner vers les parties nobles. Cette importance du visage est un effet de l’art de plaire quand l’art de plaire est vraiment un art ; et le costume y est tout à fait nécessaire. Cette sorte d’armure dispose comme il faut pour la cérémonie en s’opposant principalement à cette respiration vers le bas qui donne importance aux fonctions purement biologiques toujours promptes à dominer sur les sentiments, chez la femme surtout. Ainsi le cœur est réellement rapproché de l’esprit, en même temps que l’attention, toujours ramenée au visage, invite à l’échange des signes abstraits. Ces précautions ne sont jamais vaines ; et toute liberté du costume, même sans indécence, donnera toujours aux opinions quelque violence animale, ce qui, par la politesse, conduit au bavardage purement mécanique. Dont témoigne, par opposition, cette constitution thoracique ou athlétique, commune chez les artistes, et qui est si favorable à l’expression, par l’union du sentiment et de la pensée. Au reste remarquez que le mouvement de hausser les épaules exprime que l’on se retire des petites misères ; et c’est ce que le costume de cérémonie, surtout chez la femme, dessine déjà. On remarquera enfin que le rouge et la poudre, de même que les ornements plus primitifs, comme tatouages ou plumes, ont pour effet de dissimuler et d’affaiblir la plupart des mouvements de la physionomie, sans compter qu’ils obligent aussi à les retenir ; ainsi naît l’expression, toujours composée. L’art du portrait se meut et cherche en partant de là. Mais en voilà assez sur le costume ; ces idées n’ont rien d’obscur dès qu’elles sont dans leur place.