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Tableau de Paris/122

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CHAPITRE CXXII.

Long-Champ.


Le mercredi, le jeudi & le vendredi saints, sous l’ancien prétexte d’aller entendre l’office des ténebres à Long-Champ, petit village à quatre milles de Paris, tout le monde sort de la ville ; c’est à qui étalera la plus magnifique voiture, les chevaux les plus fringans, la livrée la plus belle.

Les femmes couvertes de pierreries s’y font voir ; car l’existence d’une femme à Paris, consiste sur-tout à être regardée. Les carrosses à la file offrent tous les états allant, reculant, roulant dans les allées seches ou fangeuses du bois de Boulogne.

La courtisanne s’y distingue par un plus grand faste ; telle a orné ses chevaux de marcassites. Les princes y font voir les dernieres inventions des selliers les plus célebres, & guident quelquefois eux-mêmes les coursiers. Les hommes à cheval & à pied pêle-mêle, confondus, lorgnent toutes les femmes. Le peuple boit & s’enivre ; l’église est déserte, les cabarets sont pleins : & c’est ainsi qu’on pleure la passion de Jésus-Christ.

Autrefois on y couroit à cause de la musique. L’archevêque, en l’interdisant, crut rompre la promenade ; il se trompa. Les fideles promeneurs traverserent constamment le bois de Boulogne pour se rendre à la porte de l’église, & ils n’y entrerent point.

Quand le printems est descendu sur la terre, à cette changeante époque, que le zéphir souffle, que le ciel est pur, que les bois sont verds, on diroit que l’on va saluer la nature dans son temple, & la remercier de ne nous avoir pas oubliés.

Les femmes ce jour-là ne sont pas la principale figure ; les équipages & les chevaux l’emportent sur elles. Les fiacres délabrés servent à rehausser les voitures neuves & élégantes. Les carrosses modernes, mieux coupés, ont avec moins d’ornemens beaucoup plus de beauté que ceux que l’on faisoit autrefois ; & moins lourds en tous sens, ils vont avec plus de rapidité.

L’ouvrier sort ces jours-là, met son habit des dimanches, se mêle dans la foule, regarde toutes les jolies femmes ; mais on le reconnoît à ses mains noires & calleuses.

Tandis que les uns se promenent, respirent l’air pur & frais du printems, d’autres vont dans les églises pour y entendre des voix qui, chantant des jérémiades, interrompent l’ennui d’un office long & triste : il finit par un espece de charivari. C’est un beau moment dans les colleges pour les écoliers.