Aller au contenu

Tableau de Paris/128

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CXXVIII.

Banqueroutes.


Elles sont si fréquentes qu’on ne s’en fait plus un crime. La cause de ce désordre vient de ce que les marchands ont perdu l’ancienne simplicité de leur état. Ils ont connu le luxe, le faste ; ils ont pris un tout autre extérieur que celui que leur profession leur imposoit. Le marchand est devenu frivole, vain, léger ; il a voulu représenter, & la mauvaise foi n’a pas tardé à germer dans son cœur.

Les anciens marchands savoient que tous les capitaux qui ne sont pas dans le commerce, sont nuls pour les commerçans. Ils disoient qu’en fait de commerce, un sol épargné est un sol regagné.

Les faillites ne sont plus qu’un jeu, & on les multiplie pour s’enrichir. On ne parvient plus à la fortune par les voies longues & pénibles de la probité ; mais avec deux ou trois bilans on se met à son aise. Une faillite d’un million donne un produit net de deux cents cinquante mille livres : c’est la regle.

Qu’arrive-t-il ? La confiance, qui est l’ame du commerce, n’existe plus. Tous ces dérangemens réitérés ont mis chacun sur ses gardes, & les difficultés se rencontrent où il n’y en avoit pas il y a cent ans.

Quand la faillite est ouverte, il y a des hommes qu’on appelle médecins des fortunes délabrées, & qui dirigent vos affaires sans que vous vous en mêliez. Les créanciers vont, viennent, sont obligés de paroître, de signer, de lever la main, de faire reconnoître leurs billets. Le débiteur est tranquille & ne sort pas de sa maison.

Il faut distinguer les faillites des banqueroutes. Celles-ci sont presque toujours frauduleuses ; les premieres peuvent naître du malheur des circonstances, d’une fausse spéculation, de trop d’ardeur, & méritent plus d’indulgence.

Si le marchand déclaroit le premier vuide qu’il trouve d’abord dans ses affaires, il agiroit loyalement ; mais il ne se dévoile que lorsqu’il est tombé dans le précipice. Il y a entraîné plusieurs autres ; c’est ainsi qu’une légere fraude nécessite une fraude plus grande.

Il nous manque des loix claires & précises sur les faillites & banqueroutes. Le plus hardi fripon en détail se montre un fripon en gros avec une intrépidité triomphante. L’infortuné, qui n’a point médité sa marche, succombe sous les frais de la procédure. On n’écrase que les petits débiteurs.

Le législateur vivifieroit plusieurs branches de commerce, en établissant des loix qui ne laissassent aucun échappatoire à la fraude, & qui punît le manque d’équité.

Il ne faudroit pas des peines afflictives, parce que les loix extrêmes ne sont jamais mises à exécution ; mais il faudroit déployer une sévérité qui ne laissât au banqueroutier aucune ressource.