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Tableau de Paris/129

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CHAPITRE CXXIX.

Oisifs.


Que fait moniteur un tel ? — Il vit de son bien, c’est un rentier ; on lui écrit de la province, intéressé dans les affaires du roi ; c’est-à-dire, qu’il est intéressé à ce que le trésor royal soit dans l’aisance. Il ne lit des papiers publics, que les paiemens de l’hôtel-de-ville de Paris, & pour savoir à quelle lettre[1] en est le payeur. Il voudroit s’appeller Aaron, ou du moins Abraham ; voilà tout son chagrin. Il va au spectacle sans s’embarrasser de ce qu’on y donne. Il a doublé son fils d’un gouverneur, & il n’y songe plus. Il ne faut pas avoir grand génie pour vivre ainsi de son bien ; & cependant un gros rentier passe pour ce qu’il veut être. Il est doublement sujet ; car dans toutes les circonstances possibles, il votera toujours pour son royal créancier.

Si cet oisif avoit vécu à Athènes, il auroit méprisé Socrate ; ôtez-lui néanmoins son habit, ses gens, ses gros diamans, son carrosse, que restera-t-il ? Ôtez à Socrate sa robe ; il n’y perdra pas grand’chose, c’est toujours Socrate.

Ces parvenus, qui n’ont eu d’autre science que d’arracher beaucoup d’argent, emploient le ciseau du statuaire & le pinceau du peintre à faire passer leurs traits à l’avenir ; & l’art se prostitue.

La dérision ne les touche plus : le moteur universel & puissant, l’or, les absout : cette estime fatale des richesses corrompt les idées les plus saines ; & ne disent-ils pas d’après Boileau :

J’ai cent mille vertus en louis bien comptés !

  1. On paie les rentiers par ordre alphabétique.