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Tableau de Paris/130

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CHAPITRE CXXX.

Petite Question.


Les Parisiens, après avoir commencé par donner leur argent avec pleine confiance, ont fini par examiner cette question : La dette contractée par le souverain est-elle ou n’est-elle pas la dette de la nation ? Le monarque en France n’en est-il pas moins le représentant que le parlement en Angleterre ?

Ceux qui envisagent comme personnelles les dettes que contracte le souverain d’une monarchie, disent qu’il n’a consulté personne, qu’il a pu pousser l’emprunt outre mesure, qu’on n’en a pas suivi l’emploi, & que son successeur, pour régénérer les choses, a le droit d’en affranchir l’état, comme d’un poids accablant.

Ce sont là, si je ne me trompe, des sophismes. L’emprunt a été public ; l’application des fonds a servi à l’entretien des armées, des vaisseaux, des fortifications, aux guerres de l’état, aux besoins de l’état, aux négociations de l’état, à la splendeur du trône, qui, dans certaines circonstances, devient celle de la nation ; enfin aux édifices généreux, qui seront utiles aux générations futures.

La nation répond de la dette, puisque l’emprunt lui a été utile ; puisque cet emprunt l’a sauvée, dans le tems, d’un inévitable impôt. Elle ne sauroit dire validement aux prêteurs, vous n’avez donné votre argent qu’à un seul homme, ce contrat ne regarde que lui : ce qui est faux dans le fait, absurde dans les conséquences ; ce qui seroit évidemment injuste & illégitime.

La nation est réellement engagée à payer les dettes contractées sous ses yeux, & pour ses intérêts pressans. Elle a vu passer l’édit sans réclamation ; c’est un aveu qui, pour être tacite, n’en a pas moins de force. Ainsi la classe des riches doit fournir éternellement aux quittances des rentiers qui ont prêté encore plus à l’état florissant, à la richesse nationale, qu’au souverain qui passe. On ne peut faire manquer un roi à ses engagemens : il a traité avec ses sujets, il est lié par ses promesses : son successeur l’est comme lui ; & le serment des rois, ces êtres qui ont tant besoin du respect des hommes, ne doit-il pas être le plus inviolable de tous ? Tel est mon petit avis, & je ne suis pas rentier.

Il est bon d’appliquer les préceptes inébranlables de la morale à la constitution versatile des états : ceux-ci y gagneront toujours. J’aurai bien l’air d’un rêveur ; car on dit que les états n’ont point de morale : je répondrai hardiment, tant pis pour eux.