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Tableau de Paris/184

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CHAPITRE CLXXXIV.

Le Chiffonnier.


Je l’ai prononcé ce mot ignoble ! me le pardonnera-t-on ? Le voyez-vous cet homme qui, à l’aide de son croc, ramasse ce qu’il trouve dans la fange, & le jette dans sa hotte ? Ne détournez pas la tête ; point d’orgueil, point de fausse délicatesse. Ce vil chiffon est la matiere premiere, qui deviendra l’ornement de nos bibliotheques, & le trésor précieux de l’esprit humain. Ce chiffonnier précede Montesquieu, Buffon & Rousseau.

Sans son croc, mon ouvrage n’existeroit pas pour vous, lecteur. Ce ne seroit pas un grand mal. D’accord ; mais vous n’auriez aucun livre : vous lui devez cette matiere qui va former le papier, dont l’origine paroît si vile. Tous ces chiffons mis en pâte, voilà ce qui servira à conserver les flammes de l’éloquence, les pensées sublimes, les traits généreux des vertus, les actions les plus mémorables du patriotisme.

Toutes ces idées volatiles vont se fixer aussi rapidement qu’elles ont été conçues. Toutes ces images, tracées dans l’entendement, s’attacheront, s’imprimeront, se colleront ; & malgré la nature, qui fait mourir l’homme de génie, ces productions appartiendront désormais à l’univers, & ne périront qu’avec lui. Honneur au chiffonnier !