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Tableau de Paris/192

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CHAPITRE CXCII.

Fumier.


Le fumier abonde dans la capitale, par le grand nombre de chevaux qu’elle renferme. Il sert à féconder les marais des environs, où croissent la salade, les choux & les autres légumes. Mais ces légumes, dont la végétation est forcée, contractent presque toujours un goût désagréable, que leur donne ce moyen factice, employé pour leur procurer un accroissement précoce. L’oserai-je dire ? il en est de même des esprits : on les fume en quelque sorte ; c’est-à-dire, qu’on les pousse, qu’on les surcharge. On veut voir des petits merveilleux étaler à quinze ans une érudition fastueuse ; on croit avoir formé le jugement, quand on a chargé la mémoire. Plusieurs peres aveuglés tombent dans cette erreur fatale. Ils voient des dispositions dans leurs enfans ; ils ruinent leur santé, pour en faire des savans. Les malheureux prix de l’université achèvent de tourner la tête à ces peres, qui s’imaginent que c’est là le dernier terme de la gloire, & que l’univers a les yeux fixés sur l’écolier qu’embrasse le premier président. Aussi le Parisien, qui en général a de l’esprit à dix-huit ans, est un homme ordinaire à vingt-cinq ou à trente, parce qu’on a épuisé ce qu’il avoit de forces pour l’étude. Sorti du college, il a tant de mots dans la tête, que les idées ne peuvent plus s’y loger.