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Tableau de Paris/193

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CHAPITRE CXCIII.

Jardinage.


Le jardinage est cultivé aux environs de Paris sans engrais, avec un soin admirable, par quelques amateurs qui se livrent tout entiers à cet art innocent & utile. Ils font un doux & légitime emploi de leurs richesses, & obtiennent de la nature ce qu’elle accorde aux travaux & à l’observation suivie.

Les plantes potageres acquierent de cette maniere un goût excellent. Les fruits à pépins & à noyau sont vraiment perfectionnés. Les pêches, les abricots, les poires sont, pour ainsi dire, des productions nouvelles, tant par leur saveur que par leur beauté. Des expériences bien entendues, répétées avec succès, développent ces bonnes & excellentes especes, dont la création est moderne. Les fleurs ainsi que les légumes participent à cette heureuse culture ; & l’on apperçoit combien elle est précieuse, quand elle est dirigée, non par la routine, mais par l’intelligence.

L’œil fatigué des fanges noires & fétides de la capitale, se repose avec délices sur ces jardins, où le regne végétal brille dans toute sa pompe, où la fécondité est couronnée des plus riantes couleurs. On pardonne au traitant son extrême opulence, quand il l’emploie à féconder la terre, à la parer de ses plus beaux ornemens. Sa justification semble écrite le long de ces espaliers qui enchantent le regard & séduisent l’odorat. Ces trésors d’une table saine, ces végétaux excellens, ces arbres fruitiers promettent le charme non interrompu d’une fertile multiplication. Le traitant est absous pour le moment, en faveur de cette abondance, qui ne présente que des tableaux innocens, & qui fait oublier alors tout ce qui ne leur ressemble pas. On ne peut plus le maudire que dans l’hôtel doré qu’il occupe dans la capitale.

J’ai vu quatre mille pots d’ananas chez le duc de Bouillon, à Navarre, près d’Évreux.

Il y en aura bientôt six mille. Cet excellent fruit, naturalisé en Angleterre, croîtroit en France avec plus d’avantage encore, si l’on s’attachoit à le cultiver. Le duc en a tous les jours huit à dix sur sa table : mais on a négligé ailleurs cette culture ; elle dépend d’unes serre chaude, peu coûteuse, & qui récompenseroit largement des premieres avances. Je conseille aux amateurs d’aller à Navarre, étudier les procédés simples & savans du jardinier Anglois qui dirige cette bonne & admirable espece, ainsi que plusieurs autres non moins précieuses. Amis de la nouveauté, ne dédaignons pas celle des fruits.

Un des beaux potagers est celui du duc de Penthievre, à Anet : la vue en est mille fois plus agréable que celle des meubles dorés d’un appartement, des glaces, des bronzes & des sculptures qui ornent les châteaux, les palais & les maisons de plaisance.

Dans Paris, les jardins de M. le duc de Chartres, de M. le duc de Biron, & de M. Boutin, sont les plus remarquables.

On prétend néanmoins qu’il est ridicule de vouloir placer un jardin dans l’enceinte de Paris, ou trop près de ses barrieres.