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Tableau de Paris/199

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CHAPITRE CXCIX.

Loix Somptuaires.


On n’en connoît d’aucune sorte ; les femmes ont pleine licence à cet égard ; elles choisissent leurs ajustemens comme bon leur semble. La femme d’un commis, ou de l’épicier du coin, se mettra comme une duchesse : le gouvernement ne s’en mêlera pas. Un particulier étalera le luxe le plus effréné : s’il a payé les impositions royales & sa capitation, permis à lui de se ruiner.

Point de Caton à l’humeur stoïque, qui harangue avec force pour la conservation de la loi Oppienne. Cette loi défendoit aux dames Romaines d’employer plus d’une demi-once d’or à leur usage, de porter des habits de diverses couleurs, de se faire voiturer à Rome, &c.

Le sénat de Berne défend aussi les rubans, la gaze, les bouffantes, les petits cerceaux de baleines : mais à Paris, tout le monde ressemble au tribun Valerius, qui plaida contre cette loi Oppienne en faveur des dames. Elles ne peuvent figurer, ni dans la robe, ni au pied des autels, ni dans les armées ; elles ne portent point les cordons, les croix, les décorations extérieures, qui rehaussent les hommes ; elles ne peuvent étaler aux yeux des citoyens ces marques honorables qui satisfont l’orgueil ou récompensent les services. Que leur reste-t-il donc ? La parure, les ajustemens : voilà ce qui fait leur joie & leur gloire. Pourquoi leur envier ce moment d’éclat & de bonheur, ce petit regne domestique ?

Tout cela est, je crois, bien dit ; mais enfin, ces brillantes inutilités sont prises sur la subsistance des enfans. C’est un luxe déplorable que celui qui, pour un sallon doré, des bougies, des dentelles, des habits brodés, des bijoux, des chenets travaillés, retranche à la table, fait jeûner les convives & les domestiques ; & ce luxe puérile est devenu celui des bourgeois enorgueillis d’un emploi ou d’une charge.

Les dissipations des femmes vont leur train, les petites fortunes se renversent ; le patrimoine des enfans se trouve altéré au jour de leur majorité.

Le grand-duc de Toscane a voulu proscrire le luxe excessif, en menaçant de son seul déplaisir les infracteurs de ses invitations. Elles ont eu plus de force que les loix contraignantes.

On ne voit plus les nobles Florentins qu’en habit noir. Les prédicateurs & les économistes ont tonné parmi nous, & n’ont pas été entendus. On ne voit pas, comme à Florence, des commissaires tancer publiquement des femmes qui portent des plumes, ni tenter de leur arracher ces ornemens de leurs têtes, qui plaisent tant aux vendeuses & encore plus aux acheteuses de modes.