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Tableau de Paris/209

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CHAPITRE CCIX.

Spectacles gratis.


Les comédiens donnent le spectacle gratis, à l’occasion de quelques événemens célebres, comme la paix, la naissance d’un prince, &c. Le spectacle alors commence à midi ; les charbonniers & les poissardes occupent les deux balcons, suivant l’usage ; les charbonniers sont du côté du roi, & les poissardes du côté de la reine. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que cette populace applaudit aux beaux endroits, aux endroits délicats même, & les sent, tout comme l’assemblée la mieux choisie[1]. Quelle poétique, pour qui sauroit l’étudier ! Après la piece, Melpomene, Thalie & Terpsicore donnent la main au porte-faix, au maçon, au décroteur. Préville & Brizard dansent avec la fille de joie sur les mêmes planches où l’on a représenté Polieucte & Athalie. Les fusiliers sont plus circonspects ces jours-là, & la garde bleue a un front populaire. Les comédiens ne se prêtent pas par amour du peuple à ces danses bruyantes, mais par politique ; ils voudroient bien pouvoir s’en exempter. Leur dépendance leur fait un devoir de cette corvée, & ils jouent très-bien le contentement.

Les spectacles des Boulevards, à leur exemple, les grands Danseurs du roi, l’Ambigu comique, les Variétés amusantes, donnent aussi une représentation gratis dans les mêmes circonstances ; ils affichent de même, relâche pour le service de la cour, spectacle gratis pour la naissance &c. ce qui chagrine & mortifie étrangement les comédiens ordinaires du roi, qui ne craignent rien tant que d’être assimilés aux acteurs forains, à peu près comme un procureur au parlement craint qu’on ne le confonde avec un huissier à verge.

On distingue à Paris les planches des Boulevards des planches privilégiées, celles qui portent Jeannot de celles qui portent le gros Dezessarts ; mais c’est une distinction qui échappe au peuple : il range sur la même ligne & dans la même classe tous ceux qui, chantant, déclamant ou aboyant, contribuent à ses plaisirs pour de l’argent.

Il n’y a que le risible peccata du combat du taureau qui n’obtient pas l’honneur d’assembler le public gratis, & de mériter par-là les bonnes graces & le regard de la cour ; mais il doit présenter requête.

  1. On a contesté le fait : j’en appelle à l’expérience. Les grands traits n’ont jamais passe sans applaudissemens.