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Tableau de Paris/210

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CHAPITRE CCX.

Langue du Maître aux Cochers.


On distingue parfaitement le cocher d’une courtisanne, de celui d’un président, le cocher d’un duc d’avec celui d’un financier ; mais à la sortie du spectacle, voulez-vous savoir au juste dans quel quartier va se rendre tel équipage ? écoutez bien l’ordre que donne le maître au laquais, ou plutôt que celui-ci rend au cocher. Au Marais, on dit, au logis ; dans l’isle S. Louis, à la maison ; au fauxbourg S. Germain, à l’hôtel ; & dans le fauxbourg S. Honoré, allez. On sent, sans, avoir besoin d’un commentaire, tout ce que ce dernier mot a d’imposant.

À la porte des spectacles se trouve toujours un aboyeur à la voix de Stentor, qui crie : le carrosse de M. le marquis ! le carrosse de mad. la comtesse ! le carrosse de M. le président ! Sa voix terrible retentit jusqu’au fond des tavernes où boivent les laquais, jusqu’au fond des billards où les cochers se querellent & se disputent. Cette voix qui remplit un quartier, couvre tout, absorbe tout, le bruit confus des hommes & des chevaux. Laquais & cochers, à ce signal retentissant, abandonnent les pintes & les queues, reprennent la bride des chevaux, & ouvrent la portiere

Cet aboyeur, pour donner à sa poitrine une force plus qu’humaine, renonce au vin, & ne boit que de l’eau-de-vie. Il est toujours enroué ; mais cet enrouement même imprime à sa voix un son rauque & épouvantable, qui ressemble à un tocsin. Il creve bientôt à ce métier. Un autre le remplace ; il hurle de même, boit de même, & meurt, comme son prédécesseur, à force d’avoir avalé de l’eau-de-vie d’épicier.