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Tableau de Paris/214

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CHAPITRE CCXIV.

Colisée.


Nous ne sommes pas des Romains ; nous n’avons pas voulu bâtir un amphithéatre qui subsistât au bout de dix-huit siecles ; nous n’avons pas voulu assembler deux cents mille spectateurs ; c’eût été trop pour la garde de Paris. Nous n’avons voulu qu’emprunter le nom d’un des plus majestueux monumens de Rome & le défigurer encore ; car le superbe amphithéatre s’appelloit le Collossée. Notre Colisée après dix ans tombe en ruines. Les créanciers l’ont saisi & n’ont jamais pu ensuite être d’accord. On l’a fermé. Il n’avoit de beau & d’agréable que son emplacement, dans la position la plus heureuse qu’on ait pu choisir. L’intérieur de ce caravenserai étoit triste ; des symphonies monotones, des danses misérables ou puériles ; des joutes sur une eau sale & bourbeuse ; des feux d’artifice sans variété ; une cohue fatigante ou un vuide ennuyeux : voilà tout le divertissement de ces sortes d’endroits.

La redoute chinoise l’a remplacé ; temple nouveau, ouvert à l’oisiveté absolue, & qui enleve aux nobles représentations dramatiques une foule de spectateurs.

Là on se sert l’un à l’autre de spectacle. Les Adonis au teint blafard, les Narcisses adorant leurs images dans les glaces, les héros d’opéra fredonnant des airs, les fats à cheveux longs, les Laïs à la tête haute y circulent & font foule.

Quand on compare ces Vaux-Hall aux lieux charmans de Londres, on voit que le François ne connoît qu’un genre de plaisir, celui de voir & d’être vu. L’Anglois a des goûts plus vifs, plus variés, plus profonds ; il ne se nourrit pas de vanité, de l’étalage, de la parure, de clinquant, d’une promenade en rond mille fois répétée devant les mêmes objets. Il lui faut des divertissemens plus substanciels. La différence des gouvernemens enfin se fait sentir par le contraste de la froide élégance de nos assemblées & de l’abondance variée & piquante qui regne en Angleterre.

Il est vrai que l’Anglois donne une guinée, & que nous déboursons mesquinement trente sols. Puis, qui ne se mêle pas de nos plaisirs ; c’est-à-dire, qui ne les corrompt pas ? L’autorité préside à tous nos divertissemens : on nous les arrange & il ne nous est pas permis de les modifier.