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Tableau de Paris/216

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CHAPITRE CCXVI.

Comédiens Italiens.


Tout en conservant ce titre, ils ne représentent plus aucune piece italienne, ou, pour mieux dire, ces cannevas où Cassin a si souvent déployé un jeu assaisonné de tant de graces naïves & piquantes. Ils sont rentrés dans le droit de donner au public des pieces morales & intéressantes : droit dont ils n’abusent point, il faut l’avouer ; mais les pieces à vaudevilles ayant pris faveur, ils ont obéi au goût momentané de la capitale. Ils se piquent de servir le public avec un zele infatigable ; on les voit ardens à le récréer de nouveautés, n’épargner ni soins ni peines. Leur désintéressement est rare. Ils ne lézinent point sur les décorations ni sur les habillemens ; jaloux de donner aux représentations le plus grand éclat. Ils ont un tact assez sûr pour la musique vive, légere, expressive ; mais ils ne savent pas encore juger les comédies d’une maniere aussi juste : cela viendra.

Les pieces à vaudevilles occupent donc presque exclusivement ce théatre depuis dix-huit mois. Comme tout succès touche à un excès, il est à craindre que ce théatre ne s’infeste de rébus, de couplets trop libres, d’équivoques, &c. Pourquoi faire baisser les yeux aux graces ?

Ces jolis riens offrent des tableaux naïfs & ne sont pas dépourvus de gaieté ; mais il est à craindre que ces bluets, nés dans un champ fertile, n’étouffent les épis nourriciers, substanciels & à la tête dorée.

Les auteurs avoient cru pouvoir établir sur cette scene un second théatre national ; ils n’ont pas réfléchi que l’art du chant excluoit presque toujours celui de la déclamation, & que les pieces vraiment dramatiques avoient un caractere trop profond pour s’allier à la légéreté de ces petites pieces, la plupart vuides de sens. L’ariette & le vaudeville tueront toujours Marivaux & ses successeurs.