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Tableau de Paris/217

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CHAPITRE CCXVII.

Spectacles des Boulevards.


Le peuple, qui a besoin d’amusemens, s’y précipite en foule ; mais ces théatres sont ceux qui mériteroient le plus l’attention du magistrat, & les pieces devroient être des compositions agréables & morales ; car il n’y a pas d’opposition entre ces deux mots, quoi qu’en disent les poëtes corrupteurs.

Pourquoi ces pieces sont-elles pour la plupart basses, plates, ordurieres ? C’est qu’une poignée de comédiens ose dire qu’il n’appartient qu’à eux de représenter des pieces raisonnables ; c’est qu’on les soutient dans cette ridicule prétention ; c’est qu’à la suite de cette incroyable & honteuse législation, le peuple est condamné à n’entendre que l’expression du libertinage & de la sottise. Et voilà où aboutit la police des spectacles chez un peuple renommé par ses chefs-d’œuvres dramatiques.

Les parades qu’on représente extérieurement sur le balcon comme une espece d’invitation publique, sont très-préjudiciables aux travaux journaliers, en ce qu’elles ameutent une foule d’ouvriers qui, avec les instrumens de leur profession sous le bras, demeurent là la bouche béante, & perdent les heures les plus précieuses de la journée.

Les figures en cire du sieur Curtius sont très-célebres sur les Boulevards, & très-visitées ; il a modelé les rois, les grands écrivains, les jolies femmes, & les fameux voleurs ; on y voit Jeannot, Desrues, le comte d’Estaing & Linguet ; on y voit la famille royale assise à un banquet artificiel : l’empereur est à côté du roi. Le crieur s’égosille à la porte : entrez, entrez, messieurs, venez voir le grand couvert, entrez, c’est tout comme à Versailles. On donne deux sols par personne, & le sieur Curtius fait quelquefois jusqu’à cent écus par jour, avec la montre de ces mannequins enluminés.