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Tableau de Paris/224

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CHAPITRE CCXXIV.

Messes.


On dit par jour quatre à cinq mille messes à quinze sols piece. Les capucins font grace de trois sols. Toutes ces messes innombrables ont été fondées par nos bons aïeux qui pour un rêve commandoient à perpétuité le sacrifice non sanglant. Point de testament sans une fondation de messes ; c’eût été une impiété, & les prêtres auroient refusé la sépulture à quiconque eût oublié cet article ainsi que les faits anciens le prouvent.

Entrez dans une église, à droite, à gauche, en face, en arriere, de côté, un prêtre ou consacre, ou éleve l’hostie, ou la mange, ou prononce l’ite missa est.

Des prêtres Irlandois se sont quelquefois avisés de dire deux messes par jour ; & vu l’immensité de la ville, le hasard seul a fait reconnoître la supercherie. Un double appétit les forçoit à cette double célébration.

Dans le siecle passé, un prêtre du Petit-Saint-Antoine étoit marié secrétement, & tenoit son ménage près de la place Maubert. Il se partageoit avec la même ferveur entre l’autel & son épouse. Bon prêtre, bon mari, pere de cinq enfans, il s’habilloit deux fois par jour, pour tromper les regards & remplir les doubles fonctions qui lui étoient également cheres. Sa félicité fut traversée par un cruel délateur ; le parlement cassa son mariage, & il fut exilé à perpétuité : heureux de ne pas subir une peine plus grave.

L’abbé Pellegrin n’étoit pas marié ; mais il faisoit des opéras tout en disant la messe. Le démon ne présidoit pas à ses compositions ; car elles étoient extrêmement froides. On fit sur lui ces vers :

Le matin catholique, & le soir idolâtre,
Il dîne de l’autel & soupe du théatre.

Un prince ayant nommé pour son aumônier l’abbé P*** connu par ses nombreuses & intéressantes productions, lui dit à sa premiere audience : M. l’abbé, vous voulez donc être mon aumônier ; mais sachez que je n’entends point de messes. — Et moi, monseigneur, je n’en dis point.

On appelloit messe musquée, une messe tardive, qui se disoit, il y a quelques années, au Saint-Esprit à deux heures ; le beau monde paresseux s’y rendoit en foule avant le dîner. On donnoit trois livres au prêtre, parce qu’il étoit obligé de jeûner jusqu’à cette heure ; la loueuse de chaises y gagnoit encore. L’archevêque a défendu cette messe, & l’on a pris depuis la méthode de s’en passer. Il auroit mieux valu ne point abolir la messe musquée.

Depuis dix ans, le beau monde ne va plus à la messe, ou n’y va que le dimanche, pour ne pas scandaliser les laquais, & les laquais savent qu’on n’y va que pour eux.

Le 3 août 1670, le nommé François Sarrazin, natif de Caen en Normandie, âgé de vingt-deux ans, d’abord huguenot, puis catholique, mais toujours ennemi de la présence réelle, attaqua l’hostie l’épée à la main, au moment que le prêtre la levoit, dans l’église Notre-Dame, à l’hôtel de la Sainte-Vierge. En voulant percer ladite hostie immédiatement après la consécration, il blessa de deux coups le prêtre, qui prit la fuite ; mais ses blessures ne furent pas dangereuses.

Aussi-tôt toutes les messes cesserent ; on dépouilla les autels de leurs ornemens ; l’église fut fermée jusqu’au jour de la réconciliation.

Le 5 août, François Sarrazin fit amende honorable, ayant un écriteau devant & derriere, portant ces mots, sacrilege impie. On lui coupa le poing, & il fut brûlé vif en place de Greve. Il ne donna aucun signe de repentir ni de regret de mourir.

Le 12 se fit la réparation solemnelle du sacrilege commis. Il y eut une procession générale, où assisterent toutes les cours souveraines. Toutes les boutiques, tant de la ville que des fauxbourgs, furent fermées par ordre du sieur de la Reynie, lieutenant de police. Voyez la Gazette de France 1670, page 771, jusqu’à la page 796.

Aucun sacrilege de cette espece, graces à Dieu, n’a été commis dans notre siecle, malgré les écrits, les discours & le grand nombre d’incrédules. L’on n’a pas troublé la moindre aspersion d’eau bénite ; & jusques dans les processions publiques du jubilé, le culte, toujours extérieurement respecté, n’a reçu aucune atteinte.

On dira que la Barre d’Abbeville a donné un scandale public. Il n’y a rien de moins prouvé que la mutilation de ce crucifix sur un pont. Ce crucifix de plâtre étoit à portée d’être renversé à chaque minute par les charrettes, & le chevalier de la Barre n’étoit pas homme à tirer l’épée contre un crucifix ; il avoit de la raison & de la philosophie. Il mourut avec une fermeté tranquille. Le parlement, uniquement pour prouver aux jésuites son attachement à la foi, rendit un arrêt semblable à ceux de l’inquisition ; il s’en est repenti lorsqu’il n’étoit plus tems.

On peut assurer qu’il ne sévira désormais d’une maniere aussi violente, que contre un nouveau François Sarrazin, si un pareil insensé se représentoit ; ce dont on doute très-fort.

On a l’air d’un sot écolier qui n’a rien vu & rien entendu, quand on se met à déclamer contre les mysteres & les dogmes. Il n’y a plus que les garçons perruquiers qui fassent des plaisanteries sur la messe. La dit qui veut, l’entend qui veut ; on ne parle plus de cela.