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Tableau de Paris/225

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CHAPITRE CCXXV.

Messe de la Pie.


Un bourgeois avoit perdu plusieurs fourchettes d’argent ; il en accusa sa servante, porta sa plainte & la livra à la justice. La justice la pendit. Les fourchettes se retrouverent six mois après sur un vieux toit derriere un amas de tuiles, où une pie les avoit cachées. On sait que cet oiseau, par un instinct inexplicable, dérobe & amasse des matieres d’or & d’argent. On fonda à Saint-Jean-en-Greve une messe annuelle pour le repos de l’ame innocente. L’ame des juges en avoit un plus grand besoin.

C’est fort bien fait que de dire une messe : mais il falloit ensuite rendre l’instruction plus scrupuleuse, abolir cette peine disproportionnée au délit ; car la sévérité excessive de la loi l’annulle entierement ; & le vol domestique, très-fréquent parmi nous, est presque impuni de nos jours, parce que le maître & le juge détestent intérieurement son extrême rigueur.

Une punition modérée, mais inévitable, rétabliroit l’ordre bien plus puissamment. Sur dix servantes, quatre sont des voleuses. Personne ne veut se charger de l’accusation, à cause des suites. On les renvoie, elles volent chez le voisin, & s’accoutument à l’impunité.

Il est triste d’être obligé d’avoir incessamment l’œil ouvert sur ses domestiques, & l’on peut dire qu’à Paris il ne regne aucune confiance entre le maître & le serviteur. La maîtresse de la maison a une poche remplie de clefs différentes ; elle tient sous le pêne le vin, le sucre, l’eau-de-vie, les macarons, l’huile & les confitures. Les femmes de procureur enferment le pain & les restes du soupé, échappés à la voracité des clercs. L’une d’elles étant allée dîner en ville, & ayant oublié de donner à la servante la clef de la miche, le troisieme clerc, qui ne s’embarrassoit pas d’avoir son congé, chargea le buffet sur les épaules d’un robuste porte-faix, & entrant dans la salle à manger, dit tout haut : la clef, madame, voici l’armoire ?