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Tableau de Paris/263

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CHAPITRE CCLXIII.

Monopole.


Un homme s’empare d’une espece de denrée en entier : alors il fait la loi tyranniquement. Voilà où le commerce devient dangereux, oppressif. C’étoit originairement un échange équitable ; il n’y a plus de proportion, elle est rompue ; une partie des contractans est écrasée ; ce n’est plus un commerce, c’est un monopole, je suis violenté. Cet homme tyrannique me vend la chose plus qu’elle ne vaut, parce qu’il la possede seul : il doit être puni par les loix.

Mais si cette marchandise est de premiere nécessité ; si c’est du pain, du vin, des légumes, de l’huile, &c. il est mon véritable assassin. Qu’on entasse les sophismes, que les économistes viennent me prouver que le bled est à lui, & qu’il est libre d’y mettre un prix arbitraire ; ce vendeur sera toujours un barbare : il me voit souffrir, & il augmente le marché suivant ; il fait la famine & il en rit.

Il sera puni, me dira-t-on, il se trompera tôt ou tard dans ses calculs. Mais ses spéculations erronées auront été bien plus dangereuses pour moi que pour lui ; car, s’il perd son argent, moi j’aurai perdu la vie.

Non : tant que les hommes feront avides, intéressés, insensibles, il ne faut pas que les denrées de premiere nécessité soient abandonnées aux noirs projets de l’avarice. Il est ridicule & honteux de livrer à l’étranger pour trente sols de plus sur un setier, le bled que j’ai vu croître sous mes yeux ; le citoyen doit être nourri, & de préférence, des productions de son sol.

Les monopoles, tantôt sur les œufs, tantôt sur les légumes, tantôt sur les fruits, tantôt sur les épices, ne sont que trop fréquens dans la capitale, & l’on pourroit accuser les suppôts de la police de complicité ; car elle n’a pas toujours été assez vigilante à réprimer ces indignes abus, qui affament la partie indigente du peuple & lui font détester l’existence.

Quelquefois les hommes en place ne rougissent pas de prêter & d’avancer leur argent pour ces opérations abominables. Sous le voile qui les couvre, & qu’ils croient impénétrable, ils jouissent des fruits infames de leur avarice. Ce crime devenu commun, a flétri des noms jusqu’alors respectés ; c’est un nouveau forfait de l’opulence, & presqu’inconnu avant ce siecle. J’ai vu arrher & accaparer les choux, les poires & même les laitues.

Voici quatre vers sur les monopoleurs, par M. Dorat, qui m’ont toujours beaucoup plû.

Ils engloutissent tout par un trafic honteux ;
Souvent même leurs mains, par de lâches adresses,
Détournent de Cérès les solides richesses,
Et la fertilité disparoît devant eux.