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Tableau de Paris/275

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CHAPITRE CCLXXV.

Souhait.


Cette population qui s’accroît, s’accroîtra encore ; car depuis que les routes sont ouvertes, tout vient, tout fond des provinces sur la capitale ; des colonies de jeunes gens y accourent, abandonnent les toits paternels, soit pour y faire fortune, soit pour y vivre avec plus de liberté ; & de là ce nombre infini de gens qui cherchent de l’emploi & de l’occupation. La masse d’argent s’y précipite, & d’autant plus qu’il ne reflue pas vers les provinces, & que les provinces y versent incessamment le leur. Mais cette masse se concentre en un petit nombre de mains.

Ces considérations ont fait desirer à plusieurs que Paris devînt port, comme il l’a été autrefois, à ce qu’il semble. Il est sûr que le commerce maritime conviendroit très-bien à la capitale d’un royaume aussi peuplé que la France, sur-tout si l’on considere que presque tout l’argent est dans Paris. Ce commerce ne nuiroit en rien aux autres villes du royaume, parce que les relations nouvelles, ouvertes avec l’Amérique, pourroient occuper le double & le triple des vaisseaux qui courent les mers ; parce que le propre du commerce est de vivifier toutes les parties qu’il arrose ; parce qu’avec le tems & quelques efforts l’on peut enlever à l’Angleterre & à la Hollande une partie de cet empire presqu’exclusif qu’elles s’attribuent.

Quelle incroyable activité, & quel surcroît d’industrie naîtroient de ce nouveau point de vue ! Il agrandiroit & ennobliroit les spéculations de nos financiers, transformés en agioteurs, faute de plus grands moyens. Il fourniroit une multitude de ressources à tant d’hommes qui languissent avec du courage & du talent.

Le projet de faire aborder les vaisseaux marchands au pied du superbe palais des Tuileries, n’est pas jugé impraticable. On prétend même que, pour vaincre toutes les difficultés, la dépense totale n’excéderoit pas quarante-six millions. J’ai vu un plan qui me semble devoir être vainqueur de tous les obstacles, & qui rendroit la riviere navigable en tout tems.

Eh ! quoi, est-ce au peuple qui a joint la Méditerranée à l’Océan, est-ce au pays qui a enfanté Riquet & Laurent, à redouter une entreprise beaucoup plus facile ? Et quand il fallut ordonner aux eaux du canal de Languedoc de passer sur un pont & de traverser une riviere, de couler à travers une montagne percée à sa crête, de monter, de descendre une autre montagne sans s’égarer, c’étoient d’autres travaux, d’autres difficultés à domter ; difficultés regardées comme insurmontables. On en vint à bout néanmoins, sur plus de quarante lieues d’étendue ; & la science des machines n’étoit point alors perfectionnée au point où elle est aujourd’hui.

Quelle entreprise plus utile & plus nécessaire ! On a dépensé bien davantage pour des bosquets peuplés de marbres stériles, & qui n’attestent que l’orgueil des rois, & non leur magnificence. Mes vœux hâtent le moment où cette ville aura un débouché pour ses nombreux enfans, obligés le plus souvent de s’expatrier, ou de ramper dans des occupations qui dégradent l’ame. Je lui vois alors un gage de subsistance assurée, un gage de félicité & je ne tremblerai plus sur ses futurs destins ; elle aura un rang égal aux capitales du monde. Mais je ne la considérerai vraiment comme florissante, que quand elle se sera fait jour au sein des mers, pour appeller en ligne directe l’abondance dans ses murs : sans ce moyen, le revers le plus inattendu peut tout-à-coup la dessécher, la flétrir, & donner la mort à ses citoyens.