Tableau de Paris/362

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CHAPITRE CCCLXII.

Pâtissiers, Rôtisseurs.


Les boutiques de pâtissiers, de charcutiers, de rôtisseurs, frappent la vue dans tous les carrefours. L’enseigne est la chose même ; on voit des langues fourrées, des jambons couronnés de laurier, de grasses poulardes, des pâtés vermeils, des gâteaux tout sucrés qui sont sur le devant : on diroit qu’il n’y a qu’à y porter la main ; & celui qui n’a pas d’appétit peut en prendre, s’il est vrai, (comme dit Boerhaave) que la présence des mets peut influer sur les fibres de l’estomac.

Si à dix-sept ans on regarde de préférence la boutique d’une marchande de modes, peuplée de jolies personnes, à huit & à dix on fixe l’œil sur ces pâtisseries.

Saint Louis, en donnant des statuts aux pâtissiers au mois de mai 1270, confirma d’anciens usages dont ils étoient en possession, de travailler tous les jours de fêtes sans aucune distinction ; les festins, les repas, se faisant ordinairement les dimanches & les fêtes ; car on célebre de tems immémorial la Saint-Martin, les Rois & plusieurs patrons, par différens banquets.

C’est ce qui se voit encore aujourd’hui : les pâtissiers sont plus occupés les dimanches & fêtes que les autres jours. Le four brûle du matin au soir ces jours-là ; & les marmitons sont plus excédés en se couchant, que tout autre jour de la semaine.

Les rôtisseurs vuident leurs boutiques, & il ne leur reste pas un poulet.

Les petits ménages qui n’ont guere qu’un âtre, envoient aux fours des pâtissiers la viande pour la faire cuire. Une cinquantaine de soupers cuisent dans le même four. Le pâtissier avec une lardoire exprime le jus du gigot, de l’éclanche, de l’alloyau ; mais il n’est pas perdu ; il vous le revend dans de petits pâtés qui en sont plus succulens.

On donne deux sols pour la cuisson de ces pieces ; le petit bourgeois épargne pour dix sols de bois ; mais son rôti est sec, noir & presque toujours brûlé.

Sur les neuf heures du soir on voit, ou plutôt l’on sent les rôtis qui circulent dans les terrines. Des marmitons crasseux reposent le souper sur le coin de la borne, répandent un peu la sauce, & la piece brûlante arrive refroidie.

Il est toujours agréable d’avoir à sa porte une bonne poularde, un excellent chapon, qui n’attendent que votre signal pour passer à la broche & de là sur votre table. Par ce moyen l’ami qui vient vous visiter ne vous gêne jamais ; vous l’accueillez sans embarras. Il y a de maudits pays où avec de l’or vous n’avez ni volailles, ni pâtés succulens ; mais à Paris, douze cents cuisiniers sont du matin au soir à vos ordres ; en un clin d’œil vous êtes servi ; rien de plus commode, rien de plus propre à ferrer les doux liens de la confraternité ; la table est aussi-tôt garnie qu’elle est dressée, & l’appétit sourit à l’amitié.