Tableau de Paris/381

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CHAPITRE CCCLXXXI.

Accoucheurs.


Au commencement du dix-septieme siecle, les accoucheurs étoient presqu’inconnus. Pendant plus de soixante ans, les têtes couronnées, toujours supérieures aux regles, oserent seules donner l’exemple d’un usage que le laps des tems, que les mœurs anciennes, que le préjugé peut-être, que la pudeur enfin sembloient à jamais devoir proscrire.

L’ignorance & l’inattention des sages femmes firent périr quelques fruits, en firent avorter d’autres ; & par leur faute, quelques membres furent luxés, quelques têtes applaties, (de là des sots, des imbécilles) alors le grand intérêt des mœurs céda à un intérêt plus cher encore, & bientôt aux sages-femmes succéderent les accoucheurs.

Les femmes en couche regretterent pendant quelques tems les mains douces, délicates & souples des accoucheuses ; mais par des huiles, par des oins préparés, les accoucheurs y suppléerent bientôt.

La science des accouchemens se perfectionna ; on acquit des notions plus certaines sur les signes caractéristiques d’un accouchement prochain, d’un accouchement heureux, d’un accouchement pénible. On apporta des remedes efficaces aux douleurs aiguës de l’enfantement ; on diminua le nombre des fœtus morts ; on calma les inquiétudes des femmes enceintes ; de jour en jour l’opération césarienne devint plus rare, & jusqu’à la petite bourgeoise pudibonde, toutes les femmes cesserent enfin de redouter la main des accoucheurs.

Les peuples du midi, les Espagnols sur-tout, moins philosophes que les maris François, plus jaloux ou moins attachés à leurs femmes, conservent encore pour les accoucheurs une répugnance invincible. L’idée de livrer aux attouchemens d’un autre homme des charmes, des formes qu’eux seuls veulent voir & palper, est pour eux l’idée sa plus désespérante. Ils ne réfléchissent pas que quelque séduisantes que soient la pâleur, la langueur d’une femme en couche, quelqu’attendrissans que soient ses cris, ces formes, toutes défigurées alors, ont perdu tout leur charme. D’ailleurs cette fonction sérieuse devient, pour ainsi dire, sacrée, & inspire aux accoucheurs une circonspection religieuse, qui les rend insensibles, aveugles & muets.

La pudeur n’est donc jamais violée ; & malgré le livre intitulé de l’Indécence aux hommes d’accoucher les femmes[1] par le savant Hequet, les femmes, six semaines après leurs couches, dînent gaiement avec leur médecin-accoucheur, qui s’assied à côté du mari ; elles ne rougissent point de sa présence.

La section de la symphyse, cette opération hardie & récente, n’est pas pleinement accréditée. Il paroît que, malgré les éloges que l’on doit à l’auteur de cette découverte, l’art peut recourir à des moyens moins extrêmes. Le forceps, tout terrible qu’il est, semble moins effrayant ; & comme on peut perfectionner sa structure & son jeu, il paroît plus convenable de l’employer que de scier une femme en deux.

La pratique des accouchemens a des cours publics, & tandis que les campagnes & les petites villes sont privées des personnes parfaitement versées dans cet art, elles abondent dans la capitale, & l’on y trouve autant de facilité à mettre un enfant au monde qu’à le procréer.

  1. Ce livre a été imprimé à Paris en 1708, in-12, chez Étienne.