Tableau de Paris/382

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CHAPITRE CCCLXXXII.

Dentistes.


La plus belle bouche n’est plus belle si les dents lui manquent. Ôez une dent à la belle Hélene, la guerre de Troyes n’a plus lieu, & la divine Illiade rentre dans le néant.

Les dents fraîches annoncent la santé, & c’est un charme préférable à tout autre. Les dents & les levres ! Les voluptueux seront de mon avis.

La femme à qui les dents manquent fait mille grimaces pour voiler ce défaut ; elle n’ose rire que sous sa main ou sous l’éventail. Si les dents contribuent autant à la santé qu’à l’agrément de la figure, il ne faut pas les négliger.

Les habiles dentistes s’attachent plus à conserver les dents qu’à les extirper. Ils n’arment plus si fréquemment leurs mains de l’acier douloureux. Le plus étonnant dans son art se nomme Catalan, rue Dauphine. À la légéreté de la main il a réuni les observations les plus judicieuses & les plus fines ; enfin il est créateur d’une espece de merveille. Il vous fera (tant en cette partie ses connoissances anatomiques sont étendues,) il vous fera, dis-je, un râtelier complet avec lequel vous broyerez tous les alimens sans gêne & sans efforts. Il a su deviner le jeu de la mastication ; il a su l’imiter à un tel point de perfection, que cela m’a paru d’un mérite trop rare & de trop grande utilité pour qu’il me fût permis de taire ici & le nom & l’éloge de l’artiste.

Si une rage de dent vous saisit dans la rue, vous n’avez qu’à lever les yeux. Une enseigne qui représente une dent molaire, grosse comme un boisseau, vous dit montez. Le dentiste vous fait asseoir, releve sa manchette de dentelle, tire votre dent d’une main leste, & vous offre ensuite un gargarisme ; vous le payez & vous continuez votre chemin sans douleur. Cela n’est-il pas commode ?