Tableau de Paris/393

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CHAPITRE CCCXCIII.

Plaisirs du Roi.


On appelle plaisirs du roi tout le terrein réservé pour les chasses de Sa Majesté. Ce terrein comprend tous les environs de Paris, & le fusil est une arme aussi étrangere aux habitans de cette ville qu’à ceux de Pékin. Aussi voyez-vous dans toutes les plaines, les perdrix familiarisées avec l’homme, becqueter le grain tranquillement, & ne point s’écarter lorsqu’il passe. Les lievres y sont moins fugitifs qu’ailleurs ; on diroit qu’ils savent que les Parisiens doivent les respecter ; ils s’asseyent sur leur derriere & vous regardent passer.

Le roi est quelquefois deux ou trois années avant que d’honorer de sa présence telle plaine couverte de gibier. Il paroît ; c’est une destruction de quinze à dix-huit cents pieces : mais les perdrix & les lievres qui ont échappé à ce jour fatal, vivent après en sûreté, & plusieurs meurent de vieillesse.

Les gardes-chasses exercent leur emploi avec beaucoup de sévérité ; la plus petite contravention en ce genre est rigoureusement punie. Un bourgeois n’ose acheter un lievre qui auroit été tué dans la plaine, dans la crainte de passer pour complice de sa mort. Si la perdrix blessée vient expirer dans votre jardin, il faut la restituer. Les gardes-chasse font une guerre cruelle aux chiens, aux bichons même, & les fusillent à côté de leurs belles maîtresses, malgré leurs larmes & leurs supplications. Aussi quand on se promene un peu loin prend-on soin d’enfermer au logis le petit chien, dans la crainte qu’il ne tombe sous le plomb vengeur des plaisirs de Sa Majesté.

Par la même raison il est des sentiers que vous ne pouvez traverser. À chaque pas vous rencontrez les incontestables loix de la chasse qui n’appartient plus qu’aux princes ; ceux-ci imitent sur leurs terres les réglemens qui sont en vigueur autour de la capitale : il faut faire trente lieues pour se dérober à cet amas de prohibitions arbitraires.

Je ne parle pas ici des incursions que font ensuite les financiers, les seigneurs, les évêques dans leurs terres de province : ces chasses font refluer tout le gibier vers Paris, & le lievre qui arpentoit les vastes plaines de la Picardie ou de la Beauce, est servi dans le plat d’argent oblong, qui décore une table du fauxbourg Saint-Honoré.

On y mange enfin une multitude de perdrix qui ont été tuées de la main du roi ou de celle des princes ; ce n’est donc pas un plomb vulgaire que le bourgeois rencontre sous sa dent. Les princes ont chassé pour la fourniture de sa table.