Tableau de Paris/395

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CHAPITRE CCCXCV.

Quine.


La preuve la plus sûre qu’il n’y a plus ni devin, ni magicien, ni diseuse de bonne-aventure, c’est que le quine de la loterie royale n’a pas encore été deviné. Or, trois millions pour un écu, cela ne valoit-il pas bien la découverte de la pierre philosophale ?

La veille & le jour du tirage de cette loterie on entend crier dans toutes les rues nombre de colporteurs, qui éveillent la cupidité du pauvre & du riche par leurs promesses emphatiques. Le porte-faix s’arrête, il hésite ; il porte enfin la main à son gousset & en tire le prix de ses sueurs.

Le laquais & la servante qui entendent leurs maîtres à table parler de leur grosse mise & de leur espoir, regardent par la maison s’il n’y auroit pas quelque chose à soustraire, pour convertir ce larcin en une grosse fortune. Les vols domestiques deviennent plus nombreux, & les maîtres qui s’en apperçoivent ne sont plus attachés à leurs domestiques ; ils les considerent comme des ennemis.

Ces crieurs dans les rues provoquent le public crédule, à peu près comme les filles le soir provoquent le jeune homme inexpérimenté & qui a des sens[1].

C’est l’instant après le tirage qu’il faut voir toutes les mines alongées à l’aspect des numéros sortis & qui ont trompé leur attente. L’homme du peuple reste immobile, & les bras croisés, il songe à sa perte & dit : j’avois envie de mettre sur celui-là. L’homme en carrosse passe la tête par la portiere pour lire aussi son sort, & tout riche qu’il est, on voit qu’il se renfonce avec humeur. Toutefois il jure entre ses dents de doubler & de tripler la mise jusqu’à ce que son numéro sorte. Il rentre chez lui en grondant, & refuse le moindre secours à l’indigence qui vient l’implorer, parce qu’il faut qu’il place encore de l’argent à la loterie.

Il y a tel numéro qui pour le nourrir a plus coûté qu’il n’en auroit fallu pour la subsistance de cent familles pressées par le besoin.

Pauvre ! renonce à cette espérance illusoire. Laisse le riche courir ces chances hasardeuses ; lui seul à la longue y peut rencontrer quelqu’avantage.

Pauvre ! ton lot est dans ton travail, dans ton courage, dans ton économie. Et toi, riche, que te manque-t-il ? Le mérite des bonnes œuvres. Soulage cinq pauvres à chaque usage, & voilà le quine heureux qui fera entrer dans ton ame l’abondance des vraies satisfactions.

  1. De belles dames qui convoitoient le quine de cette loterie, allerent trouver un fou aux Petites-maisons, dans l’espérance qu’il nommeroit les numéros gagnans. Celui-ci, d’un ton grave & d’un air prophétique, leur en fait choisir quatre, les fait tracer sur le papier, les avale & dit : attendez, mesdames, vous les verrez sortir.