Tableau de Paris/400

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CHAPITRE CCCC.

Passe-par-tout.


Tout homme qui loge dans une maison où il y a une allée, se trouve obligé de porter sur soi un passe-par-tout ; il ne faut pas qu’il y manque, sous peine de coucher à la porte, car il aura beau frapper, son voisin qui ne le connoît pas, qui ne se soucie point de lui, ne se relevera pas pour lui ouvrir.

Que devient donc un homme qui a oublié son passe-par-tout ? Il ne veut point aller s’exposer dans un mauvais lieu ; il veut dormir, il a sommeil. Un fallot au fait des gens fourvoyés ou attardés le conduit rue Tirechappe ; là est un hôtel dit garni où l’on veille pour loger à toute heure de nuit ceux qui ne peuvent plus rentrer chez eux. Les gens tenant cet hôtel ne vivent que d’un semblable casuel. Trente lits sont occupés chaque nuit par ceux qu’un oubli ou un retard a dépossédé de leur couche accoutumée. Mais, hélas ! comment dormir ? Des myriades de puces, de punaises, ont fondé, depuis le regne de Louis XIII, leur république dans les rideaux & les traversins de ces mal-faisantes couchettes. Au bout d’un quart-d’heure on crie, on appelle, on demande de la lumiere, on se releve tout stigmatisé.

Si le sommeil est plus fort que la piquure de ces insectes, la sonnette bruyante qui retentit pour chaque survenant, fait un carrillon qui vous éveille en sursaut ; puis les chiens, dont la maison est pleine, martyrisés par la même espece qui vous dévore, jappent ou sautent alternativement sur tous les meubles de la chambre.

Dormez-vous ? arrive une visite de police. L’exempt tire effrontément votre couverture & vous regarde au nez. L’honnête homme trompé, qui a cru trouver en ce lieu une retraite de quelques heures, se sauve dès la pointe du jour, emportant avec lui une armée invisible d’insectes rongeurs.

Il se promet bien une autre fois de coucher plutôt dans la rue sur une borne que dans cet épouvantable & fétide hôtel dit garni. Ce lieu rapporte cependant chaque nuit un revenu fort honnête à ces ingrats logeurs. Eh ! ne seroit-il pas à propos dans une aussi grande ville, d’avoir un établissement ad hoc, & où l’on trouveroit des lits propres & un asyle du moins convenable ? Cette commodité nécessaire manque au public, & ne seroit pas moins importante que les cabinets d’aisance nouvellement confiés à des entrepreneurs.