Tableau de Paris/407

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CHAPITRE CCCCVII.

Poste Royale.


Il faut qu’elle soit plus longue & plus fatiguante qu’une poste vulgaire, car vous payez le double ; mais vous ne devez pas regarder à cela quand vous avez l’honneur d’approcher de la capitale où le roi est toujours censé faire sa résidence. Compiegne, Fontainebleau, deviennent postes royales quand Sa Majesté y réside.

Fournir des chevaux aux voyageurs est un privilege exclusif. Ce privilege vous fait payer des chevaux que vous n’employez pas ; puis il rend la lieue arbitraire & les postillons exigeans. Si l’on comptait par mille, la mesure seroit inaltérable, & c’est ce que le privilege exclusif ne veut pas.

L’intendant des ponts & chaussées vous transporte une route qui lui déplaît à quelques lieues de là ; elle se fait comme par enchantement : vous ne manquez pas de routes larges & spacieuses aux environs de la capitale ; vous en avez à choisir ; il faut au moins qu’il vous en coûte pour le terrein enlevé à l’agriculture & pour le pavé que vos roues vont broyer, vous qui n’avez pas été assujetti aux corvées.

Doubler les frais de poste à l’entrée de la capitale, n’est-ce pas vous avertir que vous y dépenserez en tout genre une fois plus que vous ne feriez ailleurs ? L’avis est clair, je crois ; en profitera qui saura l’entendre.

Le gouvernement s’est réservé le droit & le pouvoir d’interrompre à volonté le départ & la course de tous les étrangers & nationaux.

Malgré la facilité que procurent les chevaux de poste, tous ceux qui jouissent d’une certaine fortune voyagent peu ; ils demeureront toujours de préférence au centre de la capitale, & la France leur sera presqu’inconnue. Ils se logeront à Passy, à Auteuil, ou le long des bords de la Seine & de la Marne.

Un riche a-t-il jamais eu l’idée de se rendre l’hiver dans la Provence, ou sous le beau ciel de Montauban ; de parcourir l’été les bois de l’Alsace, de visiter au printems les bords du lac de Geneve ?

Les riches ne savent point jouir des inestimables avantages de la chaise de poste. C’est le pauvre qui la voit passer avec envie ; c’est le pauvre qui l’emploie le plus souvent. Tous ceux qui voyagent ont malheureusement une médiocre fortune. Quelquefois le garçon tailleur a mieux vu la France que celui qui jouit de 40 000 livres de rente. Il a visité tour-à-tour les belles villes de ce superbe royaume, & tel millionnaire n’a jamais vu les bords de la Loire.