Tableau de Paris/419

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CHAPITRE CCCCXIX.

Hauteur des panaches.


Il n’y a pas long-tems que les hautes coëffures, les plumes, panaches, &c. étoient sur toutes les têtes de femmes. Et au spectacle, une rangée de femmes, placées à l’orchestre, bouchoit la vue à tout un parterre ; la même chose à l’amphithéatre & dans les loges. C’étoit un vrai désespoir pour les spectateurs : on murmuroit tout haut, mais les femmes en rioient, & la politesse parisienne se contentoit de gronder, mais n’alloit point au-delà.

Il n’y eut qu’un seul homme, Suisse de nation & fort impatienté, qui, tirant une longue paire de ciseaux, fit mine dans une loge de vouloir couper l’excédent qui l’empêchoit de voir ; alors pour s’y soustraire, la dame fut obligée de se mettre derriere & de laisser passer à sa place l’homme qui y consentit très-bien. Ce n’est donc plus le tems où le parterre crioit place aux dames, & où l’on ne pouvoit être sûr d’avoir une place au spectacle tant qu’il pouvoit y arriver une femme, fût-elle douairiere ou borgne.

Autrefois l’on ne pouvoit voir ; aujourd’hui l’on ne sauroit entendre ; le caquet de ces mêmes femmes à panache ne discontinue pas pendant toute la piece. On entend sortir des petites loges des voix bruyantes, des éclats de rire ; c’est un babil qui oblige celui qui veut entendre d’aller ailleurs ; on en fait la remarque tout haut ; les causeuses l’entendent très-bien ; elles se taisent & puis recommencent de plus belle trois minutes après. Elles sentent que la colere des hommes se bornera à quelque réflexion maligne & qui tournera même à leur avantage ; car pendant la petite diatribe on les considere, & le grondeur désarmé finit par rire le premier de son accès de mauvaise humeur. Oh ! les femmes à Paris ne redoutent dans aucune circonstance le courroux des hommes.