Tableau de Paris/421

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CHAPITRE CCCCXXI.

Courses de Chevaux.


Nous les avons copiées des Anglois ; c’est la bête qui remporte le prix : on fait jeûner le jockei qui doit conduire afin qu’il pese moins. Les paris s’ouvrent & il se perd beaucoup d’argent.

C’étoit aussi la manie des Grecs : ce peuple attacha à la vîtesse des chevaux un honneur qui rendoit leur maître célebre. Qu’on eût couronné celui qui conduisoit le char, il avoit montré une certaine fermeté & de l’adresse ; mais le vainqueur parmi nous, n’est-il pas un peu ridicule lorsqu’il se vante d’avoir su acheter une cavale plus légere que celle de son adversaire ?

Euripide autrefois se moqua complétement de ce singulier vainqueur dans une ode même à sa louange. Il lui dit en propres termes : ô fils de Clinias, la plus belle des victoires est celle dont les dieux n’ont favorisé que vous ; on vous a vu remporter les trois premiers prix, être proclamé vainqueur au milieu des applaudissemens, sans avoir pris la moindre peine.

Sans avoir pris la moindre peine ? Qui se feroit attendu à une pareille chûte ?

Il est dommage que nous ne soyons pas originaux dans ce ridicule que nous avons adopté, mais aussi nous avons voulu placer une gloire d’éclat dans le mérite de nos jockeis.

On ne parle donc plus que du cheval barbe, du petit duc ; & le goût des chevaux qui courent a succédé à l’esprit de la chevalerie entiérement éteint. On se transporte dans la plaine des Sablons pour voir courir des animaux efflanqués, qui passent comme un trait, tous couverts de sueur au bout de six minutes ; & nous mettons ensuite dans les discussions qui résultent de ces courses, un air de profondeur & une importance qui ont quelque chose de burlesque.

Cette singerie de nos voisins n’a pas rétabli comme chez eux, ainsi qu’on l’eût d’abord imaginé, la perfection des races ; c’est que l’on n’a permis ces jeux olympiques qu’aux princes & aux grands seigneurs. Ils eussent été néanmoins plus utiles dans des rangs moins élevés.

On a fait une petite comédie, dont le sujet est une femme qu’on dispute & qu’on gagne à la course, & ce sujet n’a point paru sortir des bornes de la vraisemblance. Un interlocuteur, homme d’un très-bon ton, y dit : veux-tu recourir la comtesse ? Et comme telle est la maniere de ces hommes qu’on connoît, cela a paru délicieux, unique.