Tableau de Paris/426
CHAPITRE CCCCXXVI.
Débiteurs du bon ton.
Un débiteur qui veut être inaccessible est très-commodément à Paris. Il occupe une maison à portier où le créancier est consigné ; jamais monsieur ne sera au logis pour lui. Quand les huissiers viendront pour saisir, ils ne passeront pas la loge du portier.
Les hommes d’un certain rang ont leur homme d’affaires ; c’est à lui que s’adressent toutes les complaintes. Comme il est lui-même intéressé à ne point payer, il est encore plus insensible & plus inexorable que son maître.
Malheur à celui qui ne peut faire révoquer un arrêt de surséance ! Il mourra de faim contre la porte repoussée par le portier, ou bien il sera éconduit par l’homme d’affaires.
Si l’huissier en portant une signification oublie de laisser au portier la piece de douze sols, la signification est mise au feu, pour lui apprendre une autre fois à connoître l’étiquette.
Rien n’est si dupe des gens du bon ton que le marchand & l’ouvrier. Aucune dette n’est sacrée à Paris pour ce qu’on appelle gens de condition. S’ils font au bout de quelques années l’effort de donner un à-compte, ils semblent faire une grace.
Telle duchesse doit à des marchands son linge, ses robes, le drap qui couvre ses domestiques ; elle s’en moque, & ce n’est qu’en tremblant que ces marchands viendront réclamer leur dû. On fait en leur présence des rouleaux de louis pour le jeu du soir, & on les congédie assez impoliment.
Un boulanger, à qui un marquis devoit en mourant une forte somme, disoit naïvement en parlant à l’homme d’affaires : hélas ! ce grand seigneur, quand j’allois lui demander de l’argent, il me faisoit asseoir du moins à côté de lui. À présent on ne paie pas davantage, mais on n’est plus si honnête.