Tableau de Paris/428

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CHAPITRE CCCCXXVIII.

Louvre.


Le Louvre semble condamné à ne jamais être fini ; c’en est fait. La destinée de ce superbe monument sera de rester inachevé, comme pour immortaliser à jamais l’esprit des François, si par hasard l’Europe vouloit revenir un jour de ses premieres idées.

Devant cette superbe colonnade, une multitude de petits frippiers étalent en plein air sur la place, des guenilles, des haillons : ce contraste dit encore quelque chose à l’œil observateur ; c’est l’image de tout le reste ; grandeur & misere, côte-à-côte.

Les trois académies (sans compter celle d’architecture) sont logées dans ce Louvre qu’on diroit avoir été battu en ruine, ou avoir échappé à la fureur d’un peuple barbare. Quelques académiciens & quelques particuliers y ont obtenu un logement ; mais il faut bâtir une espece de maison en charpente dans ces vastes enclos. On trafique de ces logemens qui sont peu commodes, sur-tout par les escaliers qui ne répondent point à la majesté de l’édifice.

Plusieurs peintres de l’académie y ont leurs atteliers, & une multitude de rats leur domicile ; c’est le cortege ordinaire des talens.

Celui qui vient à décéder dans les logemens du Louvre, ne peut faire attacher à sa porte une aune de tenture noire. Il faut qu’il déloge sans cérémonie ; on enleve le corps sans qu’il soit exposé, & il est interdit aux murailles de porter les marques lugubres de la douleur de sa famille.

Du Freny disoit à Louis XIV : Je ne regarde jamais le Louvre sans m’écrier : superbe monument de la puissance de nos plus grands rois, vous seriez achevé, si l’on vous avoit donné à l’un des ordres mendians pour y tenir son chapitre & loger son général !

C’étoit un si beau plan que ce Louvre ! Le château de Versailles l’a fait abandonner ; l’état des finances, le laps de tems, & peut-être même la politique empêcheront toujours que ce premier plan ne reçoive sa pleine & entiere exécution. Les rois de France, selon toute apparence, n’habiteront plus la capitale ; & ce palais qui ne convient qu’à un monarque, n’offrira dans les siecles qui vont suivre qu’une demi-splendeur & des travaux interrompus.