Tableau de Paris/430
CHAPITRE CCCCXXX.
Viande en Carême.
Les boucheries sont ouvertes en plein carême, tant à l’usage des protestans & des malades, que de tous ceux enfin qui veulent faire gras. Il est vrai que le bigot en passant y jette des yeux courroucés, & qu’en rentrant chez lui, il crie contre ce scandale ; mais heureusement que l’administration a senti qu’il convenoit de laisser à chaque estomac & à chaque conscience, la liberté du gras ou du maigre. Les curés des paroisses se prêtent eux-mêmes facilement à la dispense. On remplace l’abstinence par une légere aumône, & tout le monde s’en trouve mieux.
Où est le tems où l’on étoit obligé, lorsqu’on vouloit envoyer un bouillon à un malade, de le cacher dans une boëte à perruque ? Dans ma jeunesse, j’ai vu arrêter le dîner du prince de Condé, qu’on lui portoit de son hôtel au Jeu-de-Paume de la rue Mazarine. Les estafiers de je ne sais quelle jurisdiction, avoient saisi le potage & les poulardes de Son Altesse Sérénissime. Ces puérilités ont pris fin : mais quelques sots gémissent encore sur l’abolition de l’ancienne rigueur qui plaçoit dans les rues des emporteurs de tous les dînés accommodés au gras.