Tableau de Paris/440

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CCCCXL.

Dépouilleuses d’enfans.


Je viens de parler de certaines allées ; en voici d’autres où les femmes dont j’ai à faire le portrait n’y habillent point ceux qui sont nus ou qui attendent un vêtement pour aller à vêpres & de là à la Courtille. Au contraire, ces femmes dépouillent des enfans pour s’emparer de leurs habits.

Plusieurs allées longues, ténébreuses (& où tous ceux qui entrent semblent à l’œil des passans être de la maison) ne favorisent que trop dans l’enceinte tortueuse de Paris & dans une si grande population un vol aussi atroce que bizarre.

Ces femmes ont des dragées & des habits d’enfans tout préparés, mais d’une mince valeur : elles épient ceux qui sont les mieux habillés ; & en un tour de main elles s’emparent du bon drap, de la soie, des boucles d’argent, & y substituent une souquenille grossiere.

Les enfans amadoués ou se laissent faire, ou pleurent, ou crient : une complice prend le ton & les manieres d’une gouvernante, les gourmande ; & les passans de dire : ah, le petit mutin, il faut lui donner le fouet ! Que dit le pere quand il revoit son pauvre enfant sous un accoutrement étranger deux fois trop large & où la vermine est logée ? Ainsi disoit le vieil Isaac : c’est la voix de Jacob, mais ce n’est point sa robe.

Ce brigandage ne pouvoit s’exercer que dans une ville immense & populeuse. Les plaintes réitérées de quelques parens ont fait poursuivre un délit, qui sembloit ne devoir pas se trouver dans la liste des crimes. Une sentence du Châtelet a été confirmée par arrêt du parlement du 8 juin 1779. Elle condamne une raccommodeuse de dentelles à être fouettée & marquée, & renfermée à l’hôpital de la Salpétriere pendant neuf ans, préalablement mise au carcan avec un écriteau devant & derriere, portant ces mots : dépouilleuse d’enfans.